05/11/2017

ANALYSE / CRITIQUE : STRANGER THINGS, saison 2 (Matt et Ross Duffer - 2017)

ATTENTION SPOILERS !  
Boîte à souvenirs


  Au tout début de cette saison, Mike est contraint par sa mère de regrouper ses jouets dans des cartons afin de les donner à une association. Tous ses souvenirs mis en boîte et largués ! Au revoir le dinosaure, au revoir le … ah non pas le Faucon Millenium ! Celui-là même lié à un souvenir fort, c'est comme si on la jetait elle, toute entière...
Il y a quelque chose de CE QUI S'EST PASSÉ dans cette série au demeurant géniale. Plus que cette nostalgie dont tout le monde a parlé (nostalgie véhiculée par les années 80, les hommages et clins d'œil à Spielberg, Star Wars, Stephen King, la bande originale choisie avec soin par des créateurs fans, tout comme les tee-shirts de Dustin ou la déco fourmillante de détails...), l'ode au passé, le mystère de ce qui a été, est concrétisé au sens propre, plus profondément encore dans ces nouveaux épisodes, par l'intermédiaire de plusieurs personnages PORTEURS, et constitue le fil dramaturgique de cette saison, fil imagé par plusieurs motifs forts.



  Commençons par les personnages, si charismatiques dans la série – il y en a beaucoup, mais on les aime tous, même Steve :-)
Le chef de file de cette galerie de personnages, absence omniprésente de la saison 1, et pour cause, sa disparition lançait tout l'enjeu scénaristique de la série, et tous les yeux étaient braqués sur lui : Will. Le chétif Will, prisonnier des murs de sa propre maison dans la saison précédente, s'obstinait à communiquer avec sa mère, tout aussi obstinée, par guirlandes interposées. Revenu chez les vivants, et dans le foyer familial, Willy n'est pas au bout de ses surprises, ni de son calvaire, pour autant. Son passage dans le « monde à l'envers » a laissé des séquelles, comme nous le suggérait le dernier épisode. Le garçon crachait une affreuse bêbête dans le lavabo, alors que sa famille fêtait Noël. Mais pire qu'une malédiction qui le ramènerait vers l'autre dimension, la géniale idée de cette nouvelle saison est de faire du jeune garçon un réceptacle au monstre. Nous tentons de comprendre, aux côtés de ses proches et amis, les flashs qui assaillent Will et qui le font basculer, durant le temps de sa vision, « de l'autre côté ». Ils seraient des souvenirs immédiats du Démorgogon. Will, du haut de ses 13 ans et de son petit corps pâle, porte l'âme du monstre. Pratique, peut-être qu'ainsi ils pourront le combattre, en fouillant en lui. Sauf que l'espion, c'est le Démorgogon, et il se sert du garçon pour épier. Will devient sa fenêtre, ou plus exactement et parce qu'il en sera question très bientôt, sa porte vers le monde des humains. Le corps de Will devient portail et surtout porteur. Boîte maléfique. Mais comment se débarrasser du monstre à l'intérieur tout en épargnant le garçon ? Si la rage et les mots sont ceux du Démorgogon, les yeux et la frêle silhouette sont celle d'un enfant. Quel difficile moment à vivre alors que celui où la mère, comprenant que le monstre ne supporte pas la chaleur, va créer un véritable bûcher autour de son fils, au risque de le tuer. L'enfant devient martyr. Puissance du passé contre violence du présent : face aux visions destructrices, Joyce, la maman, Jonathan, le frère, et Mike, le meilleur ami, tentent chacun à leur tour, dans une scène touchante, de faire surgir le vrai Will, par la force des souvenirs communs.

Will le Sage

  L'autre figure très forte de cette ronde de personnages, c'est Eleven, dit Elfe (Millie Bobby Brown, amour, admiration éternelle). Elle est l'incarnation d'un mystère. On a appris lors de la saison 1 qu'elle fut enlevée à sa mère pour servir de cobaye au laboratoire d'Hawkins. Mais elle ne sait rien de son passé et, en fouillant la cave de la maison de Hopper, elle trouve des cartons de dossiers et comprend. Tiens, encore un carton, mais pas rempli de jouets cette fois-ci. Le passé, pour les protagonistes de Stranger Things, est une quête et un parcours. Elfe, cachée pendant toute la saison dans cette cabane, va partir toute seule à la rencontre d'une famille possible – et s'en va même loin de Hawkins, déchirement. Son corps est le fruit d'expériences passées, et comme celui de Will, il porte un traumatisme.


