01/11/2013

DES RAISONS DE (PARFOIS) PRÉFÉRER LA VF

Une bonne VF vaut mieux qu'une mauvaise gégène


     La version française d'un film est à sa version originale ce qu'est le sucre au café, le jus de fruit à la blanquette de veau, la douche à la fellation ou encore les leggings au respect de la dignité humaine : une impardonnable faute de goût qui dénature tout le sel de sa forme originelle. Qui peut prétendre juger du contenu d'un dialogue ou des qualités d'un comédien lorsque sa prestation est biaisée – quelques fois magnifiée – par un tiers, un prisme par le truchement duquel la réalité ne saurait que s'en trouver altérée ?
    Chère lectrice, cher lecteur, je sais tout cela et même, je le défends, je le proclame haut et fort, poursuivant de mon ire implacable ces hérétiques onanistes, païens masturbateurs, bougre d'infidèles et blasphémateurs sodomites, tailladant avec des lames de rasoir rouillées la plante de leurs pieds renégats que j'asperge ensuite abondamment de jus de citron pour leur passer l'envie de recommencer avant longtemps.
      Oui mais voilà, ne nous voilons pas la face, au risque de n'y plus rien voir, mais également afin de savoir raison garder : les originales versions parfois procurent de pervers plaisirs qu'ils nous seraient dommage de bouder. Dressons ici une brève – et certes non-exhaustive – listes des raisons recevables dans les cas où, exceptionnellement, le recours à la VF ne sera pas puni de mort.

  • Parce que quand on a des verres progressifs, c'est super chiant.
      Oui, chers amis, il nous faut penser à nos vieux – et nos moins vieux, la myopie ou la presbytie pouvant frapper avant même la ménopause qui, je le rappelle à nos plus jeunes assidus, n'est pas une touche de la télécommande. Les verres progressifs nécessitent de la part de nos sémillants seniors un incessant mouvement de tête entre le texte et l'image là où la jeunesse pétillante accompagnant une bonne vue n'a besoin que d'un bref et élégant mouvement de l'œil. Comprenons donc nos anciens qui se ruinent des cervicales pourtant déjà pas bien en forme en branlant du chef tels la regrettée Sasha Grey et accordons-leur sans plus de débats le droit à la VF.



  • Parce que les VF sont parfois au cinéphile convaincu ce que furent les madeleines à Marcel Proust ou les voitures de sport, à son cousin Alain.
    Pouvons-nous nier le sentiment d'agréable mélancolie qui nous étreint lorsque résonnent dans nos trompes d'Eustaches les voix caverneuses des doubleurs d'un Stallone ou d'un Schwarzy, tout droit tirées des années Reagan, âge d'or de la jouissive punchline bas de plafond ? Le poncif lorsque l'on aborde la question des doubleurs, consiste à d'abord citer leurs noms – évidemment inconnus du quidam cow-boy – avant de signifier par une pirouette toute journalistique que nous connaissons du moins le timbre de ces doux dingues.
     Que seraient ainsi à nos pavillons francophones un Stallone sans Alain Dorval, un Schwarzenegger sans Daniel Beretta – sic – ou un Bruce Willis sans Patrick Poivey ? La liste est longue de ces voix que nous associons à des acteurs ayant bercé notre jeunesse et qui, lorsqu'elles changent, ne sont pas sans nous poser un problème majeur. L'acteur n'est plus le même puisque ce n'est pas "sa" voix et le film tombe à plat – faut-il encore évoquer le traumatisme profond d'une génération entière de jeunes adolescentes acnéiques et libidineuses suite aux changements de voix catastrophiques dans Friends après un chantage raté de la part des doubleurs ?
    Au-delà des "acteurs-madeleines", il est indispensable d'également évoquer les "films-doudous", tout aussi évocateurs d'une enfance passée dans la chaleur rassurante de l'état cotonneux dans lequel la plupart étaient confinés, errant béatement la morve au nez sans rien comprendre au sens profond de la cohabitation Chirac-Mitterrand. Ces films fétiches, usés jusqu'à la corde parce que développant des univers rassurants – puisque connus sur le bout des doigts –, furent pendant longtemps seulement diffusés à la télévision qui représentait alors, à l'exception des salles obscures, notre seule porte d'entrée dans le monde cinématographique. Le fait est que la démocratisation des magnétoscopes puis des lecteurs dvd fut concomitamment celle de la VO – parce que dans les temps jadis, nous n'avions tout simplement pas le choix et l'ORTF nous tenait en otage poireaux-pommes de terre.
     Toujours est-il que conséquemment à cet état de fait, nombre d'entre nous absorbèrent des heures de films dans leurs versions doublées et seraient bien en peine aujourd'hui de revoir ces longs métrages dont ils connaissent chaque réplique – nécessairement culte – par cœur dans leur écrin original. Que serait un "Nom de Zeus Marty !" sans LA voix du Doc, celle de Pierre Hatet (accessoirement mastermind de Minus et Cortex) ? Que serait un McFly sans la voix de Luq Hamet sinon un corps sans âme, pantin désarticulé et tressautant dans les mains du seul Michael J. Fox ? Nous avons tous nos "films de Proust", ceux dont le visionnage en version française nous gâche certes partiellement la performance, mais nous procurant un plaisir au-delà du réel.



