RÉAPPRENDRE A SORTIR
Take Shelter
emprunte la poésie des plus belles idées d'un cinéma intelligent
et métaphorique.
Auprès de sa femme Samantha (Jessica Chastain) et de sa fille sourde muette Hannah (Tova Stewart) Curtis LaForche (Michael Shannon) trouve refuge |
Tout d'abord, avec cette
idée de figurer le confiné par le spectaculaire. Les plus
beaux films de Shyamalan ont trouvé leur pendant, en particulier
Signes. Dans ce film, la famille de Merrill (Mel Gibson) est
mise à mal par des éléments extérieurs qui agressent leurs
champs, puis leur maison. En miroir, dans Take Shelter, la
famille de Curtis est confrontée à une tempête.
Attention : présence de spoilers !
Curtis LaForche, sa
femme et leur fille ont l'air heureux, malgré quelques difficultés
d'argent (petite cagnotte gardée précieusement pour les vacances)
et la surdité de leur petite fille. Jusqu'au jour où Curtis
commence à être perturbé par des cauchemars et des hallucinations,
liés à l'approche d'une tempête qui menace de se déclencher.
Dans les deux films,
mêmes sous-bassements d'une maison agressée : la cave dans Signes,
l'abri anti-tempête dans Take Shelter. Et dans ces lieux se
joue une lutte intérieure : trouver la force pour Merrill d'arriver
à croire de nouveau, trouver la force pour Curtis de surmonter ses
peurs et réapprendre à sortir.
Le
spectaculaire : l'extraterrestre et les vents furieux ; le confiné :
l'âme des deux hommes et de deux familles.
On
fait cas, par ces films, d'une agression. Dans Take Shelter, elle est
intrusive, s'empare du foyer, dans les couloirs, dans le sommeil de
Curtis, par les quelques notes de musique propres au genre
fantastique.
Dans les lieux retranchés, souterrains, se dit l'expression littérale
La
séquence dans l'abri anti-tempête, où s'est réfugiée la famille,
illustre de manière forte l'expression faire face. Peut-être
aussi surmonter ses peurs, prendre sur soi, se
raisonner. Là où une petite fille réussit mieux que son père,
ce dernier peine. Il n'arrive pas à ouvrir la porte de l'abri, alors
que la tempête au dehors est terminée. Lui l'entend encore. Sa
fille apprend à grandir, et plus difficilement que les autres (elle
est sourde) ; au contraire son père retrouve l'état du bébé dans
un ventre; il éprouve le besoin de se construire un cocon pour se
protéger de tout, captant seulement des échos du monde extérieur.
Il lui faudra les longs encouragements de sa femme pour qu'il se
raisonne, ose tourner la clé et ouvrir la porte, pour faire face à
un ciel lumineux et apaisé. Il sort, ébloui de cette renaissance,
autour de lui les voisins s'affairent à remettre en ordre leurs
habitations. Il a l'air d'un pantin géant et perdu, dans son propre
jardin, après un geste tout simple.
Cette
séquence fait fortement écho à une séquence de Batman Begins
de Christopher Nolan. Dans celle-ci, Bruce Wayne/Batman ose
s'aventurer dans la grotte qui, enfant, a hanté sa jeunesse. Il a le
courage de se relever alors qu'une multitude de chauve-souris – sa
peur d'enfant – l'entoure. L'expression pour cette séquence était
alors surmonter ses peurs.
L'adulte doit lutter contre l'imaginaire qu'il s'invente
Une
autre séquence incroyable dans Take Shelter est celle où
Curtis court vers sa fille qui s'est aventurée dangereusement au
beau milieu de la route. Il la prend dans ses bras, mais reste
tétanisé quand il lève les yeux et découvre un ciel empli d'une
ronde menaçante d'oiseaux, oiseaux qui bientôt foncent sur lui
comme un énorme bras, poing dans la figure, ou la fumée noire
sortant de son cerveau torturé. Encore une belle image de cinéma.
Ce
plan m'a rappelé le travelling circulaire de L'Orphelinat, de
J.A. Bayona, où Laura, qui a retrouvé son fils
disparu, le serre dans ses bras et le rassure en lui parlant, alors
qu'en haut, des présences étrangères
et surnaturelles menacent de les attaquer. Pourtant, il n'y a qu'elle
dans le plan
et son enfant n'est plus.
Ce
sont deux films où un parent s'évertue à protéger son enfant
contre des forces imaginaires qu'il est le seul à entendre ou à
voir (les fantômes dans L'Orphelinat, les oiseaux dans Take
Shelter). Il ne devrait pourtant que se protéger lui-même avant
tout – l'enfant est assez capable tout seul.
Ces
fantasmes ont une raison : ils sont nés d'une réalité froide,
cruelle et parfois inéluctable (la maladie d'un enfant pour
Laura, les soucis financiers pour Curtis). Le fait réel pousse le
héros dans son imaginaire
fantastique.
Le fantastique d'un personnage, seul face aux autres
Take
Shelter n'est pas un film fantastique, car tous les phénomènes
étranges qui y apparaissent n'appartiennent qu'à l'intériorité de
Curtis. Ils sont dans ses cauchemars la nuit, dans ses visions le
jour. Comme les oiseaux ou la foudre. Mais le fantastique contamine
très vite un plus large espace. Et bien oui, que peut-il donc
pleuvoir du ciel qui soit comme cela étrangement orange ? Nous
demande la scène finale.
La
solitude de l'extravagance est jouée par Michael Shannon, grand,
comme dans cette scène où il se lève et crie devant toute une
assemblée de gens attablés, après avoir renversé violemment la
table, les vêtements tâchés d'eau et de nourriture. Son allure
imposante, sa vie « réussie » comme lui avait fait remarquer un
proche, envieux, ne l'ont pas empêcher de défaillir. C'est humain.
Michael Shannon est l'humain de ce début d'année cinématographique
2012*, une pupille dérangée, un visage infini, une beauté
fascinante qui n'appartient qu'aux fous.
Clôture
Take
Shelter se clôt sur une plage.
Et
là où Signes résolvait le deuil d'une famille, Take
Shelter retrouve une tornade. Cette fois-ci, elle n'est pas
individuelle, née du cerveau de Curtis, mais bien réelle et elle
concerne tout le monde. Ajoutée à l'esthétisme et à la grâce
apportés par ces vents affolés, je crois que cela ressemble à la
phrase de fin.
En
voyant cette scène sur la plage, on peut croire à un nouveau signe
divin, en pensant à l'autre plage de Terrence Malick, à la fin de
Tree of life, où la même Jessica Chastain retrouvait sa
famille au complet, morts et vivants, sur une plage céleste.
On
peut croire à une fin du monde, c'est dans l'air du temps.
On
peut croire à un « simple » phénomène de la nature; en notant
qu'il peut tout de même faire s'envoler d'une pichenette céleste le
bungalow de fortune de la famille LaForche et tout ce qu'ils ont
avec.
On
peut croire, aussi, à cette beauté des nuages en folie, des cheveux
roux au premier plan face aux nuages gris, une grâce, et surtout,
quelqu'un qui regarde comme Curtis dorénavant. Qui voit la même
chose. Cela concerne tout le monde.
Et
ce film m'a émue parce que moi aussi, souvent, je constate qu'il est
difficile de réapprendre à sortir.
CHARLOTTE
* N-B : Sorti tardivement le 4 janvier 2012 en France, Take Shelter date en réalité de 2011 : d'abord présenté en janvier au Festival de Sundance, il est sorti le 30 septembre de la même année aux Etats-Unis (note du rédac' chef)
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