Lalaland, l'autre pays du fromage
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Film du réalisateur belge Lew Xypher, sorti en 2010, Malice in Lalaland est remarquable à deux points de vue. Le premier est de s'être offert un tournage en 35 mm et la prétention de renouer avec la veine cinématographique qui fut l'apanage du X des années 70. Le second est d'être le dernier opus de l'inestimable Sasha Grey dans le business de la San Fernando Valley – et pour les rares qui ignoreraient encore qui est la jeune femme qui se cache derrière ce doux pseudonyme, internet est votre ami et les articles fleurissent amplement sur le destin de celle pour qui le X ne fut qu'une brève mais prolifique parenthèse dans ce qui s'annonce une longue et prometteuse carrière.
Depuis toujours actrice, musicienne et mannequin, depuis peu auteur à succès dont le roman Juliette Society se pose comme l'anti Fifty Shades of Grey, il serait possible de disserter largement sur Sasha, sa culture, son âme d'artiste et le caractère touche à tout qui fit son succès, mais le propos ici est ailleurs.
Malice in Lalaland est avant tout une libre interprétation du roman de Lewis Carroll sur la jeune ingénue qui passe de l'autre côté du miroir et apprend à comprendre ses propres transformations dont elle finira par tirer un certain nombre d'enseignements.
L'autre côté du miroir ici est celui que l'on atteint après avoir franchi les portes de la perception chères à William Blake dont les étudiants des Beaux-Arts viennent se gargariser benoîtement, citant Jim Morrison citant lui-même le poète dont ils n'ont rien lu d'autre que ce que l'Homme Lézard a bien voulu leur faire parvenir, déroulant le discours niais et auto-satisfait d'une rébellion de fils à papa "middle class" de bon aloi, libertaire et orignal, croient-ils, quand les plus sombres clichés obscurcissent ce qu'ils prennent pour un libre-arbitre dans la machine du prêt à penser néo-révolutionnaire des post-ados en quête d'identité alternative, fumant des joints comme des clopes en signe d'une bien convenable contestation avant d'aller jouer de la guitare dans les parcs, en sarouel avec leur t-shirt Guevara, l'air pénétré de leur superficielle profondeur, hurlant leur amour d'un alter mondialisme nécessaire mais dont ils n'auront plus rien à secouer une fois sur le marché du travail – du moins pour 90 % d'entre eux, pratiquant principalement l'Art de la pose dont le temps variable permettra de faire entrer plus ou moins de lumière dans une production pseudo-nihilistes et bas de plafond dont l'essentiel se limitera à des photos dignes de vacances au Mont Saint Michel ou d'un catalogue de la Redoute :
LE JEUNE
Non mais tu vois, la drogue ça permet de voir plus loin quoi... Ça développe la créativité j'veux dire et ça permet de voir le monde comme il est vraiment et pas comme ils veulent nous faire croire qu'il devrait être quoi…
"ILS"... Le gouvernement, les Illuminati, le complot judéo-maçonnique, les forces occultes qui dirigent ce monde comme d'autres la Matrice.
LE JEUNE
Ouais mais la drogue tu vois, ça me rapproche de Dieu quoi… De l'Univers… Je comprends qu'on est tous les mêmes parties d'un grand tout cosmique…On est les citoyens du monde man…
Sauf que la drogue, c'est comme le cul : soit tu es un chamane et là je comprends l'expérience mystique, soit tu es un m'as-tu-vu et ces deux catégories dévient du joyeux milieu récréatif qu'elles ne devraient jamais quitter.
LE JEUNE
D't'façon, tout ça, c'est pour nous faire taire !
En effet. Ta gueule.
Ce qu'il est néanmoins possible de retenir du discours stéréotypé de ce jeune nigaud et finalement doux rêveur que nous fumes tous un jour – c'était ça ou être Jean Sarkozy alors franchement… –, c'est qu'il y a une constante universelle dans la nature humaine : la quête d'identité et en ce qu'elle entretient un rapport à l'altérité, l'identité sexuelle y tient une place prépondérante. Nous sommes nous parce que nous ne sommes pas un autre ou justement parce que nous sommes autre, pas comme tout le monde, un être unique qui se définit de multiples manières.
Nous sommes aujourd'hui entrés de plain-pied dans l'ère du post-postmodernisme, dans laquelle nous faisons tous partie d'une multiplicité de groupes restreints dont l'agglomérat ne forme au final que l'ensemble de la société au sein de laquelle nous évoluons – s'agissant de ne pas occulter le fait que l'homme est d'abord un animal grégaire et très peu sociétal, ce qui tend à expliquer bon nombre des dysfonctionnements de notre temps.