Tout est recherche dans la série, cela l'était déjà dans la première saison, avec la traque effrénée de Will, et de Barbara. Ils continuent tous de vouloir résoudre l'énigme ici, tel un jeu de piste sans fin. Ils cherchent à déchiffrer, comme on cherche en soi l'origine d'une douleur. Joyce a retrouvé son fils, il va bien. Les visions qu'il a ne pourraient l'inquiéter que d'une moindre mesure après tout. Mais c'est mal connaître Joyce, et c'est la force de ce personnage prêt à tout pour son fils. Il n'a pas perdu l'usage de sa voix, mais malgré les séances chez le médecin, ils n'arrivent pas à comprendre. Alors cette super maman va utiliser l'expression favorite de Will : le dessin. Elle va traduire son intériorité. Bien sûr, elle croit son fils et va voir presque par ses yeux – elle rembobine la caméra dont il s'est servi pour Halloween et découvre le monstre à l'image. Elle regroupe tous les croquis griffonnés de manière compulsive par Will et en recouvre l'intérieur de sa maison pour dresser un dessin géant. De la même manière que les guirlandes accrochées au mur de la saison précédente, ces dessins sont une nouvelle fois une tentative de communication entre une mère et son fils, alors même que les deux sont réunis. C'est intime et beau, qu'une mère pousse à ce point l'effort de comprendre et surtout de traduire son enfant, quand d'autres auraient pu s'arrêter aux conclusions médicales d'experts.
De son côté, le shérif Hopper cherche aussi, beaucoup plus intensément que ses agents. Des parcelles de terre ont cramé, il les marque d'un fanion et délimite le terrain : une zone se dessine. Une fois sur place, il se rend compte que la zone en question est sous terre. Des galeries, gigantesques et mystérieuses.
Et entre temps, Joyce and co ont déchiffré les dessins de Will, et grâce à qui ? A Bob, le petit-ami de Joyce. Il venait amener des jeux et autres casse-têtes à Will. Il a vu dans les croquis de ce dernier une carte ! « Les lignes ne sont pas des routes, mais elles font office de routes. Ce n'est pas une carte, c'est un puzzle. C'est une carte de Hawkins ! » La carte est visible pour celui qui veut et peut voir. Or, Bob est expert en électronique mais aussi très joueur, et il n'a pas oublié son enfance. C'est lui qui confie à Will qu'il était le souffre-douleur de ses camarades d'école et comment il a pris sur lui pour ne pas se laisser faire. Et puis, le traducteur de dessins n'est pas joué par n'importe qui : c'est Sean Astin, ancien Goonies, donc ancien gosse estampillé fantastique, et ancien Sam Gamegie. Le personnage de Bob et l'acteur qui l'interprète sont tous deux mus par une grande dose de CE QUI A ÉTÉ. C'est un autre personnage porteur.
Joyce et Hopper, à eux deux, disent également un passé, chacune de leur réunion le fait ressurgir un peu à chaque fois.

"M'sieur Frodon !"

  La carte tracée par le shérif, la carte dessinée par Will, les plantes grimpantes / racines qui mènent aux galeries du Démorgogon, ainsi que les maisons de tous les personnages de la série – celle au fond des bois où est retranchée Eleven, celle de Joyce et Will bien sûr, mais aussi celle de Dustin, avec son aquarium, antre de Darte, et celle de Mike, qui servait dans la saison 1 de cachette à Elfe – sont des motifs visuels à ce fil qui relie présent et passé.

Et, évidemment, il y a le portail qui sépare le monde réel du monde à l'envers, ce portail que s'obstine à brûler l'équipe de scientifique, mais qui brûle aussi de douleur Will, porte par procuration, on l'a vu. Cette porte, c'est LE motif de la série, c'est son enjeu, c'est vers elle que vont toutes les interrogations, toutes les peurs, c'est de là que s'échappent des choses inconnues, étranges ou étrangères, si l'on reprend le titre de la série. Une des questions est de savoir si l'on sera assez fort pour combattre ce qui va s'échapper de cette porte. Et depuis la saison 1, tous ont montré qu'ils l'étaient, de la team de Mike, à Jonathan et Nancy, en passant par Steve. Ils ont usé de ruses, d'armes différentes, mais ils étaient tous assez forts pour ça. Et cette porte c'est quoi ? Une fois Hopper et Eleven descendus juste devant, c'est assez clair : c'est une plaie. La porte est ovale, de la forme d'une amande, et Elfe, avec toute la puissance qu'elle possède, va la refermer comme on recoud une déchirure. Elle a concentré toute sa colère, celle qui lui fait décupler ses forces, et sa douleur. Dans sa tête, cette phrase qu'on lui a dit : « tu as une blessure qui suppure ». Stranger Things, c'est une série avec un monstre, une série qui peut être d'épouvante. C'est surtout l'histoire de souterrains, veines sous la peau dans lesquelles coulent des traumatismes, et de la patiente cartographie de ces veines. Ça remonte à loin parfois, on l'a vu. Et c'est toujours là, comme n'aurait pas eu besoin de nous le rappeler le dernier plan de l'épisode final. Car sans veines, plus de vie. Et la combinaison de tous ces flux sanguins, de tous ces cœurs différents, Will, Eleven, Mike, Lucas, Dustin, Hopper, Joyce, Jonathan, Nancy, Steve, Bob, fait que l'on peut les traduire à haute voix. A eux tous, ils sont la signification. Et ils gagnent forcément. Ils guérissent. Referment les portes. Et au passage, en ouvrent, pour nous, une géante : celle de l'imagination.

