11/12/2013

ANALYSE / CRITIQUE : HUNGER GAMES : L'EMBRASEMENT (The Hunger Games : Catching Fire - Francis Lawrence - 2013)

JEUX DE MIROIRS


Rappel des faits. L'histoire de Hunger Games voit une population, divisée en douze districts, contrainte par le Capitole -le gouvernement tout puissant- d'assister à des Jeux où s'affrontent des candidats de chaque district. Ces Jeux sont retransmis en direct à la télévision. A l'aube de leur victoire, Katniss et Peeta, devenus héros aux yeux de tous, sont en pleine « tournée » à leur gloire, quand le gouvernement décide de faire se confronter à nouveau tous les précédents gagnants dans des Jeux de l'Expiation.


Blockbuster teenage, marketing ado, young adults movie... La stratégie possiblement réfléchie en amont pour vendre ce deuxième volet de Hunger Games se fait ruse quand, dans ce qui est montré, les choses s'inversent et quand la cible se retrouve au cœur de l'écran.


L'écran n°1 : on est surpris de constater que l'écran de la salle de cinéma se fait ressentir à ce point. Il se fait perméable, lors de la scène de l'émission de télévision qui voit les présentations des futurs candidats des Jeux de l'Expiation, candidats lookés par leur styliste perso, faisant le show, vendant du rêve, pauvres bêtes de foire prêts à être mangés à toutes les sauces et surtout, dévorés de tous les regards. A ce moment-là, les spectateurs, c'est aussi nous. Un maximum de plans sur les candidats, sur le présentateur hystérique, sur Katniss (Jennifer Lawrence), l'héroïne qu'on retrouve et qu'on scrute dans sa robe de feu. Presque pas besoin de filmer le public qui les regarde, il est là, dans la salle de cinéma, hors de l'écran mais bien dedans.

Ce qui nous amène à l'écran n°2 : l'écran du quasi quotidien de nos vies, qui est déjà multiple (ordinateurs, télévision, portables...) et qui aime se démultiplier toujours plus, s'immiscer et s'inventer – se croire – omniscient. Cet écran c'est celui de la télé-réalité, et c'est précisément un des programmes fétiches d'une partie du public de Hunger Games 2. Seulement l'œil omniscient est bien triste. Vide de propos sur nos chaînes télé, il devient divertissement mortel sous le dôme où vont s'affronter les candidats anciennement victorieux, nouveaux perdants. Par ce dôme nous retrouvons les arènes de l'Antiquité qui étaient déjà le lieu où le gouvernement abreuvait les yeux des gens du spectacle de la cruauté. Les moyens de diffusion ont changé, mais les spectateurs sont toujours là, en masse, et les gladiateurs aussi. Le gladiateur de 2013 est une jeune fille mi-Miss France mi-Tomb Raider, héroïque, forte et aimante. Elle est parfaite pour l'arène des temps modernes car elle cristallise tous les fantasmes d'identification qu'on aime développer devant une telle histoire. A la fois experte en tir à l'arc et glamour en robes, courageuse et révoltée mais aussi fragilisée par ses sentiments – vraies ou fausses larmes, sourires de façade ou joués, le spectateur du dôme / des différents districts / de la salle de cinéma, il prend tout lui, peu importe. Parce que Jen, elle est cool quoi, ses petits-copains BG aussi.

Jennifer Lawrence, en pleine cristallisation de nos fantasmes d'identification via la langue de son partenaire
Mais la ruse de Katniss dans tout ça (et de Jennifer Lawrence, en parallèle) c'est d'avoir le pouvoir de jouer le jeu. Elle accepte de faire croire au mariage, à l'amour plus fort que tout, car c'est le jeu de l'arène. Il n'empêche, elle ne trompe pas les gens, ce sont les premiers à la suivre pour une possible révolte. Les jeux du divertissement fonctionnent jusqu'à ce qu'on capte ce qu'il y a derrière le sourire en toc. Je suis presque certaine que personne n'est dupe devant de telles mises en scène, même les spectateurs de notre actuelle télé-réalité. L'excès des costumes, des maquillages des protagonistes de Hunger Games – ceux qui paradent devant les caméras – dit bien le façonnage de personnages surlignés au possible pour donner à voir un Autre de représentation, assez fort, expressif et extraverti pour nous faire oublier, un moment, notre vie triste.

Mais à qui profite le divertissement? Certainement pas au district 12, le quartier pauvre d'où vient Katniss. Lors des passages « promotionnels » dans les différents districts des gagnants des précédents jeux, on a vite fait d'éliminer les spectateurs non conformes qui préfèrent le signe de la rébellion aux applaudissements. Le divertissement comme support pour la peur, qui devient la peur du divertissement et surtout, les jeux comme noyade et cache-misère. L'idée est intéressante pour notre époque actuelle, pour inciter à se concentrer un peu plus sur tout ce qui est estampillé « loisirs » et peut-être y voir tout ce que cela cache, plus que ce que cela veut montrer.

Quand vers la fin du film, la flèche tirée par Katniss crève le ciel virtuel et fait s'écrouler le dispositif mis en place par le gouvernement comme une construction de Lego, elle dévoile les limites d'un horizon de carton comme l'a fait Truman (Jim Carrey) dans un autre monde factice et télévisuel (The Truman Show de Peter Weir), certes ici, de manière moins poétique. Mais la pique est envoyée. Un peu kitsch et lourdingue, mais nous trouvons rarement ce point de cassure là dans ce genre de film, et ce que ça peut nous renvoyer en miroir.

Le double-jeu est également présent dans l'emploi de Jennifer Lawrence, actrice aux épaules assez larges pour se faire à souhait le reflet des spectateurs ados ou du public pop-corn qui va voir Hunger Games, mais tout aussi capable d'être dans d'autres films, pour d'autres publics. Elle joue le jeu des deux Katniss, et elle s'en va raconter d'autres histoires à d'autres spectateurs moins dupes (s'ils le sont vraiment moins ?). Le jeu de la scène, des représentations, des robes, des vraies/fausses larmes que Jennifer Lawrence maîtrise elle aussi parfaitement, en plus d'une sincérité que l'on capte facilement chez elle (le doigt d'honneur et l'Oscar dans l'autre main, c'est fait).


  Bref, si l'arène 2013 fonctionne autant, si elle est « in », c'est que ses systèmes de diffusion et son exubérance sont un miroir qui nous renvoie trop bien notre reflet, en toute conscience. On se verrait bien dedans, quoi. Bon, c'est sûr, chez nous ça reste gentil, pas de « il n'en restera qu'un », pas de boucherie en prime time. Mais quand même, on aime bien notre fauteuil avec sa belle vue sur l'arène. Il est confortable. On n'est pas près de le lâcher, surtout pas.

Même quand ce qu'on admire depuis ce fauteuil nous laisse entrevoir (pas de manière toujours judicieuse bien sûr) les rouages du spectacle et l'envers du décor. On n'est pas dupe et on sait, mais on aime bien voir.

CHARLOTTE

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