SUIS HARK !
Le retour de la vengeance de
l'Auberge du Dragon en 3D... et en DTV
Ma première vraie bafouille en tant que DWARF. C'est l'occasion de vous causer d'un grand réalisateur que
j'adore et de me poser d'office un défi. Faisant
fie du risque encouru, je prends le taureau par les cornes et me
lance, bien candide, dans la présentation hautement subjective du
dernier film du génial Tsui Hark (pléonasme ?)
Jet Li fait son come-back chez Tsui Hark |
Me
voici donc dans la position du microbe au pied du Burj Khalifa.
L'ascension est périlleuse. Comment présenter le stakhanoviste de Hong-Kong
en quelques lignes ? Autant décrire l'indicible, et je laisserais bien ce boulot à Lovecraft. Il serait préférable de jeter l'éponge, et
le bébé avec l'eau du bain, mais contraint de pondre cette critique
sous peine de me faire écraser les doigts par Slobodan (Cf. Une Bouteille à la mer), je me vois
dans l'obligation de l'introduire comme il se doit (au sens figuré,
cela s'entend...) Je vais donc ouvrir une gigantesque parenthèse en
son honneur.
Né
au Viêt-nam mais 100 % H-K, Tsui Hark est un fou filmant, un
OVNI, un électron libre incroyable et visionnaire. Digression
nécessaire : oui, j'emploie bien l'adjectif "visionnaire",
un mot bien galvaudé et sans arrêt collé à tort et à travers sur
le premier fumiste venu (ne me forcez pas de suite à citer des noms,
ce serait hors-sujet. Rassurez-vous, ils arriveront bien assez tôt.
Et ça va envoyer des maracas, faites-moi confiance !). Fermons
cette parenthèse un brin trollesque et revenons sur notre sujet :
Tsui Hark est inénarrable. Mais pas pour tout le monde. En 94, les
Sparks ont le vent en poupe et les cojones bien placés pour
dresser un portrait du bonhomme aussi synthétique que leur style
musical. En résulte une chanson très inspirée sobrement intitulée
Tsui Hark. Je vous laisse juges de la qualité du morceau :
Veuillez excuser
l'auteur de ces lignes de ne pas traduire les paroles ci-dessous afin
de ne point altérer leur essence poétique et leur subtilité
intrinsèque
J'espère que les
lecteurs non-anglophones ne seront pas trop incommodés.
I'm Tsui Hark
I'm film director
I've made several
films
I've won several
awards for my films...
puis filmographie ultra-sélective
Qu'ajouter
de plus au C-V ? Les Sparks m'ont mâché tout le boulot. Plus
rien à dire.
Trêve
de plaisanterie. Présenter en 94, même sommairement, un artiste
bridé par ses origines et peu connu du public occidental est
suffisamment osé pour le souligner. Les Sparks retranscrivent une
petite parcelle de la prodigieuse filmographie de Tsui Hark.
(Presque) autant de perles qui marquèrent l'histoire du cinéma
local et du cinéma global. Ni plus, ni moins. Hark a dynamité le Wu
Xia Pian dès son premier film The Butterfly Murders
en 79.
Genre sacré et lucratif par
excellence pour la Shaw Brothers, le film de sabre chinois a à l'époque épuisé son filon et tournait en rond depuis belle lurette. Qu'à cela ne tienne ! Tsui Hark s'empare des
codes du genre et les transcende, les malmène, les explose. Sa
caméra filme du jamais-vu en matière de chorégraphies. Il aime le
Kung-fu et ne se lasse pas de filmer sa grâce. Il ne craint guère
de se frotter aux mythes, aux vieux contes ancestraux, au folklore
chinois et leur offre une cure de jouvence bienfaitrice. Son style
déjanté et poétique fait merveille, notamment dans l'expérimental
Zu, Les Guerriers de la Montagne Magique en 83. L'année
suivante, le succès est enfin au rendez-vous. Il fonde sa propre
société, FilmWorkshop, et
se lie avec
le vétéran John
Woo.
A
partir de là, c'est la timbale. Il signe ou produit par la suite un
quasi sans-faute que je balance pêle-mêle comme un sagouin (car on
n'a pas le temps), des titres qui résonnent comme autant d’uppercuts
filmiques : Shangaï Blues, Pekin Opera Blues
(plus grand film
féministe de tous les temps), Histoire de fantôme chinois,
Le Syndicat du crime, The Killer, The Master,
Swordsman 2, Il était une fois en Chine,
Green Snake, The
Lovers (plus grand film d'amour
de tous les temps), The Blade
(plus grand film d'action de tous les temps), Le Festin
chinois, Dans la Nuit
des Temps...
Bref, mettons
un frein. Cette veine
prodigieuse n'est pas sans
limite, hélas.
Tsui
Hark répond aux sirènes hollywoodiennes
en 97. Il signe
volens nolens
son premier véritable
étron, Double Team,
avec un JCVD peu conciliant en vedette. Mais Hark est
rancunier et se venge l'année
suivante dans Piège
à Hong-Kong. Ce
nanar volontaire timbré déguisé en suicide artistique se destine à
humilier
au maximum la
« movie star » belge.
