ROSE BONBON
Dans cette nouvelle
chronique, nous critiquons un film via sa
bande-annonce. Il n'est certes pas très honnête de
juger une œuvre avant de l'avoir vu. Mais qui prétend que nous
sommes honnêtes ? Voici la cible du jour :
Le
sujet qui suit mériterait de s'y attarder longuement et de se jeter alors tête baissée dans un débat sans fin :
la place qu'occupe le cinéma
de genre en France. Nous
y reviendrons sans doute régulièrement au DWARF. Ce
n'est guère le but de cet article, mais disons qu'il constitue une petite amorce.
Dans
la grande maison du 7ème
art français, tandis
que la comédie populaire trône dans les
toilettes (la
pièce la plus spacieuse cela
dit), le cinéma de genre se
partage la niche du chien, la litière du chat et la cabane du
hamster. Penchons-nous sur
le made in France de
ses 20 dernières années. Qu'il
s'agisse de l'Horreur,
du Fantastique,
de la Science-fiction
ou
de l'Heroic
fantasy, ces catégories si
diverses ont quasi toutes la même cote misérable
auprès des gros
producteurs du cinéma
français.
Autrement dit, tout
ce qui relève un tantinet
de l'univers imaginaire
est snobé, ignoré, maltraité. Ce
n'est point
réaliste, donc impossible, et impossible n'est pas français.
Tant pis si la littérature
nationale contient de fabuleux contre-exemples, peuplés de rêves
verniens
et de cauchemars maupassiens,
le cinéma populaire français ne s'intéresse pas à ces histoires
pourtant typiquement cinématographiques.
On pourrait étaler les
raisons basiques : ce
n'est pas rentable, pas
assez
sérieux, ça n'intéresse pas les ménagères de plus de 50
balais... Ou encore laissons
les américains produire ses objets
de consommation frivoles et coûteux qui squatteront
la case du dimanche soir sur
TF1. Je
vais arrêter là cette
vision assez proche de la vérité mais
somme toute assez clichée.
Version moderne du conte |
Car assurément : NON ! Au royaume de l’Étrange, un
espoir luit. Une poignée d'irréductibles réalisateurs français en
marge de la norme résiste encore et toujours à l'envahissante
tentation du « cinéma réaliste ». On peut féliciter
leur bravoure. Certains proposent avec souvent peu de budget de vraies
alternatives, une vraie touche, une patte, une griffe et même
parfois des coussinets.
Pas
toujours cependant.
Christophe
Gans fait partie
des très
rares soldats
à bénéficier de budgets
confortables pour
insuffler un peu de magie
dans le cinéma populaire
français. Cinéaste
cinéphile et amoureux du bis,
Gans s'attaque
à la relecture d'un conte
populaire
célébrissime :
La Belle et la Bête.
Pourquoi pas ? Cette
histoire éternelle, comme le chantait Samovar, a bel et bien
traversé les âges. Ce conte est devenu populaire grâce à
Jeanne-Marie Leprince de Beaumont au XVIIIè siècle, qui l'a tiré
du recueil de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, qui s'est elle-même
inspirée de Francesco Straparola, qui a puisé dans le folklore
italien et qui est remonté jusqu'aux Métamorphoses
du latin Apulée.
La
première version cinéma connue date de 1899, avant de connaître
deux grandes versions marquantes : le film poétique de 1946
par Jean Cocteau et la version musicale de Disney de 1991.
Difficile de passer après
deux mastodontes, mais Gans relève le défi. Le
bonhomme s'est auparavant
surtout exercé dans le registre horrifique.
Ça promet a priori une nouvelle vision moins grand public, plus
violente, originale.
Qu'en est-il a posteriori ? Ben... heu. Voici la bande-annonce
du film :
Bon,
voilà !
Que
dire ? Évidemment, à
ce moment précis, vous vous attendez à lire
mes impressions bien
échaudées.
Vous les imaginez peut-être
cinglantes et sans pitié, que
je piétine sans vergogne l'effort du
réalisateur et de son
équipe à
transmettre - enfin d'essayer de
transmettre - un peu de rêve
en couleurs dans le cœur brisé des gens blasés. Que
je crache sur les choix
esthétiques d'un film visiblement
estampillé Quality
Street, bonbons dont
mémère
raffolait avant de devenir diabétique. De déballer un bon flot
d'insultes gratuits, comme ça, juste pour le
plaisir de se défouler, de
déballer sa frustration et
de déplorer
tout cet
argent foutu par les
fenêtres pour produire un
film qui sera
vite vu -
vite oublié,
où l'imagination de
l'auteur se résume à peu près
à peau de balle, walou,
nada, niente.
Non !
Désolé de vous décevoir
chers lectrices et chers lecteurs, mais plutôt que
de jouer le jeu du massacre convenu,
je ne dirai rien de plus.
Je vous laisse
juge et bourreau si le cœur
vous en dit. Moi, je n'en ai pas envie. Pas maintenant en tout cas.
Pourquoi
pas maintenant ?
Parce que c'est
Noël ! Je
n'ai juste pas le droit de déballer ma haine, ce serait inconvenant.
Le choix de partager
ce
trailer en cette saison de fêtes n'est pas le
fruit du hasard. Le public
se montre toujours
plus réceptif à accueillir les
images d'un conte enfantin
fin décembre que par un jour de mars pluvieux. Moi-même, n'étant
pas insensible à cette
période bariolée et
kitsch, j'ai
envie de me montrer
bienveillant. Reléguons
le
cynisme désabusé sur les
autres mois pourris
de l'année et laissons nous retomber en enfance au moins quelques
jours. C'est le but de Noël ! Ça et les cadeaux, évidemment.
Laissez-nous ces quelques jours de
bonheur consensuel.
Enivré
par ce
coquet parfum
ambiant, la
bande-annonce du
dernier Gans ne me
semble
plus
si vilaine
après tout. Déjà,
l'aspect conte est fortement
assumé. Gans
respecte tous les tralalas habituels qui font toujours plaisir :
le « Il
était une fois »,
la voix-Off, les décors rococos,
l'univers merveilleux,
le bestiaire... Tout
est là ! C'est
baroque, c'est
romantique, c'est maniériste
et ça vend du rêve à
mille lieux de la production
française habituelle. Gans
offre une vision classique du conte et c'est tout à fait ce que
demande le peuple. Il veut
de la tradition, le confort
du déjà-vu, du terrain connu, de la nostalgie facile. Laissons donc
ce plaisir innocent
tranquille
et remercions Gans pour
la
prise de
risque de ne
pas bousculer l'attente
des spectateurs.
Aussi,
pourquoi transformer un
récit qui
fonctionne depuis 3 siècles ? Je
résume vite fait :
PÈRE a
FILLES.
FILLES
égoïstes, sauf une
qu'est
toute
gentille, toute
généreuse et toute belle.
Même qu'on l'appelle
BELLE. PÈRE ruiné cherche argent
et tombe sur château mystérieux
de BÊTE. PÈRE fait
grosse connerie
donc BÊTE pas contente, alors BÊTE veux
tuer PÈRE.
Mais PÈRE,
vieux saligaud, laisse
BELLE
se sacrifier à
sa place. BÊTE jubile,
car si BELLE
aimer BÊTE,
alors BÊTE redevenir
PRINCE (pas le chanteur !).
Et BELLE est
toute
gentille, toute généreuse
et toute belle,
donc BELLE
va
au château de BÊTE.
Zoophilie
commence.
Puis SŒURS égoïstes punies, BELLE
et BÊTE s'aiment
d'amour, maléfice tombe et BÊTE redevient
PRINCE
tête à claque. BELLE
et PRINCE vivent
heureux. FIN
Et
c'est très bien comme ça.
On change rien. On ajoute tout de même des éléments tirés des
vieux films pour palier
l'absence d'imagination
pour l'hommage cinéphile.
Le
film de Gans contient donc
une
scène de bal comme chez
Disney. Malheureusement,
on ne peut pas encore affirmer avec certitude si la
théière qui chante et la
panoplie de casseroles dansant la samba seront
de la partie.
Cette vanne vous est offerte par Roland |
D'autant
plus que le film contient un
casting très original.
Vincent Cassel continue de
jouer son bad boy tourmenté dans la peau de la Bête. Le choix est
judicieux, puisque
l'acteur visiblement s'est
totalement passé de maquillage pour incarner le monstre.
(comment
ça, il est vraiment maquillé ?)
Saluons aussi l'implication du grand André Dussolier qui incarne le
père de Belle, contraint de travailler coûte que coûte pour
nourrir sa famille et payer ses impôts. Faut bien vivre (oui, je
parle du père de Belle. Je crois...)
Saluons
la participation d'Audrey Lamy,
sœur d'Alexandra Lamy, connu pour
jouer l'horripilante
Marion dans Scènes de
ménage, qui campe
ici l'horripilante
sœur de Belle. Le rôle de la
maturité sans aucun doute.
Quant
à Léa Seydoux, elle
continue d'illuminer l'écran après La
Vie d'Adèle.
Esthétiquement mise en valeur par
la caméra de Gans, la belle Léa
pose et
récite des
dialogues si finement
ciselés,
en les octroyant d'un
certain détachement
dont elle a le secret.
Moralité : Léa
Seydoux n'a pas besoin d'un
tyran pour pouvoir jouer, suffit
de la poser sobrement devant la caméra. Point. Prends ça Kechiche
et
tes
méthodes sadiques !
Gageons
que le film de Gans soit
digne de ces illustres
prédécesseurs. Il en
reprend déjà apparemment tous les ingrédients.
Espérons
que d'ici 50
ans, un autre réalisateur audacieux
proposera une nouvelle version de La
Belle et la Bête
et celui-ci rependra
la même histoire et le même visuel pour rendre hommage à Gans, qui
rendait lui-même
hommage à Disney, qui rendait lui-même
hommage à Cocteau...
Et ainsi le cinéma de genre populaire français vivra éternellement.
Grâce au formol?
Mumu (du Haut-Canif)
avec l'aimable participation de Roland, Bob Coolidge et Red_Fox
N-B : oui le cinéma de genre
français va mal mais il y aura d'irréductibles réal' qui resteront
sur le territoire a développer le genre, et voir, à lui redonner
une place...
style Maury et Bustillo (http://www.youtube.com/watch?v=NC3LMVkZ-c4)
ou
encore Cattet et Forzani (http://www.youtube.com/watch?v=WOqqFH9_inw)
J'y crois encore au cinéma de genre
français ! (note de Roland, aka celui qui croit encore au cinéma de genre français)
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