13/11/2013

ANALYSE / CRITIQUE : TAKE SHELTER (Jeff Nichols - 2011)

RÉAPPRENDRE A SORTIR

        Take Shelter emprunte la poésie des plus belles idées d'un cinéma intelligent et métaphorique.

Auprès de sa femme Samantha (Jessica Chastain) et de sa fille sourde muette Hannah (Tova Stewart)
Curtis LaForche (Michael Shannon) trouve refuge
     Tout d'abord, avec cette idée de figurer le confiné par le spectaculaire. Les plus beaux films de Shyamalan ont trouvé leur pendant, en particulier Signes. Dans ce film, la famille de Merrill (Mel Gibson) est mise à mal par des éléments extérieurs qui agressent leurs champs, puis leur maison. En miroir, dans Take Shelter, la famille de Curtis est confrontée à une tempête.


     
Attention : présence de spoilers !

     Curtis LaForche, sa femme et leur fille ont l'air heureux, malgré quelques difficultés d'argent (petite cagnotte gardée précieusement pour les vacances) et la surdité de leur petite fille. Jusqu'au jour où Curtis commence à être perturbé par des cauchemars et des hallucinations, liés à l'approche d'une tempête qui menace de se déclencher.
      Dans les deux films, mêmes sous-bassements d'une maison agressée : la cave dans Signes, l'abri anti-tempête dans Take Shelter. Et dans ces lieux se joue une lutte intérieure : trouver la force pour Merrill d'arriver à croire de nouveau, trouver la force pour Curtis de surmonter ses peurs et réapprendre à sortir.


Le spectaculaire : l'extraterrestre et les vents furieux ; le confiné : l'âme des deux hommes et de deux familles.

On fait cas, par ces films, d'une agression. Dans Take Shelter, elle est intrusive, s'empare du foyer, dans les couloirs, dans le sommeil de Curtis, par les quelques notes de musique propres au genre fantastique.

Dans les lieux retranchés, souterrains, se dit l'expression littérale


La séquence dans l'abri anti-tempête, où s'est réfugiée la famille, illustre de manière forte l'expression faire face. Peut-être aussi surmonter ses peurs, prendre sur soi, se raisonner. Là où une petite fille réussit mieux que son père, ce dernier peine. Il n'arrive pas à ouvrir la porte de l'abri, alors que la tempête au dehors est terminée. Lui l'entend encore. Sa fille apprend à grandir, et plus difficilement que les autres (elle est sourde) ; au contraire son père retrouve l'état du bébé dans un ventre; il éprouve le besoin de se construire un cocon pour se protéger de tout, captant seulement des échos du monde extérieur. Il lui faudra les longs encouragements de sa femme pour qu'il se raisonne, ose tourner la clé et ouvrir la porte, pour faire face à un ciel lumineux et apaisé. Il sort, ébloui de cette renaissance, autour de lui les voisins s'affairent à remettre en ordre leurs habitations. Il a l'air d'un pantin géant et perdu, dans son propre jardin, après un geste tout simple.
Cette séquence fait fortement écho à une séquence de Batman Begins de Christopher Nolan. Dans celle-ci, Bruce Wayne/Batman ose s'aventurer dans la grotte qui, enfant, a hanté sa jeunesse. Il a le courage de se relever alors qu'une multitude de chauve-souris – sa peur d'enfant – l'entoure. L'expression pour cette séquence était alors surmonter ses peurs.

L'adulte doit lutter contre l'imaginaire qu'il s'invente


Une autre séquence incroyable dans Take Shelter est celle où Curtis court vers sa fille qui s'est aventurée dangereusement au beau milieu de la route. Il la prend dans ses bras, mais reste tétanisé quand il lève les yeux et découvre un ciel empli d'une ronde menaçante d'oiseaux, oiseaux qui bientôt foncent sur lui comme un énorme bras, poing dans la figure, ou la fumée noire sortant de son cerveau torturé. Encore une belle image de cinéma.


Ce plan m'a rappelé le travelling circulaire de L'Orphelinat, de J.A. Bayona, où Laura, qui a retrouvé son fils disparu, le serre dans ses bras et le rassure en lui parlant, alors qu'en haut, des présences étrangères et surnaturelles menacent de les attaquer. Pourtant, il n'y a qu'elle dans le plan
et son enfant n'est plus.
Ce sont deux films où un parent s'évertue à protéger son enfant contre des forces imaginaires qu'il est le seul à entendre ou à voir (les fantômes dans L'Orphelinat, les oiseaux dans Take Shelter). Il ne devrait pourtant que se protéger lui-même avant tout – l'enfant est assez capable tout seul.
Ces fantasmes ont une raison : ils sont nés d'une réalité froide, cruelle et parfois inéluctable (la maladie d'un enfant pour Laura, les soucis financiers pour Curtis). Le fait réel pousse le héros dans son imaginaire fantastique.

Le fantastique d'un personnage, seul face aux autres


Take Shelter n'est pas un film fantastique, car tous les phénomènes étranges qui y apparaissent n'appartiennent qu'à l'intériorité de Curtis. Ils sont dans ses cauchemars la nuit, dans ses visions le jour. Comme les oiseaux ou la foudre. Mais le fantastique contamine très vite un plus large espace. Et bien oui, que peut-il donc pleuvoir du ciel qui soit comme cela étrangement orange ? Nous demande la scène finale.
La solitude de l'extravagance est jouée par Michael Shannon, grand, comme dans cette scène où il se lève et crie devant toute une assemblée de gens attablés, après avoir renversé violemment la table, les vêtements tâchés d'eau et de nourriture. Son allure imposante, sa vie « réussie » comme lui avait fait remarquer un proche, envieux, ne l'ont pas empêcher de défaillir. C'est humain. Michael Shannon est l'humain de ce début d'année cinématographique 2012*, une pupille dérangée, un visage infini, une beauté fascinante qui n'appartient qu'aux fous.

Clôture


Take Shelter se clôt sur une plage.

Et là où Signes résolvait le deuil d'une famille, Take Shelter retrouve une tornade. Cette fois-ci, elle n'est pas individuelle, née du cerveau de Curtis, mais bien réelle et elle concerne tout le monde. Ajoutée à l'esthétisme et à la grâce apportés par ces vents affolés, je crois que cela ressemble à la
phrase de fin.
En voyant cette scène sur la plage, on peut croire à un nouveau signe divin, en pensant à l'autre plage de Terrence Malick, à la fin de Tree of life, où la même Jessica Chastain retrouvait sa famille au complet, morts et vivants, sur une plage céleste.

On peut croire à une fin du monde, c'est dans l'air du temps.
On peut croire à un « simple » phénomène de la nature; en notant qu'il peut tout de même faire s'envoler d'une pichenette céleste le bungalow de fortune de la famille LaForche et tout ce qu'ils ont avec.
On peut croire, aussi, à cette beauté des nuages en folie, des cheveux roux au premier plan face aux nuages gris, une grâce, et surtout, quelqu'un qui regarde comme Curtis dorénavant. Qui voit la même chose. Cela concerne tout le monde.


Et ce film m'a émue parce que moi aussi, souvent, je constate qu'il est difficile de réapprendre à sortir.


CHARLOTTE

* N-B : Sorti tardivement le 4 janvier 2012 en France, Take Shelter date en réalité de 2011 : d'abord présenté en janvier au Festival de Sundance, il est sorti le 30 septembre de la même année aux Etats-Unis (note du rédac' chef)

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