Aujourd'hui, il ne suffit plus par exemple d'être tatoué pour se démarquer ou appartenir à une marge – l'inverse serait même plutôt vrai – mais de faire partie d'une quantité d'autres segments représentants les différentes faces d'une seule identité, riche et complexe, mais qui peine par la même justement parfois à se définir (geek, hipster, nerd, LGBT, MILF, Cougar, Teen, quadra, quinqua, bobo, riche, pauvre… tout est devenu définissable pour entrer dans le carcan des études de marché).
A cet égard, le cinéma pornographique s'est toujours posé à l'avant-garde de l'expression d'une indiscutable altérité et s'il est de moins en moins en marge d'une société contemporaine qui tend néanmoins récemment à rehausser une hypocrisie pour bonne partie tombée avec l'avènement d'internet et de ses moteurs de recherche, il conserve toutefois sa dimension exploratrice des tendances à venir et de la prochaine norme – les premiers tatoués justement, les premiers piercings, les premiers tickets de métro, les premières épilations intégrales et tout un tas de "nouvelles pratiques" se sont d'abord démocratisés dans les films pour adultes.
Pourtant, même au sein d'un milieu apparemment restreint, les mouvances et mouvements diffèrent en nature comme en culture, posant depuis que le porno existe une éternelle question : créé-t-il les nouvelles pratiques ou ne fait-il que mettre en lumière ce qui point à l'horizon ? Un peu des deux mon capitaine.
A l'heure où Joanna Angel, papesse du Alt Porn qu'elle a en premier développé via son site et ses productions Burning Angel et dont le développement se fit conjointement avec celui des désormais plus que célèbres Suicide Girls, se voit consacrer des reportages sur ARTE – tout comme Stoya ou justement la tendre Sasha Grey –, la véritable altérité devient celle de n'être ni piercé, ni tatoué et de s'amouracher d'un retour aux sources de relations saines et "normales", à grand renfort de HD et de slow motion, avec un résultat plutôt plaisant à découvrir chez X-Art ou Pure HD pour les plus curieux d'entre vous.
A l'heure de Jacquie & Michel, de l'amateurisme et du téléchargement à gogo des lolos par les connaisseurs à gros débit, le porn a dû se réinventer en proposant notamment une plus-value qui ne pouvait plus uniquement reposer sur l'exclusivité de diffusion des cinéma porno des 70's et ce depuis l'époque où le piratage des VHS a permis la multiplication des copies sous le manteau jusqu'à l'explosion actuelle qui fait de la pornographie le premier topic mondial sur la Toile.
Nous sommes passés du film à la scène et c'est là que le cinéma est mort. Et le X de se lancer soit dans une surenchère de pratiques extrêmes que peuvent rarement atteindre les amateurs parasitant la bonne marche économique d'un milieu en souffrance, soit dans une surenchère de moyens, à coups de starification à tout va, de cérémonies prestigieuses, de superproductions et de parodies – pas une série ou un bon film qui ne soit suédé en version explicite. Le X recourt à l'humour, le X recourt à l'amour et développe des films ambitieux aux budgets parfois affolants – plus d'un million de dollars pour Pirates XXX, remake de Pirates des Caraïbes au casting cinq étoiles, aux décors recherchés, aux effets spéciaux très largement au-dessus de la moyenne du milieu et surtout avec un plus : un scénario. Du moins, une volonté de scénario : welcome back to the Golden Age.
Et la liste est sans fin : X-Men, Thor, Wolverine, Batman (de la version avec Adam West à celle avec Christian Bale), Star Trek, The Big Lebowsky, That's Seventies Show, j'en passe et des plus étranges (Les Simpson °_°'). Donc le porno s'est lancé dans les parodies ou les super productions qui jouent autant sur le registre comique que sur un minimum de scénario et qui, s'ils sont souvent d'une qualité moyenne, posent au moins l'idée que la plus-value dans le cul, c'est le fun et c'est l'histoire – chez Dorcel, Hervé Bodilis s'est imposé comme le parangon d'un porno "upper class" avec des étalons en smokings et des filles en robes de soirée et porte-jarretelles obligatoires mais dont les histoires se limitent au strict minimum et tout l'emballage belle lumière/belles filles/beau décor/beau maquillage ne masque pas le caractère résolument gonzo de l'ensemble, pour l'essentiel comparable à une scène typique de chez Brazzers où un livreur de pizza de 35 ans va se taper une improbable bimbo sur un canapé en sky tout luisant de vaseline et qui colle aux cuisses pour compenser les 6 dollars qu'il lui manque pour payer la quatre fromages que cette gourde doit pourtant se rappeler avoir elle-même commandé environ une demi-heure plus tôt.
