30/10/2013

CRITIQUE : DRAGON GATE, LA LEGENDE DES SABRES VOLANTS (The Flying Swords of Dragon Gate - Tsui Hark - 2011)

SUIS HARK !


Le retour de la vengeance de l'Auberge du Dragon en 3D... et en DTV


Ma première vraie bafouille en tant que DWARF. C'est l'occasion de vous causer d'un grand réalisateur que j'adore et de me poser d'office un défi. Faisant fie du risque encouru, je prends le taureau par les cornes et me lance, bien candide, dans la présentation hautement subjective du dernier film du génial Tsui Hark (pléonasme ?)

Jet Li fait son come-back chez Tsui Hark


Me voici donc dans la position du microbe au pied du Burj Khalifa. L'ascension est périlleuse. Comment présenter le stakhanoviste de Hong-Kong en quelques lignes ? Autant décrire l'indicible, et je laisserais bien ce boulot à Lovecraft. Il serait préférable de jeter l'éponge, et le bébé avec l'eau du bain, mais contraint de pondre cette critique sous peine de me faire écraser les doigts par Slobodan (Cf. Une Bouteille à la mer), je me vois dans l'obligation de l'introduire comme il se doit (au sens figuré, cela s'entend...) Je vais donc ouvrir une gigantesque parenthèse en son honneur.

Né au Viêt-nam mais 100 % H-K, Tsui Hark est un fou filmant, un OVNI, un électron libre incroyable et visionnaire. Digression nécessaire : oui, j'emploie bien l'adjectif "visionnaire", un mot bien galvaudé et sans arrêt collé à tort et à travers sur le premier fumiste venu (ne me forcez pas de suite à citer des noms, ce serait hors-sujet. Rassurez-vous, ils arriveront bien assez tôt. Et ça va envoyer des maracas, faites-moi confiance !). Fermons cette parenthèse un brin trollesque et revenons sur notre sujet : Tsui Hark est inénarrable. Mais pas pour tout le monde. En 94, les Sparks ont le vent en poupe et les cojones bien placés pour dresser un portrait du bonhomme aussi synthétique que leur style musical. En résulte une chanson très inspirée sobrement intitulée Tsui Hark. Je vous laisse juges de la qualité du morceau :

Veuillez excuser l'auteur de ces lignes de ne pas traduire les paroles ci-dessous afin de ne point altérer leur essence poétique et leur subtilité intrinsèque
J'espère que les lecteurs non-anglophones ne seront pas trop incommodés.

I'm Tsui Hark
I'm film director
I've made several films
I've won several awards for my films...
puis filmographie ultra-sélective

Qu'ajouter de plus au C-V ? Les Sparks m'ont mâché tout le boulot. Plus rien à dire.

Trêve de plaisanterie. Présenter en 94, même sommairement, un artiste bridé par ses origines et peu connu du public occidental est suffisamment osé pour le souligner. Les Sparks retranscrivent une petite parcelle de la prodigieuse filmographie de Tsui Hark. (Presque) autant de perles qui marquèrent l'histoire du cinéma local et du cinéma global. Ni plus, ni moins. Hark a dynamité le Wu Xia Pian dès son premier film The Butterfly Murders en 79. Genre sacré et lucratif par excellence pour la Shaw Brothers, le film de sabre chinois a à l'époque épuisé son filon et tournait en rond depuis belle lurette. Qu'à cela ne tienne ! Tsui Hark s'empare des codes du genre et les transcende, les malmène, les explose. Sa caméra filme du jamais-vu en matière de chorégraphies. Il aime le Kung-fu et ne se lasse pas de filmer sa grâce. Il ne craint guère de se frotter aux mythes, aux vieux contes ancestraux, au folklore chinois et leur offre une cure de jouvence bienfaitrice. Son style déjanté et poétique fait merveille, notamment dans l'expérimental Zu, Les Guerriers de la Montagne Magique en 83. L'année suivante, le succès est enfin au rendez-vous. Il fonde sa propre société, FilmWorkshop, et se lie avec le vétéran John Woo.
A partir de là, c'est la timbale. Il signe ou produit par la suite un quasi sans-faute que je balance pêle-mêle comme un sagouin (car on n'a pas le temps), des titres qui résonnent comme autant d’uppercuts filmiques : Shangaï Blues, Pekin Opera Blues (plus grand film féministe de tous les temps), Histoire de fantôme chinois, Le Syndicat du crime, The Killer, The Master, Swordsman 2, Il était une fois en Chine, Green Snake, The Lovers (plus grand film d'amour de tous les temps), The Blade (plus grand film d'action de tous les temps), Le Festin chinois, Dans la Nuit des Temps... Bref, mettons un frein. Cette veine prodigieuse n'est pas sans limite, hélas.

