24/05/2014

CANNES 2014 - DERNIÈRE PARTIE

RÉSISTANCES

Suite et fin de notre compte-rendu du Festival de Cannes, 67eme édition. Au programme : Lost River de Ryan Gosling, Jimmy's hall de Ken Loach, Sils Maria d'Olivier Assayas et Mommy de Xavier Dolan. Dans quelques heures, ce sera enfin le dénouement. En attendant remercions Charlotte pour son dévouement (même si elle aurait pu faire un effort pour mater le dernier JLG tout de même !)

      On aurait pu vous parler du langage 3D de M’sieur Jean-Luc ou de la recherche d’Hazanavicius Michelus et de sa wife, mais bizarrement on a zappé la journée du mercredi.
        On aurait pu aussi vous parler des "courts-métrages de la fumette" où l’on a vu successivement des hommes singes chelous, des plans fixes sur des messieurs et madames qui attendent en regardant l’objectif, sans rien faire (c’est beau).
       On aurait pu vous parler aussi du remake coréen d’A bout portant vu à minuit au Palais.
       Mais tout subjectivement, je vais plutôt m’attarder sur d’autres films, tous en compétition (SO ou autre), se partageant un mot : Résistance.

Cabaret de l’horreur

      Outre les cris provoqués par sa présence sur le tapis rouge, il faut regarder un peu mieux du côté du film de Ryan Gosling, Lost River, présenté à "Un Certain Regard". Son film a un univers et une image très stylisés et marqués mais surtout, il a cerné le genre fantastique dans son aspect le plus intéressant. Bones habite avec sa mère Billy et son petit frère dans un village engoncé dont on lui conseille de "se barrer vite fait". Il part casser des murs et des vieux bâtiments pour trouver du cuivre qu’il revend pendant que sa mère se fait engager dans une sorte de cabaret de l’horreur où le spectacle sur scène consiste en des shows ensanglantés (mise en scène de corps dépecés ou de mises à mort). 
Ryan Gosling divise la critique avec Lost River
       Lost River, le lieu en question, abrite en son sein un village englouti suite à la mise en place d’un lac artificiel ; le lieu serait maudit. Bones aux prises des voyous du coin, Rat, sa jolie voisine, alourdie par une grand-mère littéralement scotchée à sa maison (et à son passé) devant la télévision lui projetant des vidéos de son mari défunt – Mamie Psychose; Billy contrainte de travailler pour un patron vicelard dans les souterrains du cabaret : des personnages tous emprisonnés et comme attachés à un même lieu dont ils ne savent comment sortir. Cette situation d’écrasement prend le visuel du fantastique, s’illustre par des lumières clinquantes et des cadres peinturlurés, et prend place dans des maisons où s’empilent maintes et maintes choses. La peur et le cauchemar rôdent, plus que par la malédiction du village sous les eaux : le petit a peur du Monstre sous son lit, les pulsions de tous se révèlent au cabaret, dans des scènes très Eyes Wide Shut ; les visages sont masqués ou défigurés. C’est petit et sans horizon et il faut partir, Bones l’a bien compris. Sous son aspect extrêmement onirique et irréel, on nous conte les bas fonds morbides et glauques d’une chose qui doit sortir et se terminer, un horizon social.
        La maison en feu du dénouement montre bien que le détachement s’est produit, que les racines nocives qui attachaient les personnages à cet endroit ne sont plus. Les flammes pour un nouveau départ.

Au feu

         C’est une autre maison qui brûle dans le très beau Jimmy’s hall de Ken Loach, ou plutôt un dancing, mis en place par Jimmy Gralton dans l’Irlande des années 30 et très vite mal vu par l’Eglise. Ken Loach met en images la résistance de personnes face auquel un groupe de leaders religieux veut empêcher la musique, l’art, la créativité, en un mot la liberté, au profit de "la tristesse sur l’esprit". Jimmy et son dancing de l’espoir et des temps meilleurs a fait frissonner d’émotion les sièges du Palais. Car les films sont aussi l’endroit où peuvent flotter en grand et rester en mémoire des étendards comme Jimmy. « On continuera de danser ».
Simone Kirby et Barry Whard dans Jimmy's hall du déjà palmé Ken Loach
         Au passage, Barry Ward / Jimmy se hisse dans mes pronostics pour la Palme d’Interprétation masculine.

En répétition

        En écho au film de Cronenberg, nous avons de nouveau une actrice jouant une actrice dans le film d’Olivier Assayas Sils Maria. Ou Juliette Binoche/Maria en constante répétition d’une future pièce qu’elle a beaucoup de mal à travailler, car elle y joue le personnage senior d’une pièce où elle fut naguère la jeune héroïne. Elle apprend le texte et répète les scènes de quelque chose qui apparaît très vite comme le doublon de sa vie. S’entêter à répéter un texte qui est plus un miroir de soi. Pour lui donner la réplique, son "assistante de vie" Val, qui la suit partout, pense pour elle, a les gestes et attentions d’une maman, pourtant c’est bien l’actrice qui est plus vieille et non l’assistante, mais la star est seule. Elle randonne dans des montagnes qui portent son nom –Sils Maria-, s’y perd. C’est nuageux comme le moment où l’âge avance et où l’on ne sait plus trop où aller. La résistante Juliette Binoche face au temps.
« Si tu peux le faire durer un peu plus, ce moment » ...plus longtemps que dans Godzilla en tout cas - ndr
Sils Maria de Olivier Assayas, qui réunit Juliette Binoche et Kristen Stewart

Elan de liberté

      Mommy de Xavier Dolan.
      La drôlerie d’un duo mère-fils qui se crée un cocoon de résistants (eux aussi), quand Steve est expulsé du foyer de jeunes en difficulté et qu’il revient chez sa mère Diane "Die" ; malgré le passé douloureux, malgré les crises du fils, malgré le manque d’argent. On ne retient que leurs chamailleries, leur complicité, la façon dont ils font peu à peu reparler leur voisine, qui a depuis deux ans presque perdu ses mots. Ils en ont à eux, bourrés d’insultes, criés, rapides, des "fucking", des expressions empruntées, des maladresses, des silences. Ils sont un trio fort qui semble pouvoir tout surmonter, et le temps d’une très jolie scène où le cadre serré de Dolan s’allonge et prend tout l’écran, dans une série de flash forwards où Diane se prend à rêver que tout aurait réussi pour Steve, frénésie de l’espoir.
       La forme de Dolan qu’on ne peut louper est comme un élan de vie, à force de pop songs chantées par les personnages ou en off, cette façon de filmer les acteurs, les isoler en gros plan, les ralentir comme pour figer les moments.
Instant figé de ladite Mommy dans le film homonyme "palmé d'office par la critique" de Xavier Dolan

      Seulement rien n’est simple pour les résistants du cinéma cannois. Le cadre se resserre, on baisse les armes, on signe les papiers, on se sépare, on court vers la lumière.
        Deux nouveaux résistants qui pourraient eux aussi prétendre à la Palme, Antoine Olivier Pilon, attachant, enfantin, violent, et Anne Dorval, excessive, aimante, joyeuse, perdue… si le film de Dolan ne l’a pas toute dorée, comme ça se murmure depuis jeudi sur la Croisette.

CHARLOTTE

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