04/11/2013

ANALYSE / CRITIQUE : MUD (Jeff Nichols - 2013)

IL FAUT UN MOTEUR !

Matthew MacConaughey dans le dernier film de Jeff Nichols

« On trouve de tout dans la rivière. Des trucs chers parfois. Il faut savoir quoi laisser filer. » 


    Cette phrase, prononcée par le personnage joué par Michael Shannon, l'homme-tempête fantastique de Take Shelter, précédent film du réalisateur, nous donne le bon chemin de lecture du film. De chemin(s) il est question dans Mud, accompagné du sous-titre « sur les rives du Mississippi » pour la version française, un sous-titre pour une fois bien vu car il relie l'homme et le lieu. Et en effet, le lieu fait l'homme dans ce film, et l'homme fait du lieu son chemin, son identité.
      Le Mississippi donc,un pan de fleuve qui impose sa beauté évidente avant que le titre du film s'affiche.
    Ellis et Neck vont faire la connaissance de Mud, réfugié sur une île. Ce dernier revient sur les lieux de son enfance.



  Attention : la suite contient quelques spoilers ! 

       Le fleuve est là, dans ce début de film, pour rapprocher deux mondes qui vont s'entraider, facilement et naturellement. Si cette eau fait barrière pour les gens et isole le réfugié, c'est naturellement que les deux jeunes garçons la franchissent et aident, très vite, Mud.
    Car la rivière sera aussi miroir, pour refléter la ressemblance des garçons avec Mud, le quasi-fantôme, qui apparaît subitement sur cette plage. On pense presque au départ qu'il n'est là que pour eux, n'ayant une vraie présence qu'avec eux, sur cette île. Le reste de la population le cherche, certes, mais sans le comprendre. Rejeté du monde social, il devient le guide angélique d'Ellis et de Neck. Tous les trois marqués par des conflits ou drames familiaux, leur identité propre leur échappe. Et quand l'anecdote racontée par Mud au sujet de sa morsure de serpent quand il avait 10 ans lors d'une baignade avec son amoureuse Juniper, ressurgit dans le présent d'Ellis, mordu à la jambe à son tour, Mud s'empresse de sauver le petit et le miracle revient. Une deuxième fois donc, le venin n'est pas assez puissant. Mud qui a revêtu en catastrophe sa chemise blanche, dont il ne s'est jamais séparé jusque-là car « elle le protège » selon lui. Comme une cape de super-héros, l'angélisme est bien là.
      Un fleuve pour guider ceux qui l'empruntent : une liberté pour Mud (plan de fin), une marque indéniable dans la vie d'Ellis, sa maison sur pilotis ayant ses racines dans l'eau. Un fleuve qui coule comme le sang dans les veines. Il sera le lieu du basculement : à la fois enfance (on y joue), survie (pêcher pour gagner sa vie et se nourrir), souvenirs (on y revient), presque cercueil (Mud touché par une balle y plonge comme un poisson), enfin liberté.


        Le crépuscule est également un motif fort du film. Pris dans un premier temps pour ce qu'il est, il pourrait dire la fin d'un temps. C'est sans compter l'espoir, qui finit par prendre toute la place chez Jeff Nichols. Car le soleil couchant, plus d'une fois dans le film, caresse les garçons comme un bras protecteur, comme un signe physique pour les pousser et les accompagner vers un renouveau.
      Ellis a l'espoir. Il croit en Mud, il croit en l'amour d'une fille, il a cette violence de l'enfance qui croit. Il peut remettre à flot le bateau, il a l'énergie pour, il redonnera un horizon à Mud et avec, un nouveau pour lui. Ses parents n'ont plus cette énergie de croire, sa maison d'enfance n'est plus, quand bien même. Il a trouvé comment avancer. « On largue les amarres Ellis » lui dit Mud en un dernier au revoir, avant que sa maison ne soit le théâtre d'une fusillade, un coup de feu pour chacun d'eux. Ellis, Mud, Neck, Tom. Il fallait ça. Il fallait un horizon de tous les possibles, un homme-miroir au visage et au tatouage de serpent, surnommé comme les méandres dans lesquels on patauge enfant ou adulte, « boue »; il fallait un moteur, et suffisamment de cœur.

CHARLOTTE



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