05/11/2017

ANALYSE / CRITIQUE : STRANGER THINGS, saison 2 (Matt et Ross Duffer - 2017)

ATTENTION SPOILERS !  
Boîte à souvenirs


  Au tout début de cette saison, Mike est contraint par sa mère de regrouper ses jouets dans des cartons afin de les donner à une association. Tous ses souvenirs mis en boîte et largués ! Au revoir le dinosaure, au revoir le … ah non pas le Faucon Millenium ! Celui-là même lié à un souvenir fort, c'est comme si on la jetait elle, toute entière...
Il y a quelque chose de CE QUI S'EST PASSÉ dans cette série au demeurant géniale. Plus que cette nostalgie dont tout le monde a parlé (nostalgie véhiculée par les années 80, les hommages et clins d'œil à Spielberg, Star Wars, Stephen King, la bande originale choisie avec soin par des créateurs fans, tout comme les tee-shirts de Dustin ou la déco fourmillante de détails...), l'ode au passé, le mystère de ce qui a été, est concrétisé au sens propre, plus profondément encore dans ces nouveaux épisodes, par l'intermédiaire de plusieurs personnages PORTEURS, et constitue le fil dramaturgique de cette saison, fil imagé par plusieurs motifs forts.



  Commençons par les personnages, si charismatiques dans la série – il y en a beaucoup, mais on les aime tous, même Steve :-)
Le chef de file de cette galerie de personnages, absence omniprésente de la saison 1, et pour cause, sa disparition lançait tout l'enjeu scénaristique de la série, et tous les yeux étaient braqués sur lui : Will. Le chétif Will, prisonnier des murs de sa propre maison dans la saison précédente, s'obstinait à communiquer avec sa mère, tout aussi obstinée, par guirlandes interposées. Revenu chez les vivants, et dans le foyer familial, Willy n'est pas au bout de ses surprises, ni de son calvaire, pour autant. Son passage dans le « monde à l'envers » a laissé des séquelles, comme nous le suggérait le dernier épisode. Le garçon crachait une affreuse bêbête dans le lavabo, alors que sa famille fêtait Noël. Mais pire qu'une malédiction qui le ramènerait vers l'autre dimension, la géniale idée de cette nouvelle saison est de faire du jeune garçon un réceptacle au monstre. Nous tentons de comprendre, aux côtés de ses proches et amis, les flashs qui assaillent Will et qui le font basculer, durant le temps de sa vision, « de l'autre côté ». Ils seraient des souvenirs immédiats du Démorgogon. Will, du haut de ses 13 ans et de son petit corps pâle, porte l'âme du monstre. Pratique, peut-être qu'ainsi ils pourront le combattre, en fouillant en lui. Sauf que l'espion, c'est le Démorgogon, et il se sert du garçon pour épier. Will devient sa fenêtre, ou plus exactement et parce qu'il en sera question très bientôt, sa porte vers le monde des humains. Le corps de Will devient portail et surtout porteur. Boîte maléfique. Mais comment se débarrasser du monstre à l'intérieur tout en épargnant le garçon ? Si la rage et les mots sont ceux du Démorgogon, les yeux et la frêle silhouette sont celle d'un enfant. Quel difficile moment à vivre alors que celui où la mère, comprenant que le monstre ne supporte pas la chaleur, va créer un véritable bûcher autour de son fils, au risque de le tuer. L'enfant devient martyr. Puissance du passé contre violence du présent : face aux visions destructrices, Joyce, la maman, Jonathan, le frère, et Mike, le meilleur ami, tentent chacun à leur tour, dans une scène touchante, de faire surgir le vrai Will, par la force des souvenirs communs.

Will le Sage

  L'autre figure très forte de cette ronde de personnages, c'est Eleven, dit Elfe (Millie Bobby Brown, amour, admiration éternelle). Elle est l'incarnation d'un mystère. On a appris lors de la saison 1 qu'elle fut enlevée à sa mère pour servir de cobaye au laboratoire d'Hawkins. Mais elle ne sait rien de son passé et, en fouillant la cave de la maison de Hopper, elle trouve des cartons de dossiers et comprend. Tiens, encore un carton, mais pas rempli de jouets cette fois-ci. Le passé, pour les protagonistes de Stranger Things, est une quête et un parcours. Elfe, cachée pendant toute la saison dans cette cabane, va partir toute seule à la rencontre d'une famille possible – et s'en va même loin de Hawkins, déchirement. Son corps est le fruit d'expériences passées, et comme celui de Will, il porte un traumatisme.