Le truc avec Malice in Lalaland, c'est justement que le film ne cache pas son ambition d'altérité, de se démarquer en revenant aux origines d'un cinéma pornographique au sens premier du terme, du genre qui aurait été diffusé dans les salles obscures en d'autres temps – ceux du fameux Âge d'Or des années 70, celles de Deepthroat et Linda Lovelace, de Brigitte Lahaie et John Holmes. Une époque où les films étaient diffusés en salle et donc pensés comme n'importe quelle autre production. Et Malice de justement se situer à l'exacte intersection d'un genre Alt Porn mâtiné d'un son métal et d'un road movie pseudo initiatique dans l'Amérique des cartes postales Hollywoodiennes, sans cesse référencé, un Paris-Texas sous mescaline, dopé aux phéromones.
By Wim Wenderbra |
Mais cinématographiquement ça vaut quoi ?
L'histoire d'abord. Malice (Sasha Grey) est retenue dans un hôpital psychiatrique par le Dr Queenie (Andy San Dimas), Dame de Cœur à l'esthétique vaguement fascisante, dominatrice rangeant ses sex-boys dans des tiroirs de morgues après leur avoir collé un masque en latex pourvus d'oreilles de Mickey sur la poire – oui… Lalaland, c'est aussi un peu Disneyland et son inimitable folklore –, ce qui n'est pas sans faire écho à la Crampe dans Pulp Fiction. Et donc par un heureux hasard, apparaît un lapin nain tout droit sorti de Donnie Darko qui vient libérer la jeune femme et s'enfuit avec elle et ses pantoufles-lapins blanches. S'ensuivra un road movie au cours duquel Malice s'enrichira de ses rencontres, tout en essayant d'échapper aux griffes de Jabbowski, le sbire onaniste de ce cher Dr Queenie.
Le ton est posé : on parodie tout autant le cinéma bis d'un Robert Rodriguez que le porno seventies lui-même. Ça fourmille de détails et de références et en substance tout le bestiaire carrollien est présent : Tweedledum et Tweedledee en vidéastes amateurs, le Lapin nain Donnie Darko qui guide Malice, le chat Chester Catz, sosie d'un Hunter S. Thompson adepte de photographie version Fear & Loathing in Lalaland, un sosie de Slash dans le rôle du Chapelier Fou ou encore Ron Jeremy, acteur superstar des films X des années 70 et 80, dans le rôle de la Chenille.
Paradis artificiel aux dehors infernaux, plans psychédéliques et recours au cartoon arraché au peyotl et aux champotes mexicains, le tout généreusement saupoudré de bons gros riffs de guitare bien gras qui ne sont pas sans parfois évoquer le travail de Neil Young sur le Dead Man de Jim Jarmush, le film est un condensé de références de culture pop. Terminator 2 y côtoie un Russ Meyer largement évoqué dans sa représentation d'une sexualité champêtre au pays de l'Oncle Sam et l'utilisation de plans improbables – ses fameux plans de voyeurisme à travers la serrure – ou de situations parfois cartoonesques – pensez à revoir le final de Supervixens.
Grosse série B adoptant sans vergogne les dehors des films d'exploitation de type grindhouse, balancé entre sexploitation et une mexploitation à la Rodriguez aux effets visuels fanés, ralentis foireux et accélérations douteuses, effets de montages has been, raccords pas toujours propres, sautes de plans et d'axes et j'en passe, si la grammaire cinématographique n'est pas maîtrisée à fond par le réalisateur, elle colle toutefois à l'univers bis auquel le film appartient entre deux explosions de bagnoles. Autant dire que c'est pas pire que la moitié de la filmo de Rodriguez et qu'il vaut peut-être encore mieux chercher la référence qualitative du côté du Nude nuns with Big Guns de Joseph Guzman, également auteur de Run ! Bitch Run !, deux must have des série B americano-mexicaines.