Y reviennent quand ??? Snif


CHARLOTTE

04/06/2017

DE RETOUR DE CANNES

  

  



On a quitté la spirale folle à la vitesse d'une autoroute du soleil malgré tout ralentie par les embouteillages – comme s'ils étaient là pour nous rappeler le retour imminent du quotidien. On a enchaîné sans possibilité de pause par autre chose, et c'était un peu violent. On a laissé quelques jours passer, sans retourner au cinéma ni même sans voir de films. Pour se rendre compte réellement de ce qui est resté, de ce qui s'est niché confortablement dans un coin de notre tête, au côté des images qui sont déjà là.

Un gâteau trop beau pour être vrai ?
Un festival de cinéma est un gros gâteau appétissant fait de plusieurs couches aux saveurs différentes, et on en a tellement mangé que certaines se sont faites un peu envahir par d'autres plus fortes en goût. Attention aussi à l'indigestion : à force de manger avec autant d'appétit, est-on encore capable de différencier telle ou telle saveur ? C'est toute la crainte et la curiosité d'un festival de cinéma vécu dans sa totalité : un buffet à volonté avec la recherche, en fond, de la cerise sur la gâteau.
Arrêtons là les métaphores culinaires. Il est nécessaire de revenir sur ces onze jours de cinéma, 26 films vus au total, pour faire un peu de tri, pour essayer de répondre à des questions qui nous ont titillé alors que nos yeux étaient rivés sur l'écran du Palais des festivals. Pourquoi ce film est en compétition et pas un autre ? On a cherché la réponse comme si elle expliquerait des choses aussi sur nous-même. Après quelques jours de festival, comme le bof était de mise, on a commencé à douter de sa propre sensibilité. Et si c'était moi, en fait, qui n'étais plus capable de recevoir une histoire et de voyager avec elle ? L'effrayante pensée que le cinéma ne pourrait plus marcher.
On vit chaque journée de festival à la recherche d'une pépite comme d'autres cherchent de l'or – et tout ça n'est pas de tout repos, surtout à Cannes. Mais cette année, pas de coup au cœur gros comme un monde (bleu, suivez mon regard vers la lune), pas de Mommy ou de Divines arrivant par surprise en nous terrassant. Peut-être parce que des pépites d'or, on n'en trouve pas dans toutes les rivières, et que c'est pour ça qu'elles sont rares. Si il n'y avait pas de films moyens, imparfaits et incomplets, les chefs-d'œuvre auraient moins d'effets.


De la difficulté du vrai visage.
Penchons-nous donc un instant sur ce qui a raté. Une des fréquentes erreurs surtout en ce lieu pompeux est d'utiliser le cinéma comme instrument poseur qui se donnerait un genre. Quand le faiseur d'images s'appelle Haneke ou Ozon, et donc que son nom est devenu invincible, il peut croire qu'il lui est possible de tout filmer et que le résultat sera forcément merveilleux. Pas de bol, les loulous. Le choix de nous parler en murs facebook et sms dans Happy End nous laisse stoïques et creuse définitivement le fossé entre nous et les personnages. Claudio Capéo ou les Fréro Delavega en fond sonore ? Certains vont dire que le populaire est sublimé par l'auteur. Ce serait très bourgeois comme démarche. Joachim Lafosse utilisait « Bella » de Maître Gims dans L'économie du couple (2016), et la chanson était prise pour ce qu'elle est : une musique aimée des jeunes de l'âge des fillettes de l'histoire, qui devenait partage et communication le temps d'une scène pleine de grâce. La distance est partout dans Happy End, à l'image de ces écrans qui font barrage, et toute cette famille peut bien crever, on s'en fout un peu. C'est quand même un problème, vous ne trouvez pas ?
Quant à François Ozon, je suis curieuse en général de voir son cinéma ; je connais ses obsessions, elles me font sourire, c'est bien qu'il en ait, il ne serait pas lui sans. Mais là. C'est lui qui aurait du se regarder dans un miroir : où a-t-il trouvé cette histoire ? A dédoubler son/ses personnage/s ainsi, sous couvert de psychanalyse, il touche au ridicule. Ses métaphores sont grosses comme des montagnes : le chat, les œuvres exposées dans le musée où l'héroïne travaille, la gémellité pour dire l'intériorité complexe. Il prétend, par son premier plan #originedumonde, explorer l'intimité féminine. Il n'arrive qu'à en émettre un propos assez douteux, et il noie ça sous un twist tout aussi grossier. Empruntant par ci par là au genre fantastique, horreur ou gore – on ne sait pas trop, en fait – il ne nous reste que l'envie, devant cette héroïne souffrant de maux de ventre, de sortir quelques punchlines du style, François, laisse le ptit alien dans le bidou de Sigou, stp, et arrête de chiper les jouets des autres.

