JEUX DE MIROIRS
Rappel des faits.
L'histoire de Hunger Games voit une population, divisée en
douze districts, contrainte par le Capitole -le gouvernement tout
puissant- d'assister à des Jeux où s'affrontent des candidats de
chaque district. Ces Jeux sont retransmis en direct à la télévision.
A l'aube de leur victoire, Katniss et Peeta, devenus héros aux yeux
de tous, sont en pleine « tournée » à leur gloire,
quand le gouvernement décide de faire se confronter à nouveau tous
les précédents gagnants dans des Jeux de l'Expiation.
Blockbuster teenage,
marketing ado, young adults movie... La stratégie
possiblement réfléchie en amont pour vendre ce deuxième volet de
Hunger Games se fait ruse quand, dans ce qui est montré, les
choses s'inversent et quand la cible se retrouve au cœur de
l'écran.
L'écran n°1 : on est
surpris de constater que l'écran de la salle de cinéma se fait
ressentir à ce point. Il se fait perméable, lors de la scène de
l'émission de télévision qui voit les présentations des futurs
candidats des Jeux de l'Expiation, candidats lookés par leur
styliste perso, faisant le show, vendant du rêve, pauvres bêtes de
foire prêts à être mangés à toutes les sauces et surtout,
dévorés de tous les regards. A ce moment-là, les spectateurs,
c'est aussi nous. Un maximum de plans sur les candidats, sur le
présentateur hystérique, sur Katniss (Jennifer Lawrence), l'héroïne
qu'on retrouve et qu'on scrute dans sa robe de feu. Presque pas
besoin de filmer le public qui les regarde, il est là, dans la salle
de cinéma, hors de l'écran mais bien dedans.
Ce qui nous amène à
l'écran n°2 : l'écran du quasi quotidien de nos vies, qui est déjà
multiple (ordinateurs, télévision, portables...) et qui aime se
démultiplier toujours plus, s'immiscer et s'inventer – se croire –
omniscient. Cet écran c'est celui de la télé-réalité, et c'est
précisément un des programmes fétiches d'une partie du public de
Hunger Games 2. Seulement l'œil omniscient est bien triste.
Vide de propos sur nos chaînes télé, il devient divertissement
mortel sous le dôme où vont s'affronter les candidats anciennement
victorieux, nouveaux perdants. Par ce dôme nous retrouvons les
arènes de l'Antiquité qui étaient déjà le lieu où le
gouvernement abreuvait les yeux des gens du spectacle de la cruauté.
Les moyens de diffusion ont changé, mais les spectateurs sont
toujours là, en masse, et les gladiateurs aussi. Le gladiateur de
2013 est une jeune fille mi-Miss France mi-Tomb Raider, héroïque,
forte et aimante. Elle est parfaite pour l'arène des temps modernes
car elle cristallise tous les fantasmes d'identification qu'on aime
développer devant une telle histoire. A la fois experte en tir à
l'arc et glamour en robes, courageuse et révoltée mais aussi
fragilisée par ses sentiments – vraies ou fausses larmes, sourires
de façade ou joués, le spectateur du dôme / des différents
districts / de la salle de cinéma, il prend tout lui, peu importe.
Parce que Jen, elle est cool quoi, ses petits-copains BG aussi.
Jennifer Lawrence, en pleine cristallisation de nos fantasmes d'identification via la langue de son partenaire |
Mais la ruse de Katniss
dans tout ça (et de Jennifer Lawrence, en parallèle) c'est d'avoir
le pouvoir de jouer le jeu. Elle accepte de faire croire au
mariage, à l'amour plus fort que tout, car c'est le jeu de l'arène.
Il n'empêche, elle ne trompe pas les gens, ce sont les premiers à
la suivre pour une possible révolte. Les jeux du divertissement
fonctionnent jusqu'à ce qu'on capte ce qu'il y a derrière le
sourire en toc. Je suis presque certaine que personne n'est dupe
devant de telles mises en scène, même les spectateurs de notre
actuelle télé-réalité. L'excès des costumes, des maquillages des
protagonistes de Hunger Games – ceux qui paradent devant les
caméras – dit bien le façonnage de personnages surlignés au
possible pour donner à voir un Autre de représentation, assez fort,
expressif et extraverti pour nous faire oublier, un moment, notre vie
triste.
Mais à qui profite le
divertissement? Certainement pas au district 12, le quartier pauvre
d'où vient Katniss. Lors des passages « promotionnels »
dans les différents districts des gagnants des précédents jeux, on
a vite fait d'éliminer les spectateurs non conformes qui préfèrent
le signe de la rébellion aux applaudissements. Le divertissement
comme support pour la peur, qui devient la peur du divertissement et
surtout, les jeux comme noyade et cache-misère. L'idée est
intéressante pour notre époque actuelle, pour inciter à se
concentrer un peu plus sur tout ce qui est estampillé « loisirs »
et peut-être y voir tout ce que cela cache, plus que ce que cela
veut montrer.
Quand vers la fin du
film, la flèche tirée par Katniss crève le ciel virtuel et fait
s'écrouler le dispositif mis en place par le gouvernement comme une
construction de Lego, elle dévoile les limites d'un horizon de
carton comme l'a fait Truman (Jim Carrey) dans un autre monde factice
et télévisuel (The Truman Show de Peter Weir), certes ici,
de manière moins poétique. Mais la pique est envoyée. Un peu
kitsch et lourdingue, mais nous trouvons rarement ce point de cassure
là dans ce genre de film, et ce que ça peut nous renvoyer en
miroir.
Le double-jeu est
également présent dans l'emploi de Jennifer Lawrence, actrice aux
épaules assez larges pour se faire à souhait le reflet des
spectateurs ados ou du public pop-corn qui va voir Hunger Games,
mais tout aussi capable d'être dans d'autres films, pour d'autres
publics. Elle joue le jeu des deux Katniss, et elle s'en va raconter
d'autres histoires à d'autres spectateurs moins dupes (s'ils le sont
vraiment moins ?). Le jeu de la scène, des représentations, des
robes, des vraies/fausses larmes que Jennifer Lawrence maîtrise elle
aussi parfaitement, en plus d'une sincérité que l'on capte
facilement chez elle (le doigt d'honneur et l'Oscar dans l'autre
main, c'est fait).
Bref, si l'arène 2013 fonctionne autant, si elle est « in », c'est que ses systèmes de diffusion et son exubérance sont un miroir qui nous renvoie trop bien notre reflet, en toute conscience. On se verrait bien dedans, quoi. Bon, c'est sûr, chez nous ça reste gentil, pas de « il n'en restera qu'un », pas de boucherie en prime time. Mais quand même, on aime bien notre fauteuil avec sa belle vue sur l'arène. Il est confortable. On n'est pas près de le lâcher, surtout pas.
Même quand ce qu'on
admire depuis ce fauteuil nous laisse entrevoir (pas de manière
toujours judicieuse bien sûr) les rouages du spectacle et l'envers
du décor. On n'est pas dupe et on sait, mais on aime bien voir.
CHARLOTTE
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