    Tsui Hark répond aux sirènes hollywoodiennes en 97. Il signe volens nolens son premier véritable étron, Double Team, avec un JCVD peu conciliant en vedette. Mais Hark est rancunier et se venge l'année suivante dans Piège à Hong-Kong. Ce nanar volontaire timbré déguisé en suicide artistique se destine à humilier au maximum la « movie star » belge. 
        Ayant largué sa pêche libératrice, Hark revient finalement à Hong-Kong pour réaliser « le 2001 du film d'action » avec Time and Tide et une suite aux Guerriers de la Montagne Magique, Legend of Zu, encore plus expérimental que le premier volet. La rédemption est de courte durée. La production chaotique de Seven Swords en 2004 est un nouveau coup dur. Sa relecture des Sept Samouraïs est fascinante, mais il ne reste que des lambeaux d'un projet à l'origine beaucoup plus ambitieux. Sans doute épuisé par l'expérience, le bonhomme semble avoir perdu son mojo. Ses films suivants sont ratés (Missing, All About Women).

Heureusement, il retrouve en 2010 son cher Wu Xia Pian et son intérêt pour les mythes avec l'excellent Détective Dee, le mystère de la flamme fantôme. Puis il se réconcilie enfin avec Jet Li (jadis en brouille depuis Le Tournoi du Lion en 93) et le met en vedette dans un blockbuster produit intégralement en Chine : The Flying Swords of Dragon Gate. Enfin, nous y sommes ! Ouf...

    Dragon Gate, la légende des sabres volants est un remake, et ce à plus d'un titre. Le scénario s'inspire librement de la vieille légende chinoise de l'Auberge du dragon, lieu de meurtre et de fourberie. Réalisateur des chefs-d’œuvre A Touch of Zen et L'Hirondelle d'or, l'immense King Hu s'inspire deux fois de la légende pour Dragon Gate Inn en 66 et L'Auberge du Printemps en 73. Tsui Hark lui-même en tire en 92 le déjà excellent Dragon Inn (aka New Dragon Gate Inn). Officiellement sous la direction de Raymond Lee (un brave homme de paille), il y dirige Tony Leung Ka-Fai et Brigitte Lin.

Et voici le cru de 2011 ! Oui, j'écris bien : 2011 – sortie en Chine - le 15 décembre. Or, ce film est sorti dans nos belles contrées le 27 juin 2013. Soit un an et demi après son exploitation en Asie. Bon gré mal gré, le dernier Tsui Hark a fini par s'importer au pays du munster presque sain et sauf... dans les rayons vidéo de nos boutiques favorites. J'en arrive donc au second point épineux. Non seulement, la dernière folie de Tsui Hark, on l'aura attendu, pauvres français que nous sommes. Mais en plus ces messieurs de la distribution n'ont même pas fait l'effort de sortir le film en salles ! Il a eu droit à une diffusion au PIFF pour la forme. Puis basta : Direct-To-Video. Merci, bonsoir ! 
Je passerai sur le fait que la version 3-D n'est disponible qu'en V-F (ça commence vraiment à courir sur le haricot !) Soyons-honnêtes. Le film propose un spectacle total en 3-D immersive réalisé par un génie visionnaire. La perspective de mater la chose sur mon splendide écran d'ordi 30 pouces me réjouit autant que de torcher un éléphant avec un coton-tige. Néanmoins, même sur support étriqué, le film reste ce qu'il est : un blockbuster furieusement complexe et barré.

Cette version 2011 est bien différente des précédentes. Moins contemplative que la version de 66 et moins touchante que celle de 92, ce remake ne fait pas dans la dentelle. Dès la scène d'introduction, le réalisateur nous transporte dans son univers à l'aide d'un sublime travelling avant virtuose. Ça donne le ton. Le film est un nouveau terrain d'expérimentations pour Tsui Hark. Il s'amuse avec tous ses jouets : les mouvements de caméra, les CGI, la 3-D,... le tout pour nous en mettre plein les mirettes. Il ne laisse plus sa caméra improviser le cadrage et filer comme à la grande époque de The Blade et son style fulguro-poing. Il étudie soigneusement chaque plan, profite de la profondeur de champ et laisse à nos pauvres yeux une bonne visibilité des effets 3-D. Le film devient un carnaval de jaillissements d'objets en pleine poire (ce qui rend la vision du film en 2-D d'autant plus frustrante, j'insiste). Son cinéma est peut-être devenu plus accessible au grand public, mais le maître n'a rien perdu de sa verve.