Le sujet choisi ne fait pas tout si les personnages ne vibrent pas par tous les pores : Jupiter's moon évoque les migrants mais s'enlise dans sa métaphore en lévitation, Frost parle de la guerre en Ukraine mais se coltine deux visages lisses et fades pour faire figure de bénévoles humanitaires, sur une route ennuyeuse alors qu'elle est, dans la réalité, semée de dangers.
Un film doit être sincère. Son personnage doit être un COEUR, dans le sens agité de convulsions qui lui sont propres, investi d'être lui, et il doit nous être limpide, pas dans sa biographie, mais dans son/ses état/s d'individu, et la mise en scène doit nous en offrir une lecture claire.

LOL Michael hé on n'y a même pas cru à ta blague
Coucou ! J'ai rien à faire là mais c'est marrant


Enfin, la rencontre, entre étouffements et rêves.
C'est tout à fait le cas de Joe, dans You were never really here de Lynne Ramsay. Le personnage est dépeint avec les traumatismes qui l'habitent et le suivent quotidiennement : des images, presque subliminales, se collent à ses trajets d'adulte. Ses regards évanouis, ses bras ballants nous apparaissent clairement comme une définition littérale : l'enfant a été secoué, l'adulte en est resté profondément abîmé. C'est une voix intérieure qui ouvre le film : un enfant compte et recompte pour lui-même. Et puis un visage, qui semble s'entraîner à respirer sous un sac plastique. On nous dit, en introduction, cela va être dur, mais on va essayer de s'en sortir. Joe est un homme de main embauché pour retrouver des gens ou s'en débarrasser. A part sa mère, rien ne semble le faire vraiment réagir, et ses pensées noires le suivent comme des têtes chercheuses. Jusqu'au drame, et jusqu'à la rencontre avec une autre abîmée de la vie. Il aura fallu attendre le dernier jour de la Compétition pour trouver un personnage qui nous soit enfin raconté de la bonne façon et avec lequel on se sente intimement proche. Des images sensitives et un être incarné – merci Joaquin Phoenix pour son incroyable densité de jeu, il est bien sûr une des pièces qui permettent la réussite du portrait.



  A un moment, dans cette course aux images, avec en moyenne deux films par jour, forcément, on voit apparaître quelque chose qui est soi, avec les bons atours. C'est fabuleux comme moment celui où l'on se dit ah ! C'est moi ! Sans que cela soit exactement le cas bien sûr.
Le hasard fait bien les choses et il a mis sur notre route, en premier de séance, un court-métrage brésilien, à un moment où l'on n'avait le temps de n'en voir que deux et d'abréger la projection, programme cannois oblige. Nada de Gabriel Martins s'ouvre avec un travelling brassant le lieu et son foisonnement : une rue et ses passants tous occupés à leurs activités quotidiennes. Deux circulations pour ce travelling, un mouvement d'observation de la routine des gens, et un mouvement qui dessine un trajet, une route. Tous s'évertuent à tracer celle de Bia, tout juste 18 ans. Ses profs, la conseillère d'orientation qui se pointe en plein cours avec son micro, pour être sûr que sa voix – celle de la norme – sera bien entendue. Les camarades de Bia savent ce qu'ils veulent faire , orthodontie, ah oui c'est bien tu as déjà un beau sourire, #blaguedeconseillèredorientation, médecine, ah oui c'est bien médecine ... Les parents de la jeune fille ne sont pas dans le conflit ou l'obligation, mais quand même, elle pourrait passer le BAC, ça ne coûte rien. Mais tout coûte, tout prend du temps. Bia ne veut rien d'autre que son rap, qu'elle fredonne dans sa chambre. Rien dans tous ces chemins tracés d'avance par les autres ne lui fait sens. Le réalisateur offre un personnage et son individualité en quelques minutes, assise à sa table de classe, casque sur les oreilles dans les couloirs surpeuplés, devant les bougies du gâteau d'anniversaire qu'elle ne veut pas souffler. On la saisit elle au milieu de ce monde de la norme qui est aussi le nôtre, et Bia a les tripes de même seulement souhaiter autre chose. Son bonnet « troisième œil » fait presque d'elle une sage voyant mieux que les autres aveuglés par leur horizon pré-tracé. C'est le premier cœur que l'on a vu battre à Cannes cette année, le premier souffle d'une révolution pour la survie des rêves.
Débuter par un travelling contextuel, pour ensuite dessiner le trajet d'une personne ne voulant que ses propres envies : c'est le mouvement que doit créer le cinéma. Mettre les choses en opposition, et montrer que l'on peut voir plus loin. Ce film est une promesse d'avancée, pour Bia, au début de sa vie d'adulte. Pour le cinéma aussi, et cela révèle un geste de jeune réalisateur que l'on espère retrouver bientôt : tout est encore à venir.

