22/05/2015

CANNES 2015

Les Nouvelles Aventures de Charlotte...


Samedi 16 mai - The perfect place : ou le retour des fantômes


Nanni rit (un peu), Matthew cherche son chemin, Amy pleure

         Un long trajet en train durant lequel le paysage peu à peu se modifie, ça y est le ciel devient bleu, ça y est on arrive... Une valise au bord de l'explosion, un pass qui tente de se faire la malle dans les rangées du Palais des festivals.
On retrouve ce monde qui vit sa propre vie pendant plus d'une semaine : un monde où les gens parlent d'image léchée au détour d'un verre en terrasse, où les badauds se baladent dans les rues dans leurs plus beaux atours (enfin, leurs plus beaux,... le critère fashion est subjectif).



        Trio du jour, trois films très différents mais où les liens se font tout de même, et c'est la magie de Cannes.
Présenté ce samedi, Mia Madre de Nanni Moretti adopte un rythme classique où le lieu habituel, la maison familiale, est investie de dés-habitudes à la suite du bouleversement qui entre en scène : la mère de Margherita est souffrante et va bientôt mourir. Et soudain, l'homme qui demande des papiers administratifs à la jeune femme la contraint de fouiller péniblement dans une maison que normalement, elle connaît sur le bout des doigts.
         En parallèle, Margherita tourne son film et s'acharne contre son équipe pour qu'elle réponde à ses attentes. Au sein de ce rythme plutôt convenu, Moretti insuffle des vagues comiques par l'intermédiaire du personnage de John Turturro, et des vagues fantastiques où les apparitions fantomatiques d'une autre Margherita, plus jeune, d'une maman en forme, se font les nouveaux compagnons d'une héroïne brinquebalée entre l'organisation au carré du tournage, ses ordres de réalisatrice et les doutes et l'imprévu de ce qui arrive à sa mère. Si ces deux différentes vagues sont intéressantes, le film reste pour moi assez terne et manque d'émotions.
« Pour les verbes, il suffit de ne pas prendre la première entrée du dictionnaire».


         Néanmoins, commencer notre festival par un film qui met en parallèle le cinéma et l'individu offre une bonne introduction de lecture pour ces prochains jours – il y est en plus question de traduction.

          En compétition également, le nouveau film de Gus Van Sant : The Sea of trees. Un strapontin merveilleux (enfin pas confortable, mais merveilleux) me fait regarder le film de tout près, comme seule au monde, et en même temps noyée au milieu de ce Grand Théâtre Lumière. En gros plan le visage (et la voix) de Matthew McConaughey me donnerait presque envie de prier, et dans le coin de l’œil, ce même Matthew qui se regarde à quatre rangées de là. La nouvelle dimension de projection est béton (poil au menton).
         A l'image, encore des fantômes, motif surprise du jour. Matthew/Arthur prend l'avion sans bagage, l'air perdu, pour se retrouver dans une forêt van-santienne où tout est là pour faire résonner l'intériorité du personnage. Il cherche le fantôme de sa femme récemment disparue, il rencontre celui d'un mystérieux homme venu là pour adhérer aux habitudes du lieu : mettre fin à ses jours. Surtout, il se rencontre lui-même et les différents jeux de symétrie ou reflets sont là pour nous le faire voir : un fondu qui fait se dédoubler pendant un instant le Arthur de la forêt et le Arthur d'avant ; le reflet du feu de camp dans le verre cassé des lunettes du héros qui semble lui créer une nouvelle pupille. Des lunettes qu' Arthur, dans ce lieu métaphysique, se plaît à enlever ou remettre selon où sa vue porte, vers le ciel, vers la fin, devant lui, plus loin... Au bout de ce voyage, de nouvelles lunettes, une nouvelle chemise, et on pense à celle immaculée du Matthew de Mud qui ne peut s'empêcher d'aider les autres malgré lui (comme Arthur avec cet homme qu'il trouve dans la forêt). Le film voit la lutte entre le matériel (la conception de Joan, la femme d'Arthur ; sa vie avec elle, son travail de scientifique) et l'immatériel (la conception d'Arthur, son introspection, la forêt, lieu d'abstraction infinie, gardée par des hommes dont Arthur ne parle pas la langue, forêt de conte où Arthur devient Hansel, un lieu de passage et de lecture idéale). Les fantômes (encore d'autres) du prof et de l'élève de Will Hunting sont revenus, ils sont plus désabusés mais se partagent cette même recherche entre les chiffres, symbolisant la vie sociale, et la philosophie et la recherche de soi, pour la vie intérieure, celle avec laquelle on se débat.

