LE TRANSMEDIA DU XXème
Quand
on souhaite parler de Blade Runner se pose la question de la
pertinence de notre propos. Sorti en 1982, puis en 1992, puis en
2007, ce classique de la SF a été décortiqué, disséqué,
analysé, encensé, critiqué, porté aux nues et parfois regretté
par ici, par là et surtout un peu partout. C’est pourquoi il ne
s’agit pas là d’établir une critique d’un film sur lequel
tout a probablement déjà été dit, exercice à la vanité
rédhibitoire. Non, à l’heure d’internet et des balbutiements
babelesques de ce que l’on nomme transmedia, il nous apparaît plus
intéressant de prendre de la hauteur pour s’offrir une vue
d’ensemble sur une œuvre bien plus vaste qu’il n’y paraît.
Si le fait que le film de
Ridley Scott soit la première adaptation d’un roman de Philip K.
Dick n’est pas un secret, l’adaptation en jeu vidéo est quant à
elle plus confidentielle. Mais de quoi parlons-nous ici ? Du
livre Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques écrit
en 1966 ? Du film Blade Runner sorti au cinéma en 1982
(la version finale ne datant que de 2007) ? Du jeu de Westwood Studios
sorti en 1997 ?
Hé bien, des trois à la fois, mais n’aie crainte lecteur ! Loin de nous l’idée de disséquer froidement chaque objet pour les comparer les uns aux autres, nous plaindre que dans le film c’est comme ci, alors que dans le livre c’est plutôt comme ça, et que dans le jeu alors là, c’est comment déjà ? Nous proposons plutôt de chercher à mettre en lumière les relations entre ce que chacune des formes d’un même tout apporte à l’ensemble et éventuellement, avec un peu de chance, d’en tirer une leçon sur ce que peut être l’adaptation et, plus largement, l’œuvre transmedia. En effet, au-delà de l’adaptation d’une histoire, ce qui frappe lorsque l’on s’intéresse à l’univers Blade Runner, c’est qu’il s’agit de l’adaptation d’un point de vue sur une question centrale : c’est quoi être humain ?
Hé bien, des trois à la fois, mais n’aie crainte lecteur ! Loin de nous l’idée de disséquer froidement chaque objet pour les comparer les uns aux autres, nous plaindre que dans le film c’est comme ci, alors que dans le livre c’est plutôt comme ça, et que dans le jeu alors là, c’est comment déjà ? Nous proposons plutôt de chercher à mettre en lumière les relations entre ce que chacune des formes d’un même tout apporte à l’ensemble et éventuellement, avec un peu de chance, d’en tirer une leçon sur ce que peut être l’adaptation et, plus largement, l’œuvre transmedia. En effet, au-delà de l’adaptation d’une histoire, ce qui frappe lorsque l’on s’intéresse à l’univers Blade Runner, c’est qu’il s’agit de l’adaptation d’un point de vue sur une question centrale : c’est quoi être humain ?
Plus humain que l’humain ?
En
1966, Philip K. Dick oppose le réplicant à l’être humain. Les
Nexus 6 traqués par les Blade Runners sont si parfaits qu’on
ne peut les repérer sans avoir recours à des tests d’empathie,
car ce qui diffère entre un humain et un androïde biologique, c’est
sa capacité à ressentir des émotions pour le premier, et celle à
les simuler pour le second. Dans le roman, aucun androïde ne fait
preuve d’humanité. Cela est matérialisé, entre autre, par leur
incapacité à concevoir des formes de vies différentes comme, par
exemple, les animaux. Ces-derniers ayant quasiment disparu, en
adopter et s’en occuper est devenu une nécessité sociale pour
tout humain qui se respecte. Pourtant, face à une araignée vivante,
véritable petit miracle dans ce monde, les androïdes s’empressent
de trouver que la bête n’a pas besoin de huit pattes pour marcher,
et de la mutiler pour prouver leurs dires. Si le comportement est
digne de sales gosses arrachant les ailes des mouches, c’est bien
que le Nexus a beau être fort et intelligent, il n’en est pas
moins un simulacre de vie, altéré de la capacité à se représenter
l’autre.
L’idée
maîtresse de Dick est alors de nous montrer comment l’humanité
tend à se métamorphoser en ces simulacres de vie, froids, altérés
de toute passion, obligés de se laisser dicter leurs émotions par
un orgue à humeur allant de la "mélancolie" de la
femme de Deckard, au "repos bien mérité" du Blade
Runner après avoir accompli ses retraits. Plus rien n’est
naturel, plus rien n’est spontané, et l’androïde devient
l’anti-modèle que l’on s’efforce à abattre mais vers lequel
tout nous ramène. Dick traite là, à sa manière, de la perte de
l’essence humaine des individus.
Dommage qu’elle doive mourir, mais c’est notre lot à tous…
Si
l’adaptation de Ridley Scott diffère largement de l’intrigue du
roman, c’est qu’elle tient un discours légèrement différent
sans pour autant être antithétique. En effet, au-delà de l’apport
esthétique indéniable, c’est un apport thématique qu’il faut
saluer. Scott s’emploi à montrer l’humanisation progressive des
Nexus 6 : ils développent de véritables sentiments et certains
ignorent même leur condition en raison de souvenirs implantés,
comme Rachel… et Deckard, le Blade Runner (nous parlons là
de la thèse soulevée par la version director’s cut de
1992, puis le final cut de 2007). Remettre en cause l’humanité
de celui chargé de massacrer les androïdes apparaît comme la
meilleure idée de cette adaptation. Si elle pointe du doigt
l’extraordinaire cynisme d’une société qui n’hésite pas à
juger les androïdes illégaux puis de lancer ces mêmes androïdes à
la poursuite des leurs, et à leur insu, elle permet surtout de
questionner le spectateur sur l’humanité même, thème central de
l’œuvre. Le Blade Runner et les androïdes s’entretuent
alors qu’ils appartiennent probablement à la même "race".