"Et ça vaut le coup ?" A mort que ça vaut le coup Bia

  Ce trajet entre le quotidien et le rêve, un autre film l'a emprunté. Patti Cake$ raconte l'ascension de Patricia, alias Patti Cake$, qui ne vibre également que pour le rap. Le film s'ouvre par le bling bling du clip dont elle s'imagine être la star aux côtés de son rappeur préféré, et puis le réveil sonne, et c'est le retour dans la morne matinée. Le film a les codes et la construction classique d'un feel good movie, mais qu'est-ce que c'est drôle, plaisant et vibrant. Patti a un meilleur ami pharmacien, qui la lance au micro de son magasin comme on la présenterait sur scène, et voilà les paillettes entre deux rayons de médicaments. Elle a parfois honte de sa mère, surtout quand cette dernière se pointe au bar où elle travaille et commande des shots. Aimée des poivrots et fan de karaoké, la douceur et la mélancolie se devinent derrière cette maman excessive. Patti est aussi un peu ronde. En fait, plutôt très ronde. Elle va devoir se faire respecter deux fois plus, surtout dans un milieu comme le rap. Les battles sont pour le coup un parfait mécanisme scénaristique : ils mettent en relief le combat que va traverser une jeune femme pour être elle. Et réussir, avec la team de ceux qui sont toujours à l'arrière-plan du cadre sociétal, ici ses potes et sa famille. Je vote mille fois plus pour ce genre de film qui fait du bien que pour des films sinistres, poseurs, moyens ou indifférents. Le cinéma est toujours vrai quand il raconte ce qu'il y a entre le quotidien et le rêve, et quand il fait passer ses personnages de l'un à l'autre.

#pochettedalbumdemalade



Les belles intimités émergentes.
  Nous sommes finalement donc arrivés à de vrais visages, intelligemment peints. Avec Joe/Joaquin de You were never really here, deux films se retrouvent sur le podium de la parfaite alliance du fond et de la forme dans la transmission d'un portrait.
Entre soif extrême, noyade et dessèchement, le bel exercice de style de l'actrice Kristen Stewart, de passage à la réalisation avec son premier court-métrage Come Swim, nous dévoile, un peu, ce qu'on pensait bien qu'il pouvait se passer dans sa tête : des murmures, des creux, des remous. Sa personnalité hors norme donne un premier court prometteur. En 18 minutes, un personnage et ses souterrains prennent forme dans la mise en scène par le biais de l'abstraction. Cette abstraction sera aquatique : les souvenirs sont le bruit de gouttes qui tombent, le manque, la tristesse ou la solitude deviennent une peau qui se craquelle sous un puissant soleil, comme le ferait celle d'un homme fait d'argile. Kristen Stewart coupe, répète, garde dans le champ son personnage sur son chemin, qu'on comprend, quel qu'il fusse réellement. Boire la tasse. Prendre l'eau. Être en apnée. Tous ces plans d'eau figurent ces expressions.
C'est assez enivrant d'observer le début dans la réalisation d'une déjà très belle comédienne, sa façon de dévoiler des images, un profil, une histoire et des sentiments sans tout dire, en maniant aussi bien l'art de la métaphore. Métaphore qu'elle file pendant 18 minutes et qu'elle ne lâche jamais. On se pose des questions, et on a hâte de voir la suite du ruisseau, de ce courant si rapide. Thierry Frémaux a annoncé que Stewart avait depuis réalisé d'autres choses. Dans la tête de la méga star américaine, pour qui on peut bien attendre des heures, coule donc une rivière, sinon plusieurs. Un bon début, empli d'intimité et éperdu comme son personnage, et agité également par une grande soif, d'images celle-là.

 