        Une autre apparition en Séance de minuit : Amy Winehouse revient à nous grâce au documentaire d'Asif Kapadia. Il est agréable d'entendre résonner la voix de la chanteuse et de lire ses textes à l'écran (seule bonne idée du film), il est par contre triste de déplorer le choix voyeuriste du réalisateur qui fait remonter à nous le souvenir encore récent d'une descente aux enfers médiatisée (tout y passe, des photos d'elle cadavérique, des photos où elle se drogue qu'aurait utilisé un mauvais biopic, sa dépouille emportée par l'ambulance, ce triste moment de scène où elle se retrouve incapable de chanter, tout le monde a déjà vu ce moment, mais le film se targue apparemment de faire mieux qu'un reportage glauque sur NRJ12), et qui fait défiler pendant presque la moitié du film une impudeur dont on aurait bien voulu se passer pour se souvenir d'Amy.

    Des premières apparitions donc, étranges, indéfinies et qui tendent vers d'autres ailleurs, dans un contexte surpeuplé et surfréquenté comme celui du Festival de Cannes : ça tombe à pic.


Dimanche 17 mai - Couscous


          Nous testons la salle du Soixantième pour le film de Samuel Benchetrit Asphalte présenté en Séance Spéciale.
       Filmer une banlieue par le prisme de personnages simples et mal assortis entre eux en faisant ressortir le burlesque de la situation est de prime abord une idée sympa. Malheureusement, le côté mou très cinéma frenchy fait se noyer différents moments et surtout le segment homme en fauteuil / infirmière, diction nonchalante à l'extrême pour les acteurs en question et dialogues de sourds.
        En revanche, le segment astronaute de la NASA/femme au foyer qui a son fils en prison illumine le tout et aurait mérité à lui seul un seul film.



      Les barrières suffisamment explicites des immeubles, du quartier dans lequel on zone, brisées par l'apparition cartoonesque d'un vaisseau spatial atterrissant comme un gros cheveu sur la soupe sur le toit du bâtiment, avec à son bord un astronaute / acteur appartenant à une autre nationalité de cinéma. Lui et la dame vont apprendre à communiquer comme ils le peuvent, malgré la langue, l'âge, les différents horizons.
        Et pour rejoindre mon billet d'hier, et parce que je n'ai pas la berlue, une présence fantomatique est aussi là en leit motiv dans le film de Benchetrit : les personnages des différents segments croient chacun à leur tour entendre un bruit, peut-être un cri, sans qu'ils en comprennent l'origine. Le plan de fin nous en donnera la réponse.
        Il y a bien des échos à Cannes, venant de partout, ruisselant, comme un vent dans l'air dont on ne ferait plus attention.
       Le mot du jour : « Couscous » prononcé par Michael Pitt, ça n'a pas de prix.

         Suite de la Compèt avec Mon Roi de Maïwenn.
Comme à son habitude, la réalisatrice a de la poigne, ici pour mettre en scène une belle intimité, forte, touchante et violente dans ses remous et son évolution. L'histoire d'amour d'un couple, Tony et Giorgio, le début passionnel, puis des choses – paroles, sentiments – s’immiscent peu à peu entre eux deux. En parallèle, l'accident de ski qui va mettre en charpie le genou de Tony et lui imposer une longue rééducation. Un genou à rééduquer, un cœur à faire grandir malgré les douleurs, à l'image de cet enchaînement de plans, quand Tony crie sous la pluie après s'être violemment disputée avec son mari, et nous la retrouvons juste après se dressant péniblement sur ses deux pieds pendant un exercice de kiné.