Finalement,
la pertinence de cette distinction entre humain et androïde est
remise en cause par Roy Batty, l’antagoniste du film, qui au lieu
de tuer le Blade Runner choisit de lui sauver la vie. Il
accomplit ainsi ce dont les androïdes de Philip K. Dick se montrent
incapables, il estime une autre vie que la sienne et l’épargne, la
protège : il découvre l’empathie. Il érige ainsi ses
semblables au rang de forme de vie véritable, de forme de vie
humaine. Force est de s’apercevoir que la lutte entre eux est
irrationnelle, et la question sur l’humanité des personnages
caduque.
Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie.
D’humanité,
vous l’aurez deviné, il est aussi question dans Blade Runner le
jeu. Or si celui-ci reprend l’univers graphique du film, il
s’inspire tout autant du roman pour sa trame scénaristique non
linéaire. Le joueur n’incarne pas Deckard mais McCoy, un autre
Blade Runner, dans une autre enquête. Et c’est la première
bonne idée du jeu, celle de nous placer dans une histoire inédite.
Très vite, McCoy est confronté aux mêmes problèmes de conscience
que Deckard dans le film, c’est là qu’intervient la deuxième
bonne idée : donner le choix au joueur. Le choix du dialogue,
mais également le choix de tuer ou non un individu, quitte à
commettre une bavure et retirer un humain. Chacun de ces choix aura
une incidence sur la relation entretenue avec les différents
personnages et sur la fin. Libre à nous d’être un bon Blade
Runner et de retirer méthodiquement les réplicants pour
toucher notre prime. Mais il est également possible de les aider à
s’échapper, d’en épargner certains et pas d’autres. L’enquête
pourra même nous amener à remettre en cause la propre humanité de
McCoy qui, comme Deckard, pourrait bien être lui-même un androïde.
C’est
donc au joueur de faire sa propre enquête sur l’humanité des
autres et sa propre humanité. Libre à lui de se poser les questions
qu’il souhaite, libre à lui d’y trouver les réponses.
L’interactivité permet ici une implication du joueur dans une
réflexion globale autour de la thématique principale de l’univers
Blade Runner. Le joueur se voit placé face à ses
responsabilités et non sur des rails, puisque l’on dénombre une
dizaine de fins plus ou moins différentes en fonction des choix
moraux effectués en amont.
Embarquez pour les colonies de l’espace !
Blade
Runner apparaît bien comme une œuvre transmedia, et nous
n’avons pas même parlé des suites du roman écrites par K.W.
Jeter, de l’adaptation en BD et du premier jeu vidéo, contemporain
du film. Ces œuvres n’auraient fait qu’embrouiller le propos
sans y apporter quoi que ce soit. Pourtant, elles existent et
viennent enrichir l’univers fictionnelle à leur façon.
L’univers ? Oui… Mais qu’en est-il du thème ? Du
fond ? Si l’on s’en tient à la BD, peut-être tenons-nous
là un contrexemple. En effet, cette adaptation reprend mot à mot le
roman de Dick sur des cases au style graphique proche de celui du
film. L’apport est donc quasiment nul, même si l’exercice
demeure intéressant.
Quelle
serait donc la leçon à tirer de tout cela ? Peut-être que
l’œuvre transmedia trouve sa justification dans la cohérence de
son propos. Ainsi, le film Blade Runner se justifie par
l’approfondissement d’une réflexion ouverte avec le roman, là
où la BD n’apparaît que comme une déclinaison de celui-ci.
Ridley Scott n’a pas enrichi l’univers Blade Runner qu’en
lui apportant l’esthétique cyberpunk aujourd’hui emblématique,
il l’a également mâtiné d’un point de vue cohérent qui lui
est propre. Quant au jeu, il utilise intelligemment les spécificités
de son médium pour donner une nouvelle dimension à ce point du vue.
Ce sont ces spécificités qui sont bien souvent piétinées lors
d’adaptations et de créations d’univers transmedia, au profit
d’un amas de déclinaisons fondées sur la seule base du marketing.
C’est pourquoi il nous apparaissait important d’apporter un
exemple de ce que peut-être un transmedia intelligent, qui pense
autant son fond que sa forme et parvient à lier les deux en un tout
fictionnel hypnotique.
BONUS :
Que reste-t-il à dire si ce n’est vous pousser à découvrir cet
univers là pour vous faire votre propre idée ? Surtout quand
on peut, par exemple, trouver le jeu susnommé disponible en
abandonware (donc gratuit), à ce lien : http://www.abandonware-france.org/ltf_abandon/ltf_jeu.php?id=731 ;
amis adeptes de retrogaming ou simplement fans de Blade Runner,
vous auriez tort de vous en priver.
BONUS 2 : Je vous laisse avec une lettre émouvante de Philip K. Dick qui, rappelons le, est mort quelques mois après, soit juste avant la sortie du film, qu’il n’a jamais vu en entier. Il s’agissait de la première adaptation d’un de ses romans après plusieurs projets avortés. Cette adaptation est à l’origine d’un succès bien plus grand pour ses œuvres que celui qu’il n’ait jamais connu de son vivant.
Thomas
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