  Il y a des cinémas de la vie de l'humain, une vie pour qui l'on ne doit pas baisser les bras, celle qui remplit tout le cadre, mais dont le hors-champ est peuplé de projectiles agressifs qui l'abîment. Et en effet, pour prélude au portrait, il y a une blessure. La vie qui emplit The Rider de Chloé Zhao, c'est un visage, celui de Brady, dresseur de chevaux du Dakota du Sud. Le film s'ouvre avec sa cicatrice, béante sur son crâne, qu'il s'est faite à son dernier rodéo. Chloé Zaho ne quittera jamais Brady, l'observant pendant tout le film patiemment ; elle ne va pas interrompre ses longs exercices de dressage, car ils sont un prolongement du jeune homme, il ne sait faire presque que ça. Sa douceur avec les chevaux le raconte lui en tant qu'individu. Il y aussi sa façon d'être avec sa sœur, et ses visites à l'hôpital auprès de son ami paralysé suite à une chute de rodéo. Il lui bouge les bras et lui recrée la sensation de rênes de cheval. Il est conducteur, guide et protecteur des autres plus que de lui-même. La caméra sonde toutes ses qualités et les met en lumière. Quand Brady découvre son cheval blessé, qu'il sait à ce moment-là qu'il doit l'abattre, c'est face à lui-même qu'il se trouve : tirer ou ne pas tirer sur l'animal, renoncer ou ne pas renoncer à son rêve de rodéo. Quels sont les rêves assez malléables pour être domptés ?
Chloé Zaho m'émeut pour la capacité qu'elle a à rester proche de l'humain à ce point et à le retranscrire dans une telle douceur.
Elle filme un lieu qu'elle commence à bien connaître, des gens qui ne sont pas acteurs, mais qui, à force de les côtoyer, lui livrent beaucoup. C'était la même démarche immersive quasi documentaire dans Les Chansons que mes frères m'ont apprises, précédent film de la réalisatrice, qui évoquait la question de quitter ou pas un territoire auquel on est viscéralement attaché quand on rêve d'ailleurs. Un lien intime et dangereux à la fois. Pour le Rider, il va s'agir de savoir s'il continue le rodéo au risque d'y laisser son corps. Une vie en l'état – l'acteur s'est réellement blessé à la tête avant le tournage -, qui vient nourrir la fiction de ses richesses et de problématiques précises (la perte d'un proche, le handicap d'une sœur, celui d'un ami, la nécessité de trouver un travail alors que le cœur préfère chevaucher). Une vraie relation d'un frère et d'une sœur qui est là également avant que la réalisatrice décide de poser sa caméra. Un bouillonnement, une envie, qui divisent les pensées d'un jeune gars, on croit même deviner certaines d'entre elles, tellement le cadre est proche, tendre, attentif. Brady, même prénom dans la fiction et dans la vie, a la pudeur et l'intensité rentrée d'un Heath Ledger, la fougue attendrie d'un Vincent Rottiers, mais il est surtout lui. Et il trimballe son monde derrière, sa culture et sa famille. Sous l'œil d'une femme très talentueuse et intelligente, cela donne une fusion de vies, et ça nous happe, nous spectateurs du bout de la chaîne, alors que Brady, le vrai, s'en est retourné à ses bêtes, ne réfléchissant pas au fait, j'en suis certaine, d'être devenu personnage et vecteur d'émotions pour des gens, loin, loin de chez lui. C'est tout l'art du cinéaste, capter une force et la retranscrire. Chloé Zaho a l'art du portrait gracieux.

« Quand tu es un humain, tu dois être vivant. 
Un cheval qui aurait ma blessure, on ne le laisserait pas vivre »


  Des images ont donc résisté à la vague de terne qui menaçait dangereusement le 70ème Festival de Cannes. Elles prennent leur place sur la route de la spectatrice que je suis, comme les cailloux du Petit Poucet. Elles sont devenues souvenirs marquants, et l'on sait l'importance d'une première projection. Qu'on les fête donc, en conclusion, ces images qui ne se sont pas faites dissoudre par l'ouragan cannois, dans toutes ces journées où l'on n'arrivait plus à penser. Sont encore là, vibrants : la peau desséchée et la bouteille d'eau vide du personnage de Come Swim, le sac plastique qui enserre le visage de Joe, le bonnet troisième œil de Bia, les étoiles sur le torse de Brady, le plan de fin sublime de froideur, de démence et d'emprisonnement des Proies de Sofia Coppola, celui de Good Time des frères Safdie qui s'attarde longuement sur le visage fou de Robert Pattinson. Et le duo en live nouvelle star / maman dans Patti Cake$, tiens on dirait Vanessa Paradis et Jeanne Moreau entonnant le Tourbillon de la vie à ce même Cannes. On finira en disant qu'il ne faut jamais, jamais, qu'un film oublie d'osciller vers le cœur, pour que soit conservée la puissance du souvenir de ses images.




Dates de sortie française des films évoqués dans cet article :

Présentés en Compétition :
Happy End de Michael Haneke : 18 octobre 2017
L'amant double de François Ozon : actuellement en salles
Jupiter's moon de Kornél Mundruczó : 1er novembre 2017
You were never really here de Lynne Ramsay : date indéterminée
Les Proies (The Beguiled) de Sofia Coppola : 23 août 2017
Good Time des frères Safdie : 11 octobre 2017

Présentés à la Quinzaine des Réalisateurs :
Frost de Sharunas Bartas : date indéterminée
Nada de Gabriel Martins : voir festival de courts-métrages ?
Patti Cake$ de Geremy Jasper : 30 août 2017
Come Swim de Kristen Stewart : voir festival de courts-métrages ?
The Rider de Chloé Zaho : date indéterminée



Lien pour le palmarès complet du 70ème Festival de Cannes ici




CHARLOTTE










03/03/2017

ANALYSE/CRITIQUE : MOONLIGHT (Barry Jenkins - 2017)

iii. du beau bleu à l'âme



Caresse. Couleurs. Grâce. Un film arrive rarement à conjuguer avec autant de maîtrise et de pudeur ces trois qualificatifs. Revenons donc sur ceux-là, quelques semaines après avoir vu Moonlight, car le film et ces trois mots ne nous ont pas quitté depuis.