       
         La réussite du film est dans le fait de nous mettre du côté de Tony tout du long (impressionnante Emmanuelle Bercot), tout en ne pouvant pas se détacher de ce roi Giorgio, à qui Vincent Cassel apporte la séduction massive, le danger insidieux du manipulateur, l'humour irrésistible, la blessure du grand amour. Comme le titre qui apparaît à la fin, en lettres géantes qui débordent même du cadre, puis qui rapetisse, rapetisse. Une marque qui sera là toujours.
      Cassel flirte avec la Palme d'interprétation, et Maïwenn réussit le pari rare de nous avoir fait réellement partager l'histoire de deux personnages et de tout ce qui se joue alors quand la rencontre est intense.

Lundi 18 mai


        Les Cowboys de Thomas Bidegain, Quinzaine des réalisateurs.
Des couleurs automnales, des jolis contrastes dans l'image. Une scène de famille à l'occasion d'un festival de country, une danse entre un père (Alain) et sa fille (Kelly). Et puis le vacillement. Kelly disparaît. Le film de Thomas Bidegain nous emmène loin, géographiquement et dans les sujets évoqués – des grandes problématiques à l'assaut d'une famille de simples gens. Le film se complexifie, après une première partie centrée sur la recherche effrénée du père – et portée par le génial François Damiens dont on connaît déjà le talent mais qu'on aime voir filmé de cette façon.



        Le film s'étend, se gorge d'ellipses, les noms, apparaissant à l'écran comme la matérialisation de différents chapitres, s’additionnent, ou se remplacent plutôt. Les personnages imprègnent l'histoire de leur densité : Alain nous manque dans la deuxième partie, Kid, le fils (Finnegan Oldfield) prend sa suite avec mérite comme un passage de flambeau, un porteur d'une quête qui doit perdurer, contre tout. Et Kelly marque de son absence toute sa famille comme tout le film. Les personnages sont assez forts pour que le monde violent et complexe dans lequel ils évoluent mette suffisamment en relief leur formidable individualité, sans cliché ou politisation.
      La belle scène de fin est pesante d'émotion par le non-dit et tout le poids sous entendu qu'elle dégage. Tout un film pour ce regard échangé.

       Sinon, on a aussi les petites émotions qui s'agitent dans nos têtes tout le temps, et c'est marrant de les voir concrétisées à l'écran dans Vice Versa, le nouveau film de Pixar.

        Et puis on a vu Louder than bombs de Joachim Trier, mais en fait eh bah à ce moment, un tremblement de terre a fait s'écrouler le Palais des Festivals. Il est en reconstruction là, tout comme nous donc on vous dit à bientôt.


Mardi 19 mai


  • Boum


       Denis Villeneuve réveille la Croisette avec Sicario et son explosion inaugurale et ne cessera d'être haletant aux côtés d'une Emilie Blunt en mission pour le FBI et aux prises avec des trafiquants de drogue plus que dangereux. Villeneuve est sans concession et ses cadrages sont à l'image de ses précédents films : réfléchis et intelligents. La jolie scène de fin fait penser à celle de Timbuktu : dans les deux, on joue au foot malgré tout, malgré le monde violent qui résonne autour.