L'histoire de Malice n'est – évidemment – qu'un prétexte et la jeune femme d'évoluer de rencontres en rencontres sans avoir d'autre but que d'errer dans le merveilleux Lalaland et fuir l'immonde Jabbowski. Rien de neuf et c'est dommage car l'adjonction d'une réelle trame narrative pourrait bien un jour emmener le X dans une autre dimension – sans pour autant s'opposer au caractère récréatif recherché dans ce genre de cinéma. Nous relèverons cependant la morale de l'histoire, plutôt ambiguë :
– SPOILER ALERT –
Derechef propulsée malgré elle vers de chimiques paradis, Malice se verra revenir à son point de départ, semble-t-il sacrifiée sur l'autel d'un saphisme gothique BDSM auquel elle ne peut être que soumise car tel est son destin. A moins que tout ceci ne fut justement que le fruit de ses dérives psychédéliques dont l'essentielle vertu serait de l'extirper des effroyables limbes auxquels la condamne sa condition. Morale ambiguë mais indubitablement fidèle à la version originale qui voit revenir une Alice inchangée, dont le voyage n'est qu'un rêve n'ayant d'intérêt que pour son existence même.
– END OF SPOILER –
De l'humour, une bonne dose de whaddafuckisme – le biker en scooter avec une fausse moustache à la Hulk Hogan n'étant qu'un exemple parmi tant d'autres – et une peinture des déserts américains fidèle à l'image que l'on s'en fait, avec ses roches rouges orangées et ses stations-services délabrées, Malice retient l'attention et même si le jeu de Sasha n'est pas folichon-folichon, elle a prouvé par ailleurs être capable de bien mieux dans le Girlfriend Experience de Soderbergh ou dans Entourage. Toujours est-il que malgré des défauts inhérents aux conditions de production d'un tel film, l'ensemble ne s'avère pas pour autant à la ramasse, proposant de purs moments cinématographiques et si l'ensemble peine à tenir cohérence et consistance sur quatre-vingt quatorze minutes, il n'empêche qu'il faut souligner un effort d'autant plus louable qu'isolé dans le porn business.
Et le cul dans tout ça ?
Pas grand-chose à en dire en réalité. De la pornographie standard et fidèle aux canons actuels, d'une facture toutefois supérieure, plutôt énergique et rythmée par une bande son heavy metal bien grasse, rehaussée par des jump cut nerveux et bien sentis pour dynamiser le tout. Les filles répondent également aux standards du genre (tatouages, épilations intégrales et maquillage outrancier, silicone pour certaines…) sauf Sasha, qui a toujours eu le bon goût de rester parfaitement naturelle. Mais le contenu même des scènes ou leurs cadrages ne diffèrent en rien du mainstream US – simplement, la chair qui se meut en slow motion et 35 mm, c'est quand même émouvant.
Mention spéciale tout de même aux deux scènes bénéficiant d'une splendide lumière naturelle, un soleil dardant ses chauds rayons sur des peaux frémissantes venant poser une atmosphère singulière, surtout lorsque l'une d'elle s'accompagne d'un funk bien old school et plutôt agréable. Côté performance, pas grand-chose à dire non plus de Sasha : elle assure un beau job sans folie pour fêter son départ en retraite et s'avère même plutôt sage eu égard à ses exploits d'antan.
Et par rapport au Golden Age ?
Si le film de l'Age d'Or le plus célèbre est incontestablement Deepthroat (sorti en 1972), parce qu'il fut celui qui changea en premier la face du X et rapporta le plus d'argent dans l'histoire de l'industrie, celui dont la proposition artistique est la plus aboutie demeure sans discussion possible Behind the Green Door. Sorti seulement trois mois après l'opus avec Linda Lovelace et au succès tout aussi retentissant (50 millions de dollars de recettes pour un budget de 60 000 $), il sacra Marilyn Chambers seconde pornstar la plus célèbre de l'ère dorée – titre honorifique mentionné au générique de fin du très moyen biopic Lovelace. Marilyn n'est pas une performeuse au même titre que Linda, mais elle irradiait l'écran d'une beauté racé, elle qui débuta avec carrière dans le mannequinat avant le cinéma pour grandes personnes, créant un scandale au sein de la société américaine qui contribua partiellement au succès du film – elle avait en effet posé dans une publicité pour une marque de lessive qui fut immédiatement retirée au lancement de Behind The Green Door :
Marilyn Chambers, avant le porno (celle de gauche) |
Bien que n'empruntant pas les codes d'une même époque, d'un même genre référentiel ou d'une semblable esthétique, Malice in Lalaland et Behind the Green Door partagent cette volonté de chercher une autre voie, hors des sentiers battus du genre le plus prolifique au monde. Cependant, alors que Malice se contente d'être un film porno qui emprunte aux formes du cinéma "tradi", Behind the Green Door s'avère pour sa part être un film de cinéma de genre, porteur d'une authentique vision sur l'art et sur l'expérience de la chair et de ses plaisirs.