Caresse
C'est celle qui entoure les personnages d'un grand bras protecteur. Dès le début, elle est là, figurée par un plan séquence tourbillonnant autour de Juan, occupé à gérer son petit trafic de drogue. Une réalité sociale de suite non balayée – elle est là – mais dépassée par la beauté de cette caresse. Juan trouve 'Little' Chiron planqué dans une cabane dégueux, tenant lieu de repère de drogués. Le gamin ne parle pas. Alors Juan l'héberge pour la nuit. Ça y est. La relation père/fils s'est enclenchée, et elle infuse bientôt toute cette première partie (« i. »), en quelques scènes, par les regards émerveillés du petit observant son modèle. Juan est celui qui répond à ses questions, qui essaye du moins ; quand sa mère est trop occupée par la boisson et les hommes. Encore une fois, c'est une caresse qui vient envelopper cette maman déglinguée : quand le réalisateur choisit de couper son cri, et de l'entourer dans le cadre d'une aura rose. Dans cette demeure familiale rude, le souffle généreux du réalisateur pousse ses personnages vers plus de lumières, comme pour leur dire « ça va aller ! ».


Sur la plage, dans le deuxième chapitre (« ii. »), le réalisateur enveloppe Chiron, grand Little, et Kevin, assis côte-à-côte, de ce même bras géant tant il arrive à les filmer aussi justement, aussi intimement, se retranchant légèrement, montrant des dos, une main qui se tord dans le sable. Un cran derrière par pudeur et délicatesse, 100% dans le cœur palpitant de Chiron. J'ai rarement vu de scène aussi belle que celle-ci.

Couleurs
Les caresses des mouvements de caméra de Jenkins s'accompagnent, se conjuguent à des fourmillements de couleurs vives et douces, échappées de rêveries wongkarwaiennes. Il y en a partout, du début à la fin, accompagnant le chemin du personnage, l'encourageant. Celle qui prédomine est enclenchée par Juan, quand ce dernier raconte à Chiron qu'un jour, une vieille dame lui a dit qu'à la lumière de la lune, sa peau noire semblait bleue. « Tu es bleu ! Je vais t'appeler Bleu » lui avait-elle lancé. C'est Juan qui a d'abord mis la lumière sur Chiron, au début du film quand il détache la planche qui recouvre la fenêtre de la cabane où s'est réfugié le petit, faisant fuir la pénombre. Il enclenche ensuite le bleu. Et Jenkins, protecteur, en distille tout son film. Oui, regarde autour de toi Chiron, les murs de ta maison sont d'un turquoise clair, les casiers, portes et murs de ton collège sont bleus, ton sac à dos est bleu vif, ton tee-shirt, ceux portés par ta mère; jusqu'à la lumière de la cuisine de ton apprenti dealer, les fenêtres des habitations croisées en route, les néons, et même ce reflet qui vient choper les yeux de Kévin, derrière ses fourneaux.
Pas étonnant qu'à la troisième partie de sa vie (« iii. »), Chiron devenu 'Black' (couleur scintillante, n'en déplaise à certains) s'orne les dents d'or. Comme une parade contre le doute, une armure de couleur face à la vie et ses montagnes.
L'affiche du film le clame aussi et elle est réussie pour cela : elle relie les trois visages de Chiron, avec chacun une couleur différente, de teintes très proches, mais différentes. Trois cœurs, trois états. Dans mon esprit, étrangement, quand j'y pense, il y a parfois trois personnages, Little, Chiron et Black, et pas seulement à cause des trois acteurs qui les interprètent. Il y a trois personnages, et en même temps un seul. Peut-être parce que chaque chapitre de cette vie a une densité folle, tout en faisant naître le suivant naturellement, et le complétant.
Par cette affiche, par ces images, par ces trois acteurs, il serait temps de bien comprendre, pour ceux qui, pauvres d'eux, ne le savent pas encore, que la couleur de peau est une couleur merveilleuse. Elle n'est pas une, mais multiple ; possède toutes les nuances inimaginables et possibles ; elle est le reflet tantôt d'un père de substitution, de cris déchirants, tantôt d'un désir. Elle est trop souvent assimilée à un quartier, un pays, une catégorie, un caractère ; elle est tellement plus que ça. Je ne suis pas Chiron, mais je pense que j'ai en moi au moins une couleur de commune avec lui. Peut-être ce joli rose, celui que j'aime choisir pour mes vêtements. Ou peut-être que c'en est une autre. Alors, voyons ce film comme il mérite d'être vu, comme un film qui réhabilite la couleur. Et je parle bien de la couleur de l'aura, celle qui accompagne l'humain et qu'on peut apercevoir quand on se penche un peu dessus. Jenkins filme cette aura, en découpant les contours des visages de ses personnages de couleurs qu'ils portent en eux.

Bleu Rouge Rose Jaune Soleil Noir Vert Nuit Turquoise

« Je vais me changer » lance Kévin alors qu'ils entrent tous les deux dans la maison de ce dernier, après son travail. Que met-il ? Un tee-shirt bleu.