      Soulignons, pour clore ce point, le cas des "films de Proust" pouvant être regardés autant en VO qu'en VF. Parce que le jeu des acteurs est parfait et que le film en VO, c'est quand même super. Mais aussi parce que nos esgourdes se sont tellement abreuvées à la VF qu'elles éprouvent un mal fou à s'en passer. Si bien que lorsque l'on repense au film, il nous est impossible de nous rappeler dans quel satané idiome nous l'avons vu – des exemples parfaits de ce genre seraient The Big Lebowsky ou Pulp Fiction, aussi savoureux dans la langue de Shakespeare que celle de Molière, si bien que passer de l'une à l'autre se fait sans heurts.

  • Parce que le côté nanar, ça sauve parfois une bouse.
     Effectivement, dans le cadre des bons vieux nanars, les métrages sous-produits aux scénarii plus en cartons pâte que les décors, aux costumes aussi crédibles que BHL en réalisateur, aux effets spéciaux mouillés et aux acteurs recrutés sur les plages du Cap d'Agde, les doublages ajoutent souvent à l'ensemble un charme désuet. Exagérations, doubleurs en roue libre, textes improvisés… Rien n'était épargné à ces produits bis du cinéma mais dans ces cas-là, une bonne VF bien foireuse pouvait totalement sauver le tout de la ruine véritable, en procurant à son spectateur le plaisir – toujours pervers – de voir une vraie grosse bouse mais qui partait dans un tel n'importe quoi que cela en devenait génial (se reporter à ce sujet à la critique de Machete Kills réalisée par mon collègue bloggeur Red Fox dans ces mêmes colonnes).




  • Le cas des dessins animés
    Le cas des dessins animés se situe bien évidemment quelque peu en marge du propos développé jusqu'ici. Effectivement, du fait de l'absence de comédien à l'écran, le doublage devient dès lors le support essentiel du jeu d'acteur – soutenu comme il se doit par une animation de qualité dans la mesure du possible. Le dessin animé est à ce titre l'exercice de doublage par excellence, le schisme VO/VF reposant sur la capacité ou non de nos doubleurs à suppléer les comédiens originaux.
      Dans la majeure partie des cas, cela fonctionne même parfaitement et peu nombreux sont les fans francophones à préférer les voix US des Simpson et de South Park tant le niveau de nos comédiens nationaux tutoie la perfection. Eric Cartman ou Homer Simpson ne seraient définitivement pas les mêmes sans ce timbre, cette scansion et toutes les subtilités de caractère que leur confère la performance du doubleur, au-delà même du contenu purement textuel – le tout ajouté à l'effet Proust et hop.
     Il conviendra néanmoins de faire état du cas très particulier de Seth McFarlane, génie de la comédie et du doublage dont les prestations seules justifieraient de se plonger dans Family Guy ou American Dad – sauf que ces séries s'avèrent en outre parfaitement servies par les scénaristes et les seconds rôles, avec néanmoins une nette préférence pour la famille Griffin. Comble de la reconnaissance, la distribution vocale de Family Guy s'est vue consacrer un épisode du célèbre Inside the Actor Studio par le savoureux James Lipton.

     Toutefois, si la VF fonctionne admirablement dans le cas des dessins animés US, dans le cas des animes nippons, cela s'apparente à du VIOL ! Le rapport non consenti a débuté dès les années 80 où les diffuseurs français vomirent littéralement sur les œuvres qu'ils achetaient comme un simple remplissage de flux à moindre coût – la Japan Fever n'étant pas encore ce qu'elle est devenue par la suite, bien qu'elle trouve sa source dans cette époque où l'irrespect le disputait au dontgiveafuckisme.
       Outre une diffusion des épisodes dans un ordre erratique, empêchant au possible toute compréhension d'un quelconque fil narratif, les doubleurs de l'époque n'ayant rien à secouer de ces gribouillis peu chers aux histoires improbables et ultra – hum – violentes, ils décidèrent de s'amuser quelque peu avec le contenu, changeant noms et répliques à l'envie. Le paroxysme fut atteint avec Ken le Survivant, à la violence et aux thématiques jugées quasi nazies par des quasimodo du doublage qui obtinrent du diffuseur le droit à une réinterprétation sauvage afin de rendre le contenu plus "rigolo" et moralement "acceptable" – ce qui allait de pair avec une large censure de la part du même diffuseur. L'excellent manga City Hunter dont fut tiré l'anime Nicky Larson en version française, subit les mêmes outrages, se voyant censuré tant dans sa violence, que dans certaines de ses thématiques et plus particulièrement dans l'obsession sexuelle développée par le héros, capable dans sa version originale de traverser des murs avec son membre turgescent – oui madame !


      Le problème reposait essentiellement à l'époque sur une incompréhension totale des contenus achetés et de la classification typique des mangas et animes au Japon (en shonen, seinen, ecchi, shojo, etc.) pourtant suffisamment claire et bien pensée pour servir les marketeurs de tous poils dans leur choix de segments de marché, avec des œuvres destinées à des publics bien spécifiques. Oui mais voilà, les dessins animés, c'est pour les enfants, alors on s'en cogne le petit sur la table en jouant la rythmique de When Johnny comes marching home. Bien que le succès confirmé des mangas et animes à travers le monde ait suscité un authentique respect d'œuvres désormais considérées comme telles, les doublages français de Naruto, One Piece ou Fairy Tail, pour citer quelques exemples de succès récents et planétaires, sont malgré tout toujours incapables de se départir d'un ton enfantin navrant et changeant profondément le sens des histoires de messieurs Kishimoto, Oda ou Mashima, ayant pourtant évoluées en profondeur avec le temps et les lecteurs et abordant également des thématiques tout à fait adultes (choix cornéliens, confrontations à la perte d'êtres proches, capacité à se définir en tant qu'individu et au sein d'un groupe, transmissions de systèmes de valeurs vertueux, etc.).
     Deux exceptions cependant, la première relevant clairement de la barre bretonne de Proust : Dragon Ball Z – et dans une moindre mesure les animes ayant bercé notre jeunesse en nous offrant notre première approche de la culture nipponne. Nul n'ira se plaindre des doublages français d'un tel monument, pourtant tout aussi maltraité que beaucoup d'autres et passé à la moulinette de la censure. Mais Goku sans la voix de Patrick Borg, ce n'est pas Goku. Idem pour toute la distribution. On ne touche pas à DBZ sinon on vous balance une boule genki dans les fesses et croyez-moi, ça ne vous fera pas plaisir (Fun fact : Monsieur Satan, Hercule en français, était doublé par Frédéric Bouraly, le José de Scènes de Ménages, de même qu'un certain nombre d'autres personnages secondaires de la série).
     La seconde exception sera la qualité exceptionnelle du doublage de la série Cowboy BeBop, diffusée d'abord en français sur Canal Plus à partir de 1998. Série culte de Watanabe (auteur par la suite de Samuraï Champloo) extrêmement bien écrite et mise en scène, à l'atmosphère unique oscillant entre western crépusculaire et space opéra, les BeBop représentent définitivement la meilleure adaptation et le meilleur doublage d'un anime nippon qui ait été donné d'entendre à ce jour, le tout porté par un incomparable Yann Pichon, éternelle voix de Spike Spiegel, se hissant sans forcer au niveau de son doubleur originel. A voir dans les deux langues.


  • Quand le film est en français.
Ben oui quoi…

  • Parce que l'adaptation en VF est parfois un travail d'orfèvre.
     Si une VF induit le travail d'un doubleur, il implique avant toute chose celui d'un adaptateur, à même de retranscrire fidèlement les dialogues. Il s'agit non seulement de traduire le propos, mais surtout d'en conserver "l'esprit" tout en cherchant à créer l'illusion d'une synchronisation labiale parfaite – plus facile à atteindre avec un film en anglais plutôt qu'en indonésien. L'adaptateur doit en outre posséder le sens des dialogues et de leur rythmique si spécifique. Indubitablement, il s'agit d'un travail d'auteur à part entière et certains excellent dans l'exercice, à tel point que leur ouvrage, où chaque mot est ciselé afin de transmettre la puissance du souffle originel, peut justifier de parfois préférer la VF – du moins l'envie de la découvrir au moins une fois.
     Il va de soi que cela ne s'applique qu'à des films dont les dialogues sont à la base excellents et que si la volonté de découvrir le travail d'adaptation se comprend fort bien dans le cas des films de Tarantino ou des frères Coen, l'intérêt décroît fortement si l'on parle du dernier Fast & Furious ou de n'importe quel Michael Bay. A titre d'exemple, je vous joins deux extraits qui font vibrer mon cœur de tâcheron de l'écriture. D'un côté, l'inénarrable Sergent Hartman dans Full Metal Jacket et la performance conjointe de son doubleur français et de l'adaptateur des dialogues. De l'autre, Clint en Maître de Guerre pas très sociable mais tellement savoureux. Nous retiendrons étonnamment que là où l'adaptateur peut exprimer tout son talent, c'est bien au milieu d'une chiée d'insanités.




  • Parce que faire des citations de films en VO, ça vous fait passer pour un branleur qui se la pète dans vos cercles amicaux (pour peu qu'ils soient normaux)
Tout est dans le titre.

  • Parce que sinon, ça va mettre plein de gens au chômage et c'est pas très sympa.
    La France partage avec l'Espagne, l'Italie et les pays germaniques le goût du doublage – ou le goût de pas s'emmerder à lire des sous-titres – quand la quasi-totalité des pays nordiques et d'Europe de l'Est recourent tout simplement au sous-titrage voire à la voice over bien sale venant se superposer à la voix originale – toujours très compréhensible, on s'en doute.
     L'adaptation en VF représente une industrie complète faisant intervenir les doubleurs, les adaptateurs, des ingénieurs du son et des mixeurs, le tout organisé autour de sociétés dédiées. Ne soyons pas bégueules et ne laissons pas une frange de nos compatriotes secouer une gamelle métallique à la sortie des bouches de métro ou des supermarchés en faisant appel à not' bon cœur. Moi je les aime bien ces gens et comme dirait plus ou moins Hartman : "ils viennent chez moi quand ils veulent et ils baisent ma frangine."


Bob Coolidge


NB : Soulignons que tant que les français seront aussi mauvais en anglais, l'industrie n'est pas prête de clore ses portes. En vous remerciant.

4 commentaires:

  1. Je suis complètement d'accord, mais tu n'as pas mentionné Richard Darbois, l'un des plus merveilleux des comédiens de doublage de tous les temps (Patrick Swayze, Harrison Ford, Richard Gere, rien que ça et aussi le Génie d'Aladdin !!)
    Et j'ajouterai une temporalité dans ton discours : les VF sont (presque) unanimement géniales jusqu'à 1998. A partir de 99, tout fout l'camp..!

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    1. Zut flûte : "l'un des plus merveilleux comédiens de doublage..."

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  2. Tout à fait d'accord Caro ! Darbois a une très belle voxographie.
    Sans vouloir jouer les réac' à deux balles : le doublage, c'était sans doute mieux avant. J'en profite pour glisser un hommage posthume aux grandes voix qui se sont éteintes il y a peu : Michel Roux, Patrick Guillemin (qui a prêté ses cordes vocales à la moitié de la population de Springfield) et Francis Lax (lui aussi Harrison Ford dans les Star Wars et Le Temple Maudit, et surtout la voix mythique de Magnum, etc...). Sans oublier Roger Carel !

    (Comment ça !? Il est toujours pas mort Roger Carel ?)

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    1. Oui.. Et Serge Sauvion également, qui doublait le génial Colombo..

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