Les Nouvelles Aventures de Charlotte...
Samedi 16 mai - The perfect place : ou le retour des fantômes
Nanni rit (un peu), Matthew cherche
son chemin, Amy pleure
Un long trajet en train durant lequel
le paysage peu à peu se modifie, ça y est le ciel devient bleu, ça
y est on arrive... Une valise au bord de l'explosion, un pass qui
tente de se faire la malle dans les rangées du Palais des festivals.
On retrouve ce monde qui vit sa propre
vie pendant plus d'une semaine : un monde où les gens parlent
d'image léchée au détour d'un verre en terrasse, où les badauds
se baladent dans les rues dans leurs plus beaux atours (enfin, leurs
plus beaux,... le critère fashion est subjectif).
Présenté ce samedi, Mia Madre
de Nanni Moretti adopte un rythme classique où le lieu habituel, la
maison familiale, est investie de dés-habitudes à la suite du
bouleversement qui entre en scène : la mère de Margherita est
souffrante et va bientôt mourir. Et soudain, l'homme qui demande des
papiers administratifs à la jeune femme la contraint de fouiller
péniblement dans une maison que normalement, elle connaît sur le
bout des doigts.
En parallèle, Margherita tourne son
film et s'acharne contre son équipe pour qu'elle réponde à ses
attentes. Au sein de ce rythme plutôt convenu, Moretti insuffle des
vagues comiques par l'intermédiaire du personnage de John Turturro,
et des vagues fantastiques où les apparitions fantomatiques d'une
autre Margherita, plus jeune, d'une maman en forme, se font les
nouveaux compagnons d'une héroïne brinquebalée entre
l'organisation au carré du tournage, ses ordres de réalisatrice et
les doutes et l'imprévu de ce qui arrive à sa mère. Si ces deux
différentes vagues sont intéressantes, le film reste pour moi assez
terne et manque d'émotions.
« Pour les verbes, il suffit de ne pas prendre la première entrée du dictionnaire».
Néanmoins, commencer notre festival
par un film qui met en parallèle le cinéma et l'individu offre une
bonne introduction de lecture pour ces prochains jours – il y est
en plus question de traduction.
En compétition également, le nouveau
film de Gus Van Sant : The Sea of trees. Un strapontin
merveilleux (enfin pas confortable, mais merveilleux) me fait
regarder le film de tout près, comme seule au monde, et en même
temps noyée au milieu de ce Grand Théâtre Lumière. En gros plan
le visage (et la voix) de Matthew McConaughey me donnerait presque
envie de prier, et dans le coin de l’œil, ce même Matthew qui se
regarde à quatre rangées de là. La nouvelle dimension de
projection est béton (poil au menton).
A l'image, encore des fantômes, motif
surprise du jour. Matthew/Arthur prend l'avion sans bagage, l'air
perdu, pour se retrouver dans une forêt van-santienne où tout est
là pour faire résonner l'intériorité du personnage. Il cherche le
fantôme de sa femme récemment disparue, il rencontre celui d'un
mystérieux homme venu là pour adhérer aux habitudes du lieu :
mettre fin à ses jours. Surtout, il se rencontre lui-même et les
différents jeux de symétrie ou reflets sont là pour nous le faire
voir : un fondu qui fait se dédoubler pendant un instant le
Arthur de la forêt et le Arthur d'avant ; le reflet du feu de
camp dans le verre cassé des lunettes du héros qui semble lui créer
une nouvelle pupille. Des lunettes qu' Arthur, dans ce lieu
métaphysique, se plaît à enlever ou remettre selon où sa vue
porte, vers le ciel, vers la fin, devant lui, plus loin... Au bout de
ce voyage, de nouvelles lunettes, une nouvelle chemise, et on pense à
celle immaculée du Matthew de Mud qui ne peut s'empêcher d'aider
les autres malgré lui (comme Arthur avec cet homme qu'il trouve dans
la forêt). Le film voit la lutte entre le matériel (la conception
de Joan, la femme d'Arthur ; sa vie avec elle, son travail de
scientifique) et l'immatériel (la conception d'Arthur, son
introspection, la forêt, lieu d'abstraction infinie, gardée par des
hommes dont Arthur ne parle pas la langue, forêt de conte où Arthur
devient Hansel, un lieu de passage et de lecture idéale). Les
fantômes (encore d'autres) du prof et de l'élève de Will Hunting
sont revenus, ils sont plus désabusés mais se partagent cette même
recherche entre les chiffres, symbolisant la vie sociale, et la
philosophie et la recherche de soi, pour la vie intérieure, celle
avec laquelle on se débat.