Tsui Hark ne refait jamais le même film, et le prouve. Le huis-clos classique devient désormais un maelström dingue et renversant. Il ajoute à ce récit déjà riche un côté plus aventureux et épique. L'auberge repose désormais sur un MacGuffin, les vestiges d'un vieux temple enfoui sous le sable du désert. Seule une gigantesque tempête, qui se produit tous les 60 ans, est capable de déterrer le trésor tant convoité. Cette promesse se concrétise lors d'un climax incroyable et orgiaque. Quitte à perdre toute crédibilité et à laisser plus d'un spectateur sur le pavé, ses vieux fans compris, Tsui Hark ose et frôle l'overdose. Son film est à la fois excitant, généreux, et frustrant. Le résultat final n'est sans doute pas l’œuvre la plus aboutie du réalisateur (loin de là). Son film fourmille d'idées tantôt incongrus, belles et aussi laides... Laides, certes, notamment sur le plan technique. Certaines incrustations sont hideuses (et je pèse mes mots) et accusent bien dix ans de retard sur la concurrence U-S (et je pèse mes chiffres). A noter que ce décalage technologique, dû sans doute à une post-production négligée, est récurrente dans le cinéma chinois. Les fonds vert sont ultra-visibles. Il faut s'en accommoder et faire le deuil du photo-réalisme pour pouvoir profiter du film. D'ailleurs niveau réalisme, on peut toujours s'asseoir sur les ronces côté baston. Les personnages effectuent des envolées fantastiques à la manière d'un Tigre et Dragon (moins le côté long et empesé du style "je me prends pour King Hu moins son génie"). Pour sûr, le parti pris est risqué. Le film décevra forcément. Nous sommes à mille lieux des combats crédibles du premier Il était une fois en Chine (et ne parlons même pas de The Blade, référence ultime en matière de fight sévère)

De son côté, le scénario est un puzzle infernal. Il ne laisse aucun répit au spectateur, qui n'est pris ni par la main ni pour une truffe. Les événements se déchaînent ; les twists s'enchaînent ; les personnages se bousculent au portillon. Ils se présentent, disparaissent, changent d'identité, prennent de l'importance, trahissent sans arrêt... Il faut s'accrocher sec pour suivre cette intrigue à tiroirs. Tsui Hark a certes plus de rigueur dans son écriture que par le passé, mais il conserve les séquelles du frappadingue « what the fuckesque » que nous chérissons tant. Et de ce chaos surgit un propos malin. Le divertissement dissimule un caractère politique et social, où chaque personnage compose le paysage d'une nation chinoise décomposée et impossible à unifier. Évidemment, ce propos sous-jacent et rebelle se dissimule fort bien sous l'action débridée et les chorégraphies couillonnes de Yuen Bun. Et fuck la censure !


Parlons un peu des personnages. Leur gestion est plutôt couillue. Jet Li, la star charismatique du film, disparaît pendant presque une heure de l'écran. Sans rire ! Celui qui tient le haut de l'affiche brille par son absence la moitié du film. Et le pire, c'est à peine choquant ! Faut dire qu'on commence à être habitué avec les absences du sieur Li. Monsieur je-me-casse-d'Expendables-2-au-bout-de-5-minutes, justement pour aller tourner le film de Tsui Hark (j'imagine la scène : « Bon, les mecs ! J'en ai ras ma casquette d'être le chinetoque de service. J'me casse faire un vrai film débridé dans le pays de mes ancêtres. Trouvez un autre asiat'. Ça manque pas : on est plus d'un milliard. Z'avez qu'à piocher dans le tas ! »
Bref ! L'acteur fait preuve d'une certaine modestie en se retirant pour le bien de l'histoire et réduisant son temps de présence à l'écran. D'où une légère frustration : on en attendait sans doute plus des retrouvailles entre Jet Li et Tsui Hark. Mais ça valait tout de même la peine de quitter le film de Simon West pour ça, c'est certain.


Les personnages les plus intéressants sont finalement les seconds rôles. Qui ne sont pas vraiment des « seconds », puisque certains prennent de l'ampleur au fur et à mesure que se déroule l'intrigue. Tsui Hark confirme son attachement pour les personnages féminins. Les femmes sont toujours aussi fortes et les actrices talentueuses. Elles détiennent chacune une personnalité atypique et écrasent par leur charisme leurs mâles de partenaires. N'en déplaise à Almodovar, Tsui Hark est sans doute le réalisateur contemporain le plus féministe de sa génération.

Dragon Gate version 2011 brille par ses idées et son traitement épique. Si la lecture du récit souffre d'une frénésie esthétique pas toujours heureuse, le rythme du film est extrêmement soutenu. Si bien que les 120 minutes passent comme une lettre à la poste. Vous êtes prévenus, accrochez-vous ! C'est verbal, physique, rapide, les séquences s'enchaînent sans répit et les personnages pullulent. Le mogul signe un divertissement d'une grande exigence, qui aime nous perdre et passe à la trappe nos certitudes. Autrement dit, une deuxième lecture sera nécessaire pour éclaircir au mieux les ramifications de cet imbroglio pleins de tenants et d'aboutissants.

Inutile de s'étaler plus longuement sans spolier. Ce film mérite vraiment notre attention. Le mauvais calembour placé en guise de titre est tout sauf gratuit. C'est même la note d'intention de cet article. Le titre alternatif était "BANDEZ VOTRE HARK !" Mais ça me semblait un peu trop enthousiaste comme intention.


Alors, allez-y ! Le maître revient en 2014 avec Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon (et cette fois, sur grand écran ou je fais une révolution)




  
Mumu (du Haut-Canif)

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