  • Il était une fois


     Marguerite et Julien, par Valérie Donzelli. Un sujet épineux pour la réalisatrice qui fait lire son récit par une conteuse entourée d'enfants. Rassurez-vous, ça ne chante pas dans ce film, mais Donzelli a des meilleurs moyens de nous rapprocher de ses héros amoureux : les mélanger dans le temps (on part sur une vie de château et de calèches, puis on déboule à l'époque actuelle, le tout étant abstrait, par touches, si bien que l'une ou l'autre époque peut convenir, l'important est que cet amour traverse le temps) ; ou encore les arrêter en plein mouvement. Pourtant la course à cheval de Marguerite et Julien jeunes est effrénée et donne l'impulsion de leur histoire dès le début. Course, arrêts, décalages, récit dans le récit : plein de moyens différents pour la réalisatrice de faire vivre sa fiction. Me reste en mémoire la vision de Julien fantôme prenant dans les bras sa Marguerite fantôme, laissant le corps réel de la jeune fille au sol. Qu'il reste au sol, le récit lui continuera de vivre.

Mercredi 20 mai


         Un passage à la salle La Licorne nous éloigne un temps du Palais (c'est bien aussi), pour un film croate Soleil de plomb  présenté à Un Certain Regard. On suit trois histoires d'amour à trois époques différentes, 1991, 2001 et 2011, interprétées par les deux mêmes acteurs à chaque fois. Un couple fusionnel appartenant à deux gangs opposés, une rencontre brève dans une maison en travaux, un retour vers un ancien amour auquel on est toujours attaché. Le tout donnerait presque à voir l'évolution d'un même couple, où un couple avec plusieurs vies. Dans un pays marqué par son histoire difficile, par les conflits, cette histoire en trois fragments est un beau moyen de le raconter.

          On ne pense pas assez cinéma à Cannes, les films aussi parlent de films. Comme celui de Nanni Moretti, Youth de Paolo Sorrentino a des protagonistes travaillant dans le cinéma. Ici Harvey Keitel est réalisateur. Il prend du bon temps en cure thermale dans un hôtel avec son pote Michael Caine, ancien chef d'orchestre. L'occasion pour les deux amis de regarder un peu la vie. Ils nous font rire, le film offre pas mal de numéros d'acteur, Caine est sur son piédestal, Paul Dano a un rôle qui va bien à sa folie douce, et il y a aussi Miss Univers et une chanteuse pop.

         Je suis un soldat présenté à Un Certain Regard, en plus d'avoir comme étendard le Johnny national, est très français : si l'héroïne galère déjà en étant au chômage, elle va encore plus s'enfoncer en travaillant avec son oncle bourru (Jean-Hugues Anglade toute barbe dehors) dans son chenil à ramasser la merde, négocier les achats de chiens, se faire embarquer dans des coups tordus. Malgré ce côté social de l'extrême, le film fonctionne bien et la scène où sa sœur lui montre le terrain vide de sa future maison en imaginant toutes les futures pièces et meubles nous laisse présager du dur labeur à venir.

Jeudi 21 mai - ZZzzzz




     On se réveille avec le film d'Hou HSIAO-HSIEN : Nie Yinniang (The Assassin ), et il est assez périlleux de se lever de bon matin avec ce film, car le réalisateur prend biiiiien son temps, 10 minutes sur deux personnages derrière un rideau (le rideau volette... il s'en va... revient...), les plans de coupe qui auraient duré dix secondes dans Fast and Furious font 5 minutes ici ; les combats qui opposent les personnages s'arrêtent parfois en plein milieu et hop les deux se séparent sans qu'on comprenne pourquoi. Entre les voisins qui ronflent, les gens qui s'en vont, l'incompréhension était de mise au Palais.

« Y'a toujours un gars qui s'appelle Julien dans ce genre d'endroit »

      A la quinzaine, outre un court-métrage chelou avec un gars qui fait un mémoire baptisé « Fesses et Huiles » et qui passe par une porte qu'on devine extra-terrestre (on sait pas trop), deux courts vont nous marquer :  Quelques secondes  de Nora El Hourch et Pitchoune  de Reda Kateb. Le premier par la complicité, l'énergie et la performance de son casting, associé à une mise en scène précise et recherchée pour dire la vie d'un centre de réinsertion sociale. C'est même frais et drôle, et ça fait du bien. Le deuxième voit deux frères devant animer une garderie pendant un salon de campings-cars. Le van qui les amène a du mal à démarrer, Mathias veut arrêter ce boulot, le théâtre de marionnettes est pris d'assaut par les mômes. 