Une autre apparition en Séance de
minuit : Amy Winehouse revient à nous grâce au documentaire
d'Asif Kapadia. Il est agréable d'entendre résonner la voix de la
chanteuse et de lire ses textes à l'écran (seule bonne idée du
film), il est par contre triste de déplorer le choix voyeuriste du
réalisateur qui fait remonter à nous le souvenir encore récent
d'une descente aux enfers médiatisée (tout y passe, des photos
d'elle cadavérique, des photos où elle se drogue qu'aurait utilisé
un mauvais biopic, sa dépouille emportée par l'ambulance, ce triste
moment de scène où elle se retrouve incapable de chanter, tout le
monde a déjà vu ce moment, mais le film se targue apparemment de
faire mieux qu'un reportage glauque sur NRJ12), et qui fait défiler
pendant presque la moitié du film une impudeur dont on aurait bien
voulu se passer pour se souvenir d'Amy.
Des premières apparitions donc,
étranges, indéfinies et qui tendent vers d'autres ailleurs, dans un
contexte surpeuplé et surfréquenté comme celui du Festival de
Cannes : ça tombe à pic.
Dimanche 17 mai - Couscous
Nous testons la salle du Soixantième
pour le film de Samuel Benchetrit Asphalte présenté
en Séance Spéciale.
Filmer une banlieue par le prisme de
personnages simples et mal assortis entre eux en faisant ressortir le
burlesque de la situation est de prime abord une idée sympa.
Malheureusement, le côté mou très cinéma frenchy fait se noyer
différents moments et surtout le segment homme en fauteuil /
infirmière, diction nonchalante à l'extrême pour les acteurs en
question et dialogues de sourds.
En revanche, le segment astronaute de
la NASA/femme au foyer qui a son fils en prison illumine le tout et
aurait mérité à lui seul un seul film.
Les barrières suffisamment
explicites des immeubles, du quartier dans lequel on zone, brisées
par l'apparition cartoonesque d'un vaisseau spatial atterrissant
comme un gros cheveu sur la soupe sur le toit du bâtiment, avec à
son bord un astronaute / acteur appartenant à une autre nationalité
de cinéma. Lui et la dame vont apprendre à communiquer comme ils le
peuvent, malgré la langue, l'âge, les différents horizons.
Et pour rejoindre mon billet d'hier, et
parce que je n'ai pas la berlue, une présence fantomatique est aussi
là en leit motiv dans le film de Benchetrit : les personnages
des différents segments croient chacun à leur tour entendre un
bruit, peut-être un cri, sans qu'ils en comprennent l'origine. Le
plan de fin nous en donnera la réponse.
Il y a bien des échos à Cannes,
venant de partout, ruisselant, comme un vent dans l'air dont on ne
ferait plus attention.
Le mot du jour : « Couscous »
prononcé par Michael Pitt, ça n'a pas de prix.
Suite de la Compèt avec Mon Roi
de Maïwenn.
Comme à son habitude, la réalisatrice
a de la poigne, ici pour mettre en scène une belle intimité, forte,
touchante et violente dans ses remous et son évolution. L'histoire
d'amour d'un couple, Tony et Giorgio, le début passionnel, puis des
choses – paroles, sentiments – s’immiscent peu à peu entre eux
deux. En parallèle, l'accident de ski qui va mettre en charpie le
genou de Tony et lui imposer une longue rééducation. Un genou à
rééduquer, un cœur à faire grandir malgré les douleurs, à
l'image de cet enchaînement de plans, quand Tony crie sous la pluie
après s'être violemment disputée avec son mari, et nous la
retrouvons juste après se dressant péniblement sur ses deux pieds
pendant un exercice de kiné.
La réussite du film est dans le fait de nous mettre du côté de Tony tout du long (impressionnante Emmanuelle Bercot), tout en ne pouvant pas se détacher de ce roi Giorgio, à qui Vincent Cassel apporte la séduction massive, le danger insidieux du manipulateur, l'humour irrésistible, la blessure du grand amour. Comme le titre qui apparaît à la fin, en lettres géantes qui débordent même du cadre, puis qui rapetisse, rapetisse. Une marque qui sera là toujours.
Cassel flirte avec la Palme
d'interprétation, et Maïwenn réussit le pari rare de nous avoir
fait réellement partager l'histoire de deux personnages et de tout
ce qui se joue alors quand la rencontre est intense.
Lundi 18 mai
Les Cowboys de Thomas Bidegain,
Quinzaine des réalisateurs.
Des couleurs automnales, des jolis
contrastes dans l'image. Une scène de famille à l'occasion d'un
festival de country, une danse entre un père (Alain) et sa fille
(Kelly). Et puis le vacillement. Kelly disparaît. Le film de Thomas
Bidegain nous emmène loin, géographiquement et dans les sujets
évoqués – des grandes problématiques à l'assaut d'une famille
de simples gens. Le film se complexifie, après une première partie
centrée sur la recherche effrénée du père – et portée par le
génial François Damiens dont on connaît déjà le talent mais
qu'on aime voir filmé de cette façon.
Le film s'étend, se gorge d'ellipses, les noms, apparaissant à l'écran comme la matérialisation de différents chapitres, s’additionnent, ou se remplacent plutôt. Les personnages imprègnent l'histoire de leur densité : Alain nous manque dans la deuxième partie, Kid, le fils (Finnegan Oldfield) prend sa suite avec mérite comme un passage de flambeau, un porteur d'une quête qui doit perdurer, contre tout. Et Kelly marque de son absence toute sa famille comme tout le film. Les personnages sont assez forts pour que le monde violent et complexe dans lequel ils évoluent mette suffisamment en relief leur formidable individualité, sans cliché ou politisation.
Le film s'étend, se gorge d'ellipses, les noms, apparaissant à l'écran comme la matérialisation de différents chapitres, s’additionnent, ou se remplacent plutôt. Les personnages imprègnent l'histoire de leur densité : Alain nous manque dans la deuxième partie, Kid, le fils (Finnegan Oldfield) prend sa suite avec mérite comme un passage de flambeau, un porteur d'une quête qui doit perdurer, contre tout. Et Kelly marque de son absence toute sa famille comme tout le film. Les personnages sont assez forts pour que le monde violent et complexe dans lequel ils évoluent mette suffisamment en relief leur formidable individualité, sans cliché ou politisation.
La belle scène de fin est pesante
d'émotion par le non-dit et tout le poids sous entendu qu'elle
dégage. Tout un film pour ce regard échangé.
Sinon, on a aussi les petites émotions
qui s'agitent dans nos têtes tout le temps, et c'est marrant de les
voir concrétisées à l'écran dans Vice Versa, le nouveau
film de Pixar.
Et puis on a vu Louder than bombs
de Joachim Trier, mais en fait eh bah à ce moment, un tremblement de
terre a fait s'écrouler le Palais des Festivals. Il est en
reconstruction là, tout comme nous donc on vous dit à bientôt.
Mardi 19 mai
- Boum
Denis Villeneuve réveille la Croisette
avec Sicario et son explosion inaugurale et ne cessera d'être
haletant aux côtés d'une Emilie Blunt en mission pour le FBI et aux
prises avec des trafiquants de drogue plus que dangereux. Villeneuve
est sans concession et ses cadrages sont à l'image de ses précédents
films : réfléchis et intelligents. La jolie scène de fin fait
penser à celle de Timbuktu : dans les deux, on joue au
foot malgré tout, malgré le monde violent qui résonne autour.
- Il était une
fois
Marguerite et Julien, par
Valérie Donzelli. Un sujet épineux pour la réalisatrice qui fait
lire son récit par une conteuse entourée d'enfants. Rassurez-vous,
ça ne chante pas dans ce film, mais Donzelli a des meilleurs moyens
de nous rapprocher de ses héros amoureux : les mélanger dans
le temps (on part sur une vie de château et de calèches, puis on
déboule à l'époque actuelle, le tout étant abstrait, par touches,
si bien que l'une ou l'autre époque peut convenir, l'important est
que cet amour traverse le temps) ; ou encore les arrêter en
plein mouvement. Pourtant la course à cheval de Marguerite et Julien
jeunes est effrénée et donne l'impulsion de leur histoire dès le
début. Course, arrêts, décalages, récit dans le récit :
plein de moyens différents pour la réalisatrice de faire vivre sa
fiction. Me reste en mémoire la vision de Julien fantôme prenant
dans les bras sa Marguerite fantôme, laissant le corps réel de la
jeune fille au sol. Qu'il reste au sol, le récit lui continuera de
vivre.
Mercredi 20 mai
Un passage à la salle La Licorne nous
éloigne un temps du Palais (c'est bien aussi), pour un film croate
Soleil de plomb présenté à Un Certain Regard. On suit
trois histoires d'amour à trois époques différentes, 1991, 2001 et
2011, interprétées par les deux mêmes acteurs à chaque fois. Un
couple fusionnel appartenant à deux gangs opposés, une rencontre
brève dans une maison en travaux, un retour vers un ancien amour
auquel on est toujours attaché. Le tout donnerait presque à voir
l'évolution d'un même couple, où un couple avec plusieurs vies.
Dans un pays marqué par son histoire difficile, par les conflits,
cette histoire en trois fragments est un beau moyen de le raconter.
On ne pense pas assez cinéma à
Cannes, les films aussi parlent de films. Comme celui de Nanni
Moretti, Youth de Paolo Sorrentino a des protagonistes
travaillant dans le cinéma. Ici Harvey Keitel est réalisateur. Il
prend du bon temps en cure thermale dans un hôtel avec son pote
Michael Caine, ancien chef d'orchestre. L'occasion pour les deux amis
de regarder un peu la vie. Ils nous font rire, le film offre pas mal
de numéros d'acteur, Caine est sur son piédestal, Paul Dano a un
rôle qui va bien à sa folie douce, et il y a aussi Miss Univers et
une chanteuse pop.
Je suis un soldat présenté à
Un Certain Regard, en plus d'avoir comme étendard le Johnny
national, est très français : si l'héroïne galère déjà en
étant au chômage, elle va encore plus s'enfoncer en travaillant
avec son oncle bourru (Jean-Hugues Anglade toute barbe dehors) dans
son chenil à ramasser la merde, négocier les achats de chiens, se
faire embarquer dans des coups tordus. Malgré ce côté social de
l'extrême, le film fonctionne bien et la scène où sa sœur lui
montre le terrain vide de sa future maison en imaginant toutes les
futures pièces et meubles nous laisse présager du dur labeur à
venir.
Jeudi 21 mai - ZZzzzz
On se réveille avec le film d'Hou
HSIAO-HSIEN : Nie Yinniang (The Assassin ),
et il est assez périlleux de se lever de bon matin avec ce film, car
le réalisateur prend biiiiien son temps, 10 minutes sur deux
personnages derrière un rideau (le rideau volette... il s'en va...
revient...), les plans de coupe qui auraient duré dix secondes dans
Fast and Furious font 5 minutes ici ; les combats qui
opposent les personnages s'arrêtent parfois en plein milieu et hop
les deux se séparent sans qu'on comprenne pourquoi. Entre les
voisins qui ronflent, les gens qui s'en vont, l'incompréhension
était de mise au Palais.
« Y'a toujours un gars qui s'appelle Julien dans ce genre d'endroit »
A la quinzaine, outre un court-métrage
chelou avec un gars qui fait un mémoire baptisé « Fesses et
Huiles » et qui passe par une porte qu'on devine
extra-terrestre (on sait pas trop), deux courts vont nous marquer :
Quelques secondes de Nora El Hourch et Pitchoune
de Reda Kateb. Le premier par la complicité, l'énergie et la
performance de son casting, associé à une mise en scène précise
et recherchée pour dire la vie d'un centre de réinsertion sociale.
C'est même frais et drôle, et ça fait du bien. Le deuxième voit
deux frères devant animer une garderie pendant un salon de
campings-cars. Le van qui les amène a du mal à démarrer, Mathias
veut arrêter ce boulot, le théâtre de marionnettes est pris
d'assaut par les mômes.
Autant d'idées qui nous font dire que Reda Kateb, en plus d'être un acteur génial, est ENCORE génial dans son propre film et que la réalisation semble couler de source pour lui. Vivement la suite !
Autant d'idées qui nous font dire que Reda Kateb, en plus d'être un acteur génial, est ENCORE génial dans son propre film et que la réalisation semble couler de source pour lui. Vivement la suite !
Autre film en compétition, Dheepan
de Jacques Audiard.
Rumeurs, film attendu, premières
critiques des journalistes... Cannes bruisse dès le matin à chaque
nouveau jour du festival, mais il est surtout bon de VOIR les films
pour les ressentir vraiment.
Celui d'Audiard nous emmène dès
l'ouverture avec lui, et aux côtés de cette famille qui se
constitue sous nos yeux, à la volée, pour fuir la misère :
une jeune femme cherche désespérément un enfant sans parent qui
lui servirait de passage auprès des autorités pour fuir le Sri
Lanka et obtenir l'asile où elle pourra. Accompagnée d'un homme qui
fera guise de mari, on les baptise Dheepan, Yalini et Illayaal et les
passeports qui vont avec, sans autre cérémonie, et faîtes comme
vous pouvez avec cette nouvelle vie. Arrivés en France, ils échouent
dans un quartier où il s'agira d'être discrets au milieu de
l'espèce de gang qui s'est établi là pour des trafics louches.
Jamais on ne quitte cette famille, un instant avec Dheepan embauché
pour faire le ménage et ranger le courrier, un moment avec Yalini
qui doit s'occuper de l'appartement d'un locataire âgé et lui faire
la cuisine, et aussi avec la petite Illayaal aux prises avec sa
poésie à apprendre pour l'école. C'est elle qui fait apprendre des
mots de français à sa mère de substitution, c'est elle qui réclame
un bisou devant l'école car les autres parents le font avec leurs
enfants, c'est encore elle qui offre des fleurs à Dheepan, lui
montrant ce geste simple d'attention, qu'il répétera pour sa
nouvelle femme. Si la famille reconstituée essaie de se fondre dans
le quartier discrètement, des « bonjour, merci »
suffisent, ou tiens, mets un voile sur tes cheveux pour faire comme
les femmes ici ; ils ne pourront pas faire sans leur façon de
penser et leur envie d'avancer. Nous sommes avec eux, de façon
proche, et peut-être une des premières fois de cette façon dans ce
festival 2015. Si les jeunes squatteurs, dealers règnent sur le
quartier avec leur propres règles, ils agissent forcément sur cette
petite famille nouvellement installée, et ils sont là, du point de
vue de la dramaturgie, pour les mettre en lumière ou les oppresser.
Le plus bel exemple est le personnage de Brahim (Vincent Rottiers),
tout d'abord accueillant face à Yalini, sympathique et causant même
si le français de la nouvelle venue est au début plus
qu'approximatif, les deux semblent tout de même arriver à
discuter ; et il se fait charmeur, devant la jeune femme
touchée. La mise en lumière de la simple femme de ménage étrangère
est faite. Et puis, quand Dheepan se rebelle et provoque le gang,
Brahim devient menaçant envers elle, et le monde nouveau pour cette
famille pourrait se retourner d'un simple mouvement fatal. Vincent
Rottiers qui joue Brahim, parfait pour l'univers et les images
d'Audiard, distille finement cette dualité, second rôle miroir fait
de reflets contrastés, sympathie, charme, autorité du chef de gang,
danger, en danger lui-même ; miroir idéal pour des personnages
luttant / existant comme ils peuvent dans un monde dont ils sont
dépendants.
C'est un peu le Cannes des Vincent cette année (Cassel, Lindon dont on parle beaucoup ici sur la Croisette pour La Loi du marché).
Les trois autres acteurs sont également
incroyables, je verrais bien un prix pour Kalieaswari Srinivasan qui
joue Yalini.
Un grand film actuel, qui résonne pile
poil avec le monde d'aujourd'hui où on a difficilement un regard
pour son voisin. Un film ancré, un film en lutte, un film d'espoir.
« Chez nous, quand tu tombes, tu souris, quand tu te fais mal, tu souris. » Yalini.
Vendredi 22 mai - Les histoires avant tout !
Quand par la suite, la petite prendra le relais de l'aviateur pour finir sa quête vers le petit prince, elle va atteindre son but et surtout tout ce qu'il lui manquait dans la vie : mieux que d'intégrer l'école des élites dont rêve sa mère, elle décolle avec un avion fait de bric et de broc, sa peluche renard prend vie, et vous verrez, elle libère des étoiles d'une sphère qui les emprisonnait. Une sphère qui rappelle les boules à neiges de touriste que son père lui envoie à chaque fête et anniversaire et qui s'accumulent sur son étagère. Il faut briser les sphères, briser la routine, contourner les paysages, avancer, laisser échapper ce qu'il y a de beau. Elle a retrouvé son statut d'enfant, elle a ce qu'il faut pour la suite (« Tu seras une adulte formidable »), elle a compris la bonne manière pour bien vivre, elle a eu le bon mode d'emploi. On a la chance de l'avoir nous aussi par la même occasion.
C'est presque le seul film joyeux et optimiste de ce Cannes, et il a tout compris : il nous faut des histoires. Des histoires qui résonnent en nous, qui peuvent nous porter et nous accompagner. Il nous faut des images multiples pour égayer notre paysage, comme celle de ce petit prince, retranscrite en stop motion de papier, alors que la vie de la petite est en animation 3D. Jolie façon de nous dire que la vie change selon la façon dont on la voit et surtout dont on la raconte.
Il est bon de laisser sa fenêtre ouverte parfois.
« La magie d'un désert c'est qu'il y a toujours un puits quelque part »
Nous arrivons tout de même à quitter l'aviateur et cette petite fille (difficilement, mais le sourire aux lèvres), pour aller voir le film de Louis Garrel présenté à la Semaine de la Critique et intitulé « Les Deux amis ». Un bon moment aussi, une parenthèse sur deux amis fous de la même fille (c'est Golshifteh Farahani, donc c'est normal).
C'est pas la faute du film, mais Chronic, autre film de la Compétition, fait disparaître l'optimisme partagé avec le Petit Prince le matin même, pour nous amener vers la tristesse et la difficulté à vivre, auprès d'un infirmier s'occupant de malades en fin de vie. Un quotidien qu'il vit avec une patience rare, dont les mouvements et les rapports humains nous sont livrés d'une manière très vraie, notamment par les choix des cadrages, les silences. Mais j'ai envie de dire stop aux films "moral à zéro". Le vendredi à 22h, c'est balèze.
A la fin de la projection, un spectateur sortant de la salle : « C'est pas une salle agréable pour dormir »....
Samedi 23 mai
Le Trésor de Corneliu Porumboiu, pourrait s'apparenter au Petit Prince pour sa mise en situation inaugurale : un père de famille lit une histoire (celle de Robin des Bois) à son petit garçon. Mais il va être interrompu à plusieurs reprises par son voisin en galère d'argent. Ce dernier va le convaincre de partir à la chasse au trésor dans le jardin de son grand-père... ça ressemble à un moyen de contourner la réalité, de la rendre meilleure par une idée qu'aurait pu avoir l'aviateur du film de Mark Osborne. Malheureusement, les deux voisins mettent tout le film à creuser leur trou, font tourner dans le vide des mêmes blagues, et le film a un gros problème de rythme, si bien qu'il ressemble à une blague carambar élargie à deux pages, ou une bulle de malabar géante qui va bientôt exploser. Enfin, c'est peut-être la fatigue....
Et puis, dernier film en compétition, Macbeth de Justin Kurzel. L'histoire est épique, le texte envoie du pâté, la lumière du début me fait penser à celle de Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallières, sauf qu'elle serait mixée à l'esthétique d'un Nicolas Winding Refn période Valhalla Rising, le tout saupoudré d'un peu de Braveheart. Mélange chelou me diriez-vous ? Je fais peut-être avec mes références à moi pour décrypter ce film devant lequel il faut quand même s'accrocher quand l'oeuvre de Shakespeare n'est pas son livre de chevet, et que les sous-titres demandent un certain temps de réflexion – temps encore augmenté en fin de festival, hé oui. Reste que Michael Fassbender va très bien avec cette esthétique appuyée, chaque plan du monsieur étant presque iconique. Bon, y a des ralentis, du rouge délavé, du rouge vif, de la nuit, des ombres... un ptit prix de la mise en scène ? Ah non ce sera peut-être plus pour le film Zzzzz de Hou HSIAO-HSIEN précédemment cité, parce qu'on comprenait rien mais que c'était beau... et tellement lent que ça devait être profond.
Allez, j'arrête ici mes moqueries, je ne me lance pas dans un possible palmarès ; je garde le mien tout personnel, pas toujours faits de films marquants, mais d'images, de visages, d'idées. Et c'est tout ce que l'on demande à Cannes, parmi la course, les files d'attente, le manque de sommeil. Si on peut revenir avec un peu d'images souvenir, un mot, une musique, c'est super, et je signe pour l'année prochaine.
CHARLOTTE
(avec la participation de M.W-N pour l'édition)
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