Ayant largué sa pêche
libératrice, Hark
revient finalement à Hong-Kong pour réaliser « le 2001
du film d'action »
avec Time and Tide
et une suite aux Guerriers de la Montagne Magique, Legend of Zu, encore plus expérimental que le premier volet. La rédemption
est de courte durée. La production
chaotique de Seven Swords
en 2004 est
un nouveau coup dur. Sa
relecture des Sept Samouraïs
est fascinante, mais il ne reste que des
lambeaux d'un
projet à l'origine beaucoup plus ambitieux.
Sans doute épuisé par
l'expérience, le bonhomme
semble avoir
perdu son mojo. Ses
films suivants sont ratés
(Missing, All
About Women).
Heureusement,
il retrouve en 2010 son cher Wu Xia Pian et son intérêt pour les
mythes avec l'excellent Détective Dee, le mystère de la
flamme fantôme. Puis il se
réconcilie enfin avec Jet Li (jadis en brouille depuis Le
Tournoi du Lion en
93) et le met en vedette dans un blockbuster produit intégralement
en Chine : The Flying Swords of Dragon Gate.
Enfin, nous y sommes !
Ouf...
Dragon
Gate, la légende des sabres volants
est un remake, et ce à plus d'un titre.
Le scénario
s'inspire
librement de
la vieille légende chinoise
de l'Auberge du
dragon, lieu de meurtre et de
fourberie. Réalisateur
des chefs-d’œuvre
A Touch of Zen et
L'Hirondelle d'or,
l'immense
King Hu s'inspire deux fois de la légende pour Dragon Gate Inn en
66 et L'Auberge du Printemps
en 73. Tsui Hark lui-même
en tire en 92 le
déjà excellent Dragon
Inn (aka New Dragon
Gate Inn).
Officiellement
sous la direction de Raymond
Lee (un brave homme de
paille), il y dirige
Tony Leung Ka-Fai et Brigitte
Lin.
Et
voici le cru de
2011 ! Oui, j'écris bien : 2011 – sortie en Chine
- le 15 décembre. Or, ce film est sorti dans nos belles contrées le
27 juin 2013. Soit un an et demi après son exploitation en Asie. Bon
gré mal gré, le dernier Tsui Hark a fini par s'importer au pays du
munster presque sain et sauf... dans les rayons vidéo de nos
boutiques favorites. J'en arrive donc au second point épineux. Non
seulement, la dernière folie de Tsui Hark, on l'aura attendu,
pauvres français que nous sommes. Mais en plus ces messieurs de la
distribution n'ont même pas fait l'effort de sortir le film en
salles ! Il a eu droit à une diffusion au PIFF pour la forme.
Puis basta : Direct-To-Video. Merci, bonsoir !
Je passerai
sur le fait que la version 3-D n'est disponible qu'en V-F (ça
commence vraiment à courir sur
le haricot !) Soyons-honnêtes.
Le film propose un spectacle total en 3-D immersive réalisé par un
génie visionnaire. La perspective de mater la chose sur mon
splendide écran d'ordi 30 pouces me réjouit autant que de torcher
un éléphant avec un coton-tige. Néanmoins, même sur support
étriqué, le film reste ce qu'il est : un blockbuster
furieusement complexe et barré.
Cette
version 2011 est bien différente des précédentes. Moins
contemplative que la version de 66 et moins touchante que celle de 92,
ce remake ne fait pas dans la dentelle. Dès la scène
d'introduction, le réalisateur nous transporte dans son univers à
l'aide d'un sublime travelling avant virtuose. Ça donne le ton. Le
film est un nouveau terrain d'expérimentations pour Tsui Hark. Il
s'amuse avec tous ses jouets : les mouvements de caméra, les CGI, la 3-D,... le tout pour nous en mettre plein les
mirettes. Il ne laisse plus sa caméra improviser le cadrage et filer
comme à la grande époque de The Blade
et son style fulguro-poing. Il étudie soigneusement chaque plan,
profite de la profondeur de
champ et laisse à
nos pauvres yeux une bonne
visibilité des effets 3-D.
Le film devient un carnaval de jaillissements d'objets en pleine
poire (ce
qui rend la vision du film en 2-D d'autant plus frustrante,
j'insiste).
Son cinéma est peut-être devenu plus accessible au grand
public, mais le maître n'a rien perdu de sa verve.
Tsui
Hark ne refait jamais le même film, et le prouve. Le huis-clos
classique devient désormais un maelström dingue et renversant. Il
ajoute à ce récit déjà riche un côté plus aventureux et épique.
L'auberge repose désormais sur un MacGuffin, les vestiges d'un vieux
temple enfoui sous le sable du désert. Seule une gigantesque
tempête, qui se produit tous les 60 ans, est capable de déterrer le
trésor tant convoité. Cette promesse se concrétise lors d'un
climax incroyable et orgiaque. Quitte à perdre toute crédibilité
et à laisser plus d'un spectateur sur le pavé, ses vieux fans
compris, Tsui Hark ose et frôle l'overdose. Son film est à la fois
excitant, généreux, et frustrant. Le résultat final n'est sans
doute pas l’œuvre la plus aboutie du réalisateur (loin de là).