       Autant d'idées qui nous font dire que Reda Kateb, en plus d'être un acteur génial, est ENCORE génial dans son propre film et que la réalisation semble couler de source pour lui. Vivement la suite !


          Autre film en compétition, Dheepan de Jacques Audiard.
Rumeurs, film attendu, premières critiques des journalistes... Cannes bruisse dès le matin à chaque nouveau jour du festival, mais il est surtout bon de VOIR les films pour les ressentir vraiment.
       Celui d'Audiard nous emmène dès l'ouverture avec lui, et aux côtés de cette famille qui se constitue sous nos yeux, à la volée, pour fuir la misère : une jeune femme cherche désespérément un enfant sans parent qui lui servirait de passage auprès des autorités pour fuir le Sri Lanka et obtenir l'asile où elle pourra. Accompagnée d'un homme qui fera guise de mari, on les baptise Dheepan, Yalini et Illayaal et les passeports qui vont avec, sans autre cérémonie, et faîtes comme vous pouvez avec cette nouvelle vie. Arrivés en France, ils échouent dans un quartier où il s'agira d'être discrets au milieu de l'espèce de gang qui s'est établi là pour des trafics louches. Jamais on ne quitte cette famille, un instant avec Dheepan embauché pour faire le ménage et ranger le courrier, un moment avec Yalini qui doit s'occuper de l'appartement d'un locataire âgé et lui faire la cuisine, et aussi avec la petite Illayaal aux prises avec sa poésie à apprendre pour l'école. C'est elle qui fait apprendre des mots de français à sa mère de substitution, c'est elle qui réclame un bisou devant l'école car les autres parents le font avec leurs enfants, c'est encore elle qui offre des fleurs à Dheepan, lui montrant ce geste simple d'attention, qu'il répétera pour sa nouvelle femme. Si la famille reconstituée essaie de se fondre dans le quartier discrètement, des « bonjour, merci » suffisent, ou tiens, mets un voile sur tes cheveux pour faire comme les femmes ici ; ils ne pourront pas faire sans leur façon de penser et leur envie d'avancer. Nous sommes avec eux, de façon proche, et peut-être une des premières fois de cette façon dans ce festival 2015. Si les jeunes squatteurs, dealers règnent sur le quartier avec leur propres règles, ils agissent forcément sur cette petite famille nouvellement installée, et ils sont là, du point de vue de la dramaturgie, pour les mettre en lumière ou les oppresser. Le plus bel exemple est le personnage de Brahim (Vincent Rottiers), tout d'abord accueillant face à Yalini, sympathique et causant même si le français de la nouvelle venue est au début plus qu'approximatif, les deux semblent tout de même arriver à discuter ; et il se fait charmeur, devant la jeune femme touchée. La mise en lumière de la simple femme de ménage étrangère est faite. Et puis, quand Dheepan se rebelle et provoque le gang, Brahim devient menaçant envers elle, et le monde nouveau pour cette famille pourrait se retourner d'un simple mouvement fatal. Vincent Rottiers qui joue Brahim, parfait pour l'univers et les images d'Audiard, distille finement cette dualité, second rôle miroir fait de reflets contrastés, sympathie, charme, autorité du chef de gang, danger, en danger lui-même ; miroir idéal pour des personnages luttant / existant comme ils peuvent dans un monde dont ils sont dépendants.
        
        C'est un peu le Cannes des Vincent cette année (Cassel, Lindon dont on parle beaucoup ici sur la Croisette pour La Loi du marché).
Les trois autres acteurs sont également incroyables, je verrais bien un prix pour Kalieaswari Srinivasan qui joue Yalini.
         Un grand film actuel, qui résonne pile poil avec le monde d'aujourd'hui où on a difficilement un regard pour son voisin. Un film ancré, un film en lutte, un film d'espoir.

« Chez nous, quand tu tombes, tu souris, quand tu te fais mal, tu souris. » Yalini.

 Vendredi 22 mai - Les histoires avant tout !


      Présenté hors compétition, une petite féerie nous attend pour bien commencer la journée : Le Petit Prince de Mark Osborne. L'histoire d'une petite fille dont la mère et les règles archi strictes ont déjà planifié toute la vie future. C'est sans compter sa rencontre avec son voisin, qui s'obstine à vouloir faire voler son avion tout cabossé. Ce grand-père avait besoin de quelqu'un à qui raconter son histoire, celle du Petit Prince, et cette petite fille avait furieusement besoin de rêver à de nouvelles histoires et d'en vivre des passionnantes, dans sa vie trop bien rangée et cadrée. C'est donc une rencontre parfaite, salvatrice, une transmission qui se crée par le biais du récit et surtout de l'imagination, criée haut et fort dans ce film, comme tous les films devraient le faire. L'imagination est au cœur de l'enfance ; et les films d'animation sont souvent vus comme destinés aux seuls enfants : ici dans l'histoire, c'est pourtant le grand-père qui a conservé toute sa part d'enfance, il la cultive par l'avion qu'il s'acharne à remonter, et par sa quête pour retrouver le petit prince (« Ce qui est grave ce n'est pas de grandir, c'est d'oublier »). A l'inverse la petite fille a une vie d'adulte au début du film, elle ne joue pas, travaille, range, prévoie, liste... elle n'a pas de créneau pour rêver. Quand un avion en papier atterrit sur son livre recouvert de signes mathématico-illisibles, c'est la voie vers la liberté. Le grand-père aviateur lui amène la fantaisie, des petites étoiles lumineuses dans sa chambre, il révèle l'enfant qu'elle est. Les plans de haut montrant les rues sur lesquelles circulent des voitures à un rythme quotidien, reproduisant chaque jour le même parcours, tristesse de la routine, sont peu à peu remplacés par des paysages nouveaux et inconnus, et le cadre de cinéma se fait plus large, plus infini. Le plan délimité, barré, labyrinthique des rues de la ville s'efface au profit du ciel et d'espaces aussi larges que des planètes. 
         Quand par la suite, la petite prendra le relais de l'aviateur pour finir sa quête vers le petit prince, elle va atteindre son but et surtout tout ce qu'il lui manquait dans la vie : mieux que d'intégrer l'école des élites dont rêve sa mère, elle décolle avec un avion fait de bric et de broc, sa peluche renard prend vie, et vous verrez, elle libère des étoiles d'une sphère qui les emprisonnait. Une sphère qui rappelle les boules à neiges de touriste que son père lui envoie à chaque fête et anniversaire et qui s'accumulent sur son étagère. Il faut briser les sphères, briser la routine, contourner les paysages, avancer, laisser échapper ce qu'il y a de beau. Elle a retrouvé son statut d'enfant, elle a ce qu'il faut pour la suite (« Tu seras une adulte formidable »), elle a compris la bonne manière pour bien vivre, elle a eu le bon mode d'emploi. On a la chance de l'avoir nous aussi par la même occasion. 
            C'est presque le seul film joyeux et optimiste de ce Cannes, et il a tout compris : il nous faut des histoires. Des histoires qui résonnent en nous, qui peuvent nous porter et nous accompagner. Il nous faut des images multiples pour égayer notre paysage, comme celle de ce petit prince, retranscrite en stop motion de papier, alors que la vie de la petite est en animation 3D. Jolie façon de nous dire que la vie change selon la façon dont on la voit et surtout dont on la raconte.
Il est bon de laisser sa fenêtre ouverte parfois.
« La magie d'un désert c'est qu'il y a toujours un puits quelque part »

        Nous arrivons tout de même à quitter l'aviateur et cette petite fille (difficilement, mais le sourire aux lèvres), pour aller voir le film de Louis Garrel présenté à la Semaine de la Critique et intitulé « Les Deux amis ». Un bon moment aussi, une parenthèse sur deux amis fous de la même fille (c'est Golshifteh Farahani, donc c'est normal).

           C'est pas la faute du film, mais Chronic, autre film de la Compétition, fait disparaître l'optimisme partagé avec le Petit Prince le matin même, pour nous amener vers la tristesse et la difficulté à vivre, auprès d'un infirmier s'occupant de malades en fin de vie. Un quotidien qu'il vit avec une patience rare, dont les mouvements et les rapports humains nous sont livrés d'une manière très vraie, notamment par les choix des cadrages, les silences. Mais j'ai envie de dire stop aux films "moral à zéro". Le vendredi à 22h, c'est balèze.
A la fin de la projection, un spectateur sortant de la salle : « C'est pas une salle agréable pour dormir »....


Samedi 23 mai


         The other side de Roberto Minervini, niveau moral à zéro, est pas mal non plus. A la limite du documentaire, ce drame suit notamment un couple en galère dans une Amérique qui se dit oubliée. Drogues à outrance, entraînements aux tirs, voiture qui brûle... De bons choix de réalisation.

       Le Trésor de Corneliu Porumboiu, pourrait s'apparenter au Petit Prince pour sa mise en situation inaugurale : un père de famille lit une histoire (celle de Robin des Bois) à son petit garçon. Mais il va être interrompu à plusieurs reprises par son voisin en galère d'argent. Ce dernier va le convaincre de partir à la chasse au trésor dans le jardin de son grand-père... ça ressemble à un moyen de contourner la réalité, de la rendre meilleure par une idée qu'aurait pu avoir l'aviateur du film de Mark Osborne. Malheureusement, les deux voisins mettent tout le film à creuser leur trou, font tourner dans le vide des mêmes blagues, et le film a un gros problème de rythme, si bien qu'il ressemble à une blague carambar élargie à deux pages, ou une bulle de malabar géante qui va bientôt exploser. Enfin, c'est peut-être la fatigue.... 

        Et puis, dernier film en compétition, Macbeth de Justin Kurzel. L'histoire est épique, le texte envoie du pâté, la lumière du début me fait penser à celle de Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallières, sauf qu'elle serait mixée à l'esthétique d'un Nicolas Winding Refn période Valhalla Rising, le tout saupoudré d'un peu de Braveheart. Mélange chelou me diriez-vous ? Je fais peut-être avec mes références à moi pour décrypter ce film devant lequel il faut quand même s'accrocher quand l'oeuvre de Shakespeare n'est pas son livre de chevet, et que les sous-titres demandent un certain temps de réflexion – temps encore augmenté en fin de festival, hé oui. Reste que Michael Fassbender va très bien avec cette esthétique appuyée, chaque plan du monsieur étant presque iconique. Bon, y a des ralentis, du rouge délavé, du rouge vif, de la nuit, des ombres... un ptit prix de la mise en scène ? Ah non ce sera peut-être plus pour le film Zzzzz de Hou HSIAO-HSIEN précédemment cité, parce qu'on comprenait rien mais que c'était beau... et tellement lent que ça devait être profond.

      Allez, j'arrête ici mes moqueries, je ne me lance pas dans un possible palmarès ; je garde le mien tout personnel, pas toujours faits de films marquants, mais d'images, de visages, d'idées. Et c'est tout ce que l'on demande à Cannes, parmi la course, les files d'attente, le manque de sommeil. Si on peut revenir avec un peu d'images souvenir, un mot, une musique, c'est super, et je signe pour l'année prochaine. 

CHARLOTTE
(avec la participation de M.W-N pour l'édition)

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