Grâce
Barry Jenkins a réussi à raconter un personnage par le prisme des couleurs. Il a aidé Chiron à prendre conscience de sa propre couleur, lui qui ne sait pas trop comment être, n'ose pas être. Piquer le diam's à l'oreille de Kévin, le foulard sur la tête de Juan. « Who is you, Chiron ? ». C'est prodigieux qu'un réalisateur arrive à peindre aussi bien un personnage, et qu'il parle à travers lui de la peinture de tous.
Il réussit à chaque scène à envelopper son tri-personnage et ceux qui l'accompagnent d'une grâce qui le place à la fois tout en haut du monde (le film devient notre monde, pendant presque deux heures), et aussi tout près de nous (Chiron est à côté, c'est peut-être mon voisin de siège, à l'aura orangée). Il écrit chaque scène comme ce qu'on retiendrait d'une vie. Il réussit à donner corps, par le choix de ses comédiens formidables, à un trio de fragilités qui ne lâchera jamais car c'est son identité profonde : la fragilité chahutée d'un enfant, celle d'un ado frôlant le désir, et la fragilité de l'adulte, malgré la carapace tout en muscles. C'est bouleversant de corps et c'est aussi génialement cinématographique d'arriver à faire ça : outre la démarche, ou les muscles sculptés de Black, c'est être ramassé sur son plateau de cantine, relever la tête dans les couloirs du lycée, hésiter, relever les épaules ; rougir pendant tout le temps des retrouvailles avec celui qu'on a aimé ; se baigner dans une eau nouvelle entouré de bras puissants. C'est partager, en trois partitions, un même air interrogatif, une même attente, des mêmes silences.





Un quartier, un pays, les a priori, la misère d'une mère, la couleur de peau, une sexualité empêchée par tous les facteurs précédents : tout ça est dans le film et vous savez quoi ? Barry Jenkins fait avec, et leur dit FUCK. Oh non, je rectifie, cet homme est un poète, alors il dit plutôt : PUTAIN D'OBSTACLES, ON VOUS AIME, JE VAIS VOUS COLORER DE TOUTES LES COULEURS POSSIBLES, MON FILM SERA L'ARC-EN-CIEL DE CHIRON ; ET IL SERA LE VOTRE.

Rêver que le ciel puisse colorer une peau : le cinéma peut faire ça, il peut rendre les couleurs à leur juste valeur.



Subjuguement vôtre,

CHARLOTTE

20/01/2017

LE BILAN 2016

      Veuillez nous excuser pour le retard certain en ce qui concerne nos "tops/flops" respectifs, mais nous sommes passés maîtres dans l'art du suspens. Quoiqu’il en soit, nous revenons tous pour vous fournir nos coups de cœur, nos déceptions, nos vibrations et nos dégoûts cinématographiques de l’année 2016, tout en vous souhaitant d’autres coups de cœur, déceptions, vibrations et dégoûts pour l’année 2017. Bien que très souvent subjectifs, nous nous efforçons d’avoir des avis (quasi) objectifs (du moins nous le voulons de toutes nos forces), pour vous satisfaire, même si certains d’entre eux peuvent vous heurter. Sachez que le cinéma est avant tout une affaire de goût avant d’être une affaire de réflexion.




      Nous sommes humains, mais pour ainsi dire, passionnés. Donc laissez-vous transporter par nos écrits. Riez, soyez émus, soyez d’accord ou non, réagissez, agissez. Comme nous devons toujours le faire dans la vie. 



       Surtout, restez curieux et alertes !

(Merci M.W-N pour l'introduction... Le rédacteur n'a pu introduire lui-même car il a un rhume.)


15/01/2017

ANALYSE/CRITIQUE : QUELQUES MINUTES APRES MINUIT (A Monster Calls - Juan Antonio Bayona - 2017)

LA QUATRIÈME HISTOIRE
Après Simon


   L'Orphelinat, autre film de Bayona, s'ouvrait déjà sur un réveil soudain, agité par un rêve perturbé. Ce film-ci commence par un cauchemar, et montre très vite sa créature, passé l'heure solennelle de minuit. La nuit, les rêves fourmillent, féeriques ou sombres. C'est le moment où Conor s'installe au bureau de sa chambre et dessine, musique sur les oreilles. Le crayon attend, sur la page blanche, une nouvelle inspiration. Devant lui, affichés sur le mur, ses nombreux dessins, qu'on aimerait prendre le temps d'observer un à un : un œil ici, un étrange personnage là. Sa fenêtre est ouverte. Au loin, un arbre majestueux, et la silhouette d'une église. La fenêtre ouverte, déjà l'échappée.
Et puis sonne minuit et quelques, et soudain un monstre, sortant ses bras des racines de l'arbre. Il vient du cimetière, on l'aperçoit depuis la chambre : déjà, il est drôlement marqué, il vient presque d'apparaître avec sa propre définition, et déjà il est lié à Conor. Il va faire trembler le sol, casser tout un pan de mur de la maison, mais la mère endormie du garçon ne s'est pas réveillée ? Quand même ça fait beaucoup de fracas... Non, seul Conor le voit.