Attention ! Si la critique qui suit ne dévoile pas de moments majeurs du film, il vous est conseillé de voir le film avant, pour en préserver toute sa découverte.
PARLER
...à travers quatre
motifs
La baie vitrée
C'est peut-être un de
mes plans préférés du film. Car tout est là d'emblée :
l'intériorité du personnage, c'est sa maison, elle est
grande et vide, et l'extériorité alentours, à qui cette
immense baie vitrée n'impose pas de frontière. Louise (Amy Adams) peut voir
tout ce qui se passe dehors et on peut certainement la voir aussