Une bonne VF vaut mieux qu'une mauvaise gégène
La version française
d'un film est à sa version originale ce qu'est le sucre au café, le
jus de fruit à la blanquette de veau, la douche à la fellation ou
encore les leggings au respect de la dignité humaine : une
impardonnable faute de goût qui dénature tout le sel de sa forme
originelle. Qui peut prétendre juger du contenu d'un dialogue ou des
qualités d'un comédien lorsque sa prestation est biaisée –
quelques fois magnifiée – par un tiers, un prisme par le
truchement duquel la réalité ne saurait que s'en trouver altérée
?
Chère lectrice, cher
lecteur, je sais tout cela et même, je le défends, je le proclame
haut et fort, poursuivant de mon ire implacable ces hérétiques
onanistes, païens masturbateurs, bougre d'infidèles et
blasphémateurs sodomites, tailladant avec des lames de rasoir
rouillées la plante de leurs pieds renégats que j'asperge ensuite
abondamment de jus de citron pour leur passer l'envie de recommencer
avant longtemps.
Oui mais voilà, ne
nous voilons pas la face, au risque de n'y plus rien voir, mais
également afin de savoir raison garder : les originales versions
parfois procurent de pervers plaisirs qu'ils nous seraient dommage de
bouder. Dressons ici une brève – et certes non-exhaustive –
listes des raisons recevables dans les cas où, exceptionnellement,
le recours à la VF ne sera pas puni de mort.
- Parce que quand on a des verres progressifs, c'est super chiant.
Oui, chers amis, il
nous faut penser à nos vieux – et nos moins vieux, la myopie ou la
presbytie pouvant frapper avant même la ménopause qui, je le
rappelle à nos plus jeunes assidus, n'est pas une touche de la
télécommande. Les verres progressifs nécessitent de la part de nos
sémillants seniors un incessant mouvement de tête entre le texte et
l'image là où la jeunesse pétillante accompagnant une bonne vue
n'a besoin que d'un bref et élégant mouvement de l'œil.
Comprenons donc nos anciens qui se ruinent des cervicales pourtant
déjà pas bien en forme en branlant du chef tels la regrettée Sasha
Grey et accordons-leur sans plus de débats le droit à la VF.
- Parce que les VF sont parfois au cinéphile convaincu ce que furent les madeleines à Marcel Proust ou les voitures de sport, à son cousin Alain.
Pouvons-nous nier le
sentiment d'agréable mélancolie qui nous étreint lorsque résonnent
dans nos trompes d'Eustaches les voix caverneuses des doubleurs d'un
Stallone ou d'un Schwarzy, tout droit tirées des années Reagan, âge
d'or de la jouissive punchline bas de plafond ? Le poncif lorsque
l'on aborde la question des doubleurs, consiste à d'abord citer
leurs noms – évidemment inconnus du quidam cow-boy – avant de
signifier par une pirouette toute journalistique que nous connaissons
du moins le timbre de ces doux dingues.
Que seraient ainsi à
nos pavillons francophones un Stallone sans Alain Dorval, un
Schwarzenegger sans Daniel Beretta – sic – ou un Bruce Willis
sans Patrick Poivey ? La liste est longue de ces voix que nous
associons à des acteurs ayant bercé notre jeunesse et qui,
lorsqu'elles changent, ne sont pas sans nous poser un problème
majeur. L'acteur n'est plus le même puisque ce n'est pas "sa"
voix et le film tombe à plat – faut-il encore évoquer le
traumatisme profond d'une génération entière de jeunes
adolescentes acnéiques et libidineuses suite aux changements de voix
catastrophiques dans Friends après un chantage raté de la
part des doubleurs ?
Au-delà des
"acteurs-madeleines", il est indispensable d'également
évoquer les "films-doudous", tout aussi évocateurs d'une
enfance passée dans la chaleur rassurante de l'état cotonneux dans
lequel la plupart étaient confinés, errant béatement la morve au
nez sans rien comprendre au sens profond de la cohabitation
Chirac-Mitterrand. Ces films fétiches, usés jusqu'à la corde parce
que développant des univers rassurants – puisque connus sur le
bout des doigts –, furent pendant longtemps seulement diffusés à
la télévision qui représentait alors, à l'exception des salles
obscures, notre seule porte d'entrée dans le monde
cinématographique. Le fait est que la démocratisation des
magnétoscopes puis des lecteurs dvd fut concomitamment celle de la
VO – parce que dans les temps jadis, nous n'avions tout simplement
pas le choix et l'ORTF nous tenait en otage poireaux-pommes de terre.
Toujours est-il que
conséquemment à cet état de fait, nombre d'entre nous absorbèrent
des heures de films dans leurs versions doublées et seraient bien en
peine aujourd'hui de revoir ces longs métrages dont ils connaissent
chaque réplique – nécessairement culte – par cœur dans leur
écrin original. Que serait un "Nom de Zeus Marty !"
sans LA voix du Doc, celle de Pierre Hatet (accessoirement mastermind
de Minus et Cortex) ? Que serait un McFly sans la voix de Luq
Hamet sinon un corps sans âme, pantin désarticulé et tressautant
dans les mains du seul Michael J. Fox ? Nous avons tous nos "films
de Proust", ceux dont le visionnage en version française nous
gâche certes partiellement la performance, mais nous procurant un
plaisir au-delà du réel.
Soulignons, pour clore
ce point, le cas des "films de Proust" pouvant être
regardés autant en VO qu'en VF. Parce que le jeu des acteurs est
parfait et que le film en VO, c'est quand même super. Mais aussi
parce que nos esgourdes se sont tellement abreuvées à la VF
qu'elles éprouvent un mal fou à s'en passer. Si bien que lorsque
l'on repense au film, il nous est impossible de nous rappeler dans
quel satané idiome nous l'avons vu – des exemples parfaits de ce
genre seraient The Big Lebowsky ou Pulp Fiction, aussi
savoureux dans la langue de Shakespeare que celle de Molière, si
bien que passer de l'une à l'autre se fait sans heurts.
- Parce que le côté nanar, ça sauve parfois une bouse.
Effectivement, dans
le cadre des bons vieux nanars, les métrages sous-produits aux
scénarii plus en cartons pâte que les décors, aux costumes aussi
crédibles que BHL en réalisateur, aux effets spéciaux mouillés et
aux acteurs recrutés sur les plages du Cap d'Agde, les doublages
ajoutent souvent à l'ensemble un charme désuet. Exagérations,
doubleurs en roue libre, textes improvisés… Rien n'était épargné
à ces produits bis du cinéma mais dans ces cas-là, une bonne VF
bien foireuse pouvait totalement sauver le tout de la ruine
véritable, en procurant à son spectateur le plaisir – toujours
pervers – de voir une vraie grosse bouse mais qui partait dans un
tel n'importe quoi que cela en devenait génial (se reporter à ce
sujet à la critique de Machete Kills réalisée par mon
collègue bloggeur Red Fox dans ces mêmes colonnes).
- Le cas des dessins animés
Le cas des dessins
animés se situe bien évidemment quelque peu en marge du propos
développé jusqu'ici. Effectivement, du fait de l'absence de
comédien à l'écran, le doublage devient dès lors le support
essentiel du jeu d'acteur – soutenu comme il se doit par une
animation de qualité dans la mesure du possible. Le dessin animé
est à ce titre l'exercice de doublage par excellence, le schisme
VO/VF reposant sur la capacité ou non de nos doubleurs à suppléer
les comédiens originaux.
Dans la majeure
partie des cas, cela fonctionne même parfaitement et peu nombreux
sont les fans francophones à préférer les voix US des Simpson
et de South Park tant le niveau de nos comédiens nationaux
tutoie la perfection. Eric Cartman ou Homer Simpson ne seraient
définitivement pas les mêmes sans ce timbre, cette scansion et
toutes les subtilités de caractère que leur confère la performance
du doubleur, au-delà même du contenu purement textuel – le tout
ajouté à l'effet Proust et hop.
Il conviendra
néanmoins de faire état du cas très particulier de Seth McFarlane,
génie de la comédie et du doublage dont les prestations seules
justifieraient de se plonger dans Family Guy ou American
Dad – sauf que ces séries s'avèrent en outre parfaitement
servies par les scénaristes et les seconds rôles, avec néanmoins
une nette préférence pour la famille Griffin. Comble de la
reconnaissance, la distribution vocale de Family Guy s'est vue
consacrer un épisode du célèbre Inside the Actor Studio par
le savoureux James Lipton.
Toutefois, si la VF
fonctionne admirablement dans le cas des dessins animés US, dans le
cas des animes nippons, cela s'apparente à du VIOL !
Le rapport non consenti a débuté dès les années 80 où
les diffuseurs français vomirent littéralement sur les œuvres
qu'ils achetaient comme un simple remplissage de flux à moindre coût
– la Japan Fever n'étant pas encore ce qu'elle est devenue par la
suite, bien qu'elle trouve sa source dans cette époque où
l'irrespect le disputait au dontgiveafuckisme.
Outre une diffusion
des épisodes dans un ordre erratique, empêchant au possible toute
compréhension d'un quelconque fil narratif, les doubleurs de
l'époque n'ayant rien à secouer de ces gribouillis peu chers aux
histoires improbables et ultra – hum – violentes, ils décidèrent
de s'amuser quelque peu avec le contenu, changeant noms et répliques
à l'envie. Le paroxysme fut atteint avec Ken le Survivant, à la
violence et aux thématiques jugées quasi nazies par des quasimodo
du doublage qui obtinrent du diffuseur le droit à une
réinterprétation sauvage afin de rendre le contenu plus "rigolo"
et moralement "acceptable" – ce qui allait de pair avec
une large censure de la part du même diffuseur. L'excellent manga
City Hunter dont fut tiré l'anime Nicky Larson en
version française, subit les mêmes outrages, se voyant censuré
tant dans sa violence, que dans certaines de ses thématiques et plus
particulièrement dans l'obsession sexuelle développée par le
héros, capable dans sa version originale de traverser des murs avec
son membre turgescent – oui madame !
Le problème reposait
essentiellement à l'époque sur une incompréhension totale des
contenus achetés et de la classification typique des mangas et
animes au Japon (en shonen, seinen, ecchi, shojo, etc.) pourtant
suffisamment claire et bien pensée pour servir les marketeurs de
tous poils dans leur choix de segments de marché, avec des œuvres
destinées à des publics bien spécifiques. Oui mais voilà, les
dessins animés, c'est pour les enfants, alors on s'en cogne le petit
sur la table en jouant la rythmique de When Johnny comes marching
home. Bien que le succès confirmé des mangas et animes à
travers le monde ait suscité un authentique respect d'œuvres
désormais considérées comme telles, les doublages français de
Naruto, One Piece ou Fairy Tail, pour citer
quelques exemples de succès récents et planétaires, sont malgré
tout toujours incapables de se départir d'un ton enfantin navrant et
changeant profondément le sens des histoires de messieurs Kishimoto,
Oda ou Mashima, ayant pourtant évoluées en profondeur avec le temps
et les lecteurs et abordant également des thématiques tout à fait
adultes (choix cornéliens, confrontations à la perte d'êtres
proches, capacité à se définir en tant qu'individu et au sein d'un
groupe, transmissions de systèmes de valeurs vertueux, etc.).
Deux exceptions
cependant, la première relevant clairement de la barre bretonne de
Proust : Dragon Ball Z – et dans une moindre mesure les animes
ayant bercé notre jeunesse en nous offrant notre première approche
de la culture nipponne. Nul n'ira se plaindre des doublages français
d'un tel monument, pourtant tout aussi maltraité que beaucoup
d'autres et passé à la moulinette de la censure. Mais Goku sans la
voix de Patrick Borg, ce n'est pas Goku. Idem pour toute la
distribution. On ne touche pas à DBZ sinon on vous balance une boule
genki dans les fesses et croyez-moi, ça ne vous fera pas plaisir
(Fun fact : Monsieur Satan, Hercule en français, était
doublé par Frédéric Bouraly, le José de Scènes de Ménages,
de même qu'un certain nombre d'autres personnages secondaires de la
série).
La seconde exception
sera la qualité exceptionnelle du doublage de la série Cowboy
BeBop, diffusée d'abord en français sur Canal Plus à partir de
1998. Série culte de Watanabe (auteur par la suite de Samuraï
Champloo) extrêmement bien écrite et mise en scène, à
l'atmosphère unique oscillant entre western crépusculaire et space
opéra, les BeBop représentent définitivement la meilleure
adaptation et le meilleur doublage d'un anime nippon qui ait été
donné d'entendre à ce jour, le tout porté par un incomparable Yann
Pichon, éternelle voix de Spike Spiegel, se hissant sans forcer au
niveau de son doubleur originel. A voir dans les deux langues.
- Quand le film est en français.
- Parce que l'adaptation en VF est parfois un travail d'orfèvre.
Si une VF induit le
travail d'un doubleur, il implique avant toute chose celui d'un
adaptateur, à même de retranscrire fidèlement les dialogues. Il
s'agit non seulement de traduire le propos, mais surtout d'en
conserver "l'esprit" tout en cherchant à créer l'illusion
d'une synchronisation labiale parfaite – plus facile à atteindre
avec un film en anglais plutôt qu'en indonésien. L'adaptateur doit
en outre posséder le sens des dialogues et de leur rythmique si
spécifique. Indubitablement, il s'agit d'un travail d'auteur à part
entière et certains excellent dans l'exercice, à tel point que leur
ouvrage, où chaque mot est ciselé afin de transmettre la puissance
du souffle originel, peut justifier de parfois préférer la VF –
du moins l'envie de la découvrir au moins une fois.
Il va de soi que cela
ne s'applique qu'à des films dont les dialogues sont à la base
excellents et que si la volonté de découvrir le travail
d'adaptation se comprend fort bien dans le cas des films de Tarantino
ou des frères Coen, l'intérêt décroît fortement si l'on parle du
dernier Fast & Furious ou de n'importe quel Michael Bay. A
titre d'exemple, je vous joins deux extraits qui font vibrer mon cœur
de tâcheron de l'écriture. D'un côté, l'inénarrable Sergent
Hartman dans Full Metal Jacket et la performance conjointe de
son doubleur français et de l'adaptateur des dialogues. De l'autre,
Clint en Maître de Guerre pas très sociable mais tellement
savoureux. Nous retiendrons étonnamment que là où l'adaptateur
peut exprimer tout son talent, c'est bien au milieu d'une chiée
d'insanités.
- Parce que faire des citations de films en VO, ça vous fait passer pour un branleur qui se la pète dans vos cercles amicaux (pour peu qu'ils soient normaux)
Tout est dans le
titre.
- Parce que sinon, ça va mettre plein de gens au chômage et c'est pas très sympa.
La France partage
avec l'Espagne, l'Italie et les pays germaniques le goût du doublage
– ou le goût de pas s'emmerder à lire des sous-titres – quand
la quasi-totalité des pays nordiques et d'Europe de l'Est recourent
tout simplement au sous-titrage voire à la voice over bien
sale venant se superposer à la voix originale – toujours très
compréhensible, on s'en doute.
L'adaptation en VF
représente une industrie complète faisant intervenir les doubleurs,
les adaptateurs, des ingénieurs du son et des mixeurs, le tout
organisé autour de sociétés dédiées. Ne soyons pas bégueules et
ne laissons pas une frange de nos compatriotes secouer une gamelle
métallique à la sortie des bouches de métro ou des supermarchés
en faisant appel à not' bon cœur. Moi je les aime bien ces gens et
comme dirait plus ou moins Hartman : "ils viennent chez moi
quand ils veulent et ils baisent ma frangine."
Bob Coolidge
NB : Soulignons que
tant que les français seront aussi mauvais en anglais, l'industrie
n'est pas prête de clore ses portes. En vous remerciant.
Je suis complètement d'accord, mais tu n'as pas mentionné Richard Darbois, l'un des plus merveilleux des comédiens de doublage de tous les temps (Patrick Swayze, Harrison Ford, Richard Gere, rien que ça et aussi le Génie d'Aladdin !!)
RépondreSupprimerEt j'ajouterai une temporalité dans ton discours : les VF sont (presque) unanimement géniales jusqu'à 1998. A partir de 99, tout fout l'camp..!
Zut flûte : "l'un des plus merveilleux comédiens de doublage..."
SupprimerTout à fait d'accord Caro ! Darbois a une très belle voxographie.
RépondreSupprimerSans vouloir jouer les réac' à deux balles : le doublage, c'était sans doute mieux avant. J'en profite pour glisser un hommage posthume aux grandes voix qui se sont éteintes il y a peu : Michel Roux, Patrick Guillemin (qui a prêté ses cordes vocales à la moitié de la population de Springfield) et Francis Lax (lui aussi Harrison Ford dans les Star Wars et Le Temple Maudit, et surtout la voix mythique de Magnum, etc...). Sans oublier Roger Carel !
(Comment ça !? Il est toujours pas mort Roger Carel ?)
Oui.. Et Serge Sauvion également, qui doublait le génial Colombo..
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