Son film fourmille d'idées tantôt incongrus, belles et aussi
laides... Laides, certes, notamment sur le plan technique. Certaines
incrustations sont hideuses (et je pèse mes mots) et accusent bien
dix ans de retard sur la concurrence U-S (et je pèse mes chiffres).
A noter que ce décalage technologique, dû sans doute à une
post-production négligée, est récurrente dans le cinéma chinois.
Les fonds vert sont ultra-visibles. Il faut s'en accommoder et faire le deuil du photo-réalisme pour pouvoir profiter du film.
D'ailleurs niveau réalisme, on peut toujours s'asseoir sur les
ronces côté baston. Les personnages effectuent des envolées
fantastiques à la manière d'un Tigre et Dragon (moins le
côté long et empesé du style "je me prends pour King Hu moins son génie").
Pour sûr, le parti pris est risqué. Le film décevra forcément.
Nous sommes à mille lieux des combats crédibles du premier Il
était une fois en Chine (et ne parlons même pas de The Blade, référence ultime en matière de fight sévère)
De
son côté, le scénario est un puzzle infernal. Il ne laisse aucun
répit au spectateur, qui n'est pris ni par la main ni pour une
truffe. Les événements se déchaînent ; les twists
s'enchaînent ; les personnages se bousculent au portillon. Ils se présentent,
disparaissent, changent d'identité, prennent de l'importance,
trahissent sans arrêt... Il faut s'accrocher sec pour suivre cette
intrigue à tiroirs. Tsui Hark a certes plus de rigueur dans son
écriture que par le passé, mais il conserve les séquelles du
frappadingue « what the
fuckesque » que nous chérissons tant. Et de ce chaos
surgit un propos malin. Le divertissement dissimule un caractère
politique et social, où chaque personnage compose le paysage d'une
nation chinoise décomposée et impossible à unifier. Évidemment,
ce propos sous-jacent et rebelle se dissimule fort bien sous l'action
débridée et les chorégraphies couillonnes de Yuen Bun. Et fuck la
censure !
Parlons
un peu des personnages. Leur gestion est plutôt couillue. Jet Li, la
star charismatique du film, disparaît pendant presque une heure de
l'écran. Sans rire ! Celui qui tient le haut de l'affiche
brille par son absence la moitié du film. Et le pire, c'est à peine
choquant ! Faut dire qu'on commence à être habitué avec les
absences du sieur Li. Monsieur je-me-casse-d'Expendables-2-au-bout-de-5-minutes,
justement pour aller tourner le film de Tsui Hark (j'imagine la
scène : « Bon,
les mecs ! J'en
ai ras ma casquette d'être
le chinetoque
de service. J'me
casse faire un vrai film débridé dans
le pays de mes ancêtres. Trouvez un autre asiat'.
Ça manque pas : on est plus d'un milliard. Z'avez
qu'à piocher dans le tas ! »)
Bref !
L'acteur fait preuve d'une certaine modestie en se retirant pour le
bien de l'histoire et réduisant son temps de présence à l'écran.
D'où une légère frustration : on en attendait sans doute plus
des retrouvailles entre Jet Li et Tsui Hark. Mais ça valait tout de
même la peine de quitter le film de Simon West pour ça, c'est
certain.
Les
personnages les plus intéressants sont finalement les seconds rôles.
Qui ne sont pas vraiment des « seconds », puisque
certains prennent de l'ampleur au fur et à mesure que se déroule
l'intrigue. Tsui Hark confirme son attachement pour les personnages
féminins. Les femmes sont toujours aussi fortes et les actrices
talentueuses. Elles détiennent chacune une personnalité atypique et
écrasent par leur charisme leurs mâles de partenaires. N'en
déplaise à Almodovar, Tsui Hark est sans doute le réalisateur
contemporain le plus féministe de sa génération.
Dragon
Gate version 2011 brille par ses idées et son traitement épique.
Si la lecture du récit souffre d'une frénésie esthétique pas
toujours heureuse, le rythme du film est extrêmement soutenu. Si
bien que les 120 minutes passent comme une lettre à la poste. Vous
êtes prévenus, accrochez-vous ! C'est verbal, physique,
rapide, les séquences s'enchaînent sans répit et les personnages pullulent. Le mogul signe un divertissement d'une grande exigence,
qui aime nous perdre et passe à la trappe nos certitudes. Autrement
dit, une deuxième lecture sera nécessaire pour éclaircir au mieux
les ramifications de cet imbroglio pleins de tenants et
d'aboutissants.
Inutile
de s'étaler plus longuement sans spolier. Ce film mérite vraiment
notre attention. Le mauvais calembour placé en guise de titre est
tout sauf gratuit. C'est même la note d'intention de cet article. Le titre alternatif était "BANDEZ VOTRE HARK !" Mais ça me semblait un peu trop enthousiaste comme intention.
Alors, allez-y ! Le maître revient en 2014 avec Young
Detective Dee : Rise of the Sea Dragon (et
cette fois, sur grand écran ou
je fais une révolution)
Mumu (du Haut-Canif)
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