Film concept reposant sur un flashback et une seule très longue séquence d'ébats, non sans évoquer le mysticisme orgiaque plus tard adopté par Eyes Wide Shut, Behind est tout autant un reflet de son époque que Malice, mettant en scène la libération sexuelle de la fin des années 60, évident par son propos et son contenu explicite, mais également par son évocation constante du Living Theater.
L'absence de musique lors de très longs passages pose une atmosphère atypique lors des scènes charnelles, empreintes d'une tension palpable et au sein desquelles le sexe ne semble plus être la seule préoccupation ou l'unique enjeu, bien plus articulé autour d'un questionnement sur l'érotisme et la découverte de son potentiel sensuel. Ce silence, cette longueur, cette langueur au sein d'une séquence qui s'étire au cours d'une temporalité filmique inédite dans la pornographie, préfigure le traitement que Nagisa Oshima fera des mêmes problématiques abordées dans L'Empire des Sens en 1976, chef-d'œuvre réflexif sur les limites physiques – ou leur absence – dans la passion amoureuse.
Bien que de prime abord déstabilisante, cette quasi absence de musique s'avère au final salvatrice, a fortiori comparée à ce jazz mainstream infect qui fut la norme durant la période "porno blazer" de chez Dorcel dans les 90's – époque durant laquelle il y avait cependant encore des pseudos histoires, uniquement pour ancrer les personnages dans les clichés fantasmatiques, qui de la secrétaire ou de l'infirmière, qui du policier ou du journaliste, qui de la veuve ou de la mariée, etc...
Surtout, Behind the Green Door gagne sur le plan du charme caractéristique du X des années 70, lorsque la monstration des parties chatoyantes et non intégralement épilées ne relevait pas encore de la vidéo d'apprentissage gynécologique, froide et clinique, portant encore poétiquement l'idée que l'érotisme repose avant tout sur le pouvoir de la suggestion et que tout voir ou tout montrer revient à briser toute considération sensuelle d'un acte qui devient dès lors purement physique et non plus fusionnel. Fut un temps donc, où la pornographie était érotique et il est possible ces temps-ci d'en voir poindre le retour, comme évoqué plus haut. Il y a même dans le film une certaine retenue et une certaine pudeur dans la manière de passer à l'acte, un crescendo où les étapes se succèdent jusqu'à entrer pleinement dans un délire orgiaque et le genre dont ce film est issu.
A contrario chez Malice, la musique omniprésente vient combler les lacunes de dialogues trop peu écrits et interprétés, réduits au strict minimum là où Behind tente de réellement faire jouer ses comédiens, sans recourir à ces satanés clins d'œil au spectateur de l'opus de Lew Xypher, connivences de tous les instants d'un monde ultra référencé dont Robert Rodriguez est l'Empereur manchot (cf. Critique de Machete à cet égard). On se surprend même parfois à se demande si les comédiens ne jouent pas mal à dessein, simplement pour coller à un genre bis au sein duquel les acteurs jouaient certes tout aussi mal, "mais au premier degré, alors c'est pas pareil." Voire : Ron Jeremy s'en sort vraiment bien dans le rôle de la Chenille dealeuse de drogue et joue juste – et c'est bien le seul ici.
En comparaison, Malice qui se veut l'emblème d'une esthétique punk rock déjantée sonne malgré tout un peu creux. Ce n'est pas si déjanté, le scénario n'est tant écrit que ça et la mise en scène n'est pas si dingue – propre néanmoins et c'est déjà ça. Pourtant le film s'affirme également comme une référence aux canons du Golden Age, un porn ancré dans une histoire et issu d'une tradition qu'il auto-parodie, asymptote stylistique qu'il caresse du bout de ses doigts blancs lors de la scène du diner, rebondissant sur de la funk à l'ancienne mais pourtant récente, touchant un moment de grâce dans les envolées lyriques des solos de flûte traversière soutenus par une magnifique lumière.
Bon divertissement et œuvre faussement bis (250 000 $ de budget rappelons-le), résolument notable parmi l'incommensurable production actuelle, le film ne contient ni l'aura mystique ni la dimension culte qu'il prétendait obtenir et s'avère par ailleurs tellement calculée qu'elle en tombe à plat, vidée de sa substance, en un râle puissant. Au final, Malice in Lalaland ne parvient que trop peu à tutoyer les sommets du Golden Age mais a cependant le mérite, en ces temps quelques peu vains et superficiels dans le fond comme dans la forme, d'amorcer le mouvement vers un retour à une pornographie cinématographique et volontaire, cherchant une forme d'expression créative originale, récréative et esthétique. Espérons qu'il en ouvre la porte.
Red_Fox
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