Tout est recherche dans la série, cela l'était déjà dans la première saison, avec la traque effrénée de Will, et de Barbara. Ils continuent tous de vouloir résoudre l'énigme ici, tel un jeu de piste sans fin. Ils cherchent à déchiffrer, comme on cherche en soi l'origine d'une douleur. Joyce a retrouvé son fils, il va bien. Les visions qu'il a ne pourraient l'inquiéter que d'une moindre mesure après tout. Mais c'est mal connaître Joyce, et c'est la force de ce personnage prêt à tout pour son fils. Il n'a pas perdu l'usage de sa voix, mais malgré les séances chez le médecin, ils n'arrivent pas à comprendre. Alors cette super maman va utiliser l'expression favorite de Will : le dessin. Elle va traduire son intériorité. Bien sûr, elle croit son fils et va voir presque par ses yeux – elle rembobine la caméra dont il s'est servi pour Halloween et découvre le monstre à l'image. Elle regroupe tous les croquis griffonnés de manière compulsive par Will et en recouvre l'intérieur de sa maison pour dresser un dessin géant. De la même manière que les guirlandes accrochées au mur de la saison précédente, ces dessins sont une nouvelle fois une tentative de communication entre une mère et son fils, alors même que les deux sont réunis. C'est intime et beau, qu'une mère pousse à ce point l'effort de comprendre et surtout de traduire son enfant, quand d'autres auraient pu s'arrêter aux conclusions médicales d'experts.
De son côté, le shérif Hopper cherche aussi, beaucoup plus intensément que ses agents. Des parcelles de terre ont cramé, il les marque d'un fanion et délimite le terrain : une zone se dessine. Une fois sur place, il se rend compte que la zone en question est sous terre. Des galeries, gigantesques et mystérieuses.
Et entre temps, Joyce and co ont déchiffré les dessins de Will, et grâce à qui ? A Bob, le petit-ami de Joyce. Il venait amener des jeux et autres casse-têtes à Will. Il a vu dans les croquis de ce dernier une carte ! « Les lignes ne sont pas des routes, mais elles font office de routes. Ce n'est pas une carte, c'est un puzzle. C'est une carte de Hawkins ! » La carte est visible pour celui qui veut et peut voir. Or, Bob est expert en électronique mais aussi très joueur, et il n'a pas oublié son enfance. C'est lui qui confie à Will qu'il était le souffre-douleur de ses camarades d'école et comment il a pris sur lui pour ne pas se laisser faire. Et puis, le traducteur de dessins n'est pas joué par n'importe qui : c'est Sean Astin, ancien Goonies, donc ancien gosse estampillé fantastique, et ancien Sam Gamegie. Le personnage de Bob et l'acteur qui l'interprète sont tous deux mus par une grande dose de CE QUI A ÉTÉ. C'est un autre personnage porteur.
Joyce et Hopper, à eux deux, disent également un passé, chacune de leur réunion le fait ressurgir un peu à chaque fois.

"M'sieur Frodon !"

  La carte tracée par le shérif, la carte dessinée par Will, les plantes grimpantes / racines qui mènent aux galeries du Démorgogon, ainsi que les maisons de tous les personnages de la série – celle au fond des bois où est retranchée Eleven, celle de Joyce et Will bien sûr, mais aussi celle de Dustin, avec son aquarium, antre de Darte, et celle de Mike, qui servait dans la saison 1 de cachette à Elfe – sont des motifs visuels à ce fil qui relie présent et passé.

Et, évidemment, il y a le portail qui sépare le monde réel du monde à l'envers, ce portail que s'obstine à brûler l'équipe de scientifique, mais qui brûle aussi de douleur Will, porte par procuration, on l'a vu. Cette porte, c'est LE motif de la série, c'est son enjeu, c'est vers elle que vont toutes les interrogations, toutes les peurs, c'est de là que s'échappent des choses inconnues, étranges ou étrangères, si l'on reprend le titre de la série. Une des questions est de savoir si l'on sera assez fort pour combattre ce qui va s'échapper de cette porte. Et depuis la saison 1, tous ont montré qu'ils l'étaient, de la team de Mike, à Jonathan et Nancy, en passant par Steve. Ils ont usé de ruses, d'armes différentes, mais ils étaient tous assez forts pour ça. Et cette porte c'est quoi ? Une fois Hopper et Eleven descendus juste devant, c'est assez clair : c'est une plaie. La porte est ovale, de la forme d'une amande, et Elfe, avec toute la puissance qu'elle possède, va la refermer comme on recoud une déchirure. Elle a concentré toute sa colère, celle qui lui fait décupler ses forces, et sa douleur. Dans sa tête, cette phrase qu'on lui a dit : « tu as une blessure qui suppure ». Stranger Things, c'est une série avec un monstre, une série qui peut être d'épouvante. C'est surtout l'histoire de souterrains, veines sous la peau dans lesquelles coulent des traumatismes, et de la patiente cartographie de ces veines. Ça remonte à loin parfois, on l'a vu. Et c'est toujours là, comme n'aurait pas eu besoin de nous le rappeler le dernier plan de l'épisode final. Car sans veines, plus de vie. Et la combinaison de tous ces flux sanguins, de tous ces cœurs différents, Will, Eleven, Mike, Lucas, Dustin, Hopper, Joyce, Jonathan, Nancy, Steve, Bob, fait que l'on peut les traduire à haute voix. A eux tous, ils sont la signification. Et ils gagnent forcément. Ils guérissent. Referment les portes. Et au passage, en ouvrent, pour nous, une géante : celle de l'imagination.

Y reviennent quand ??? Snif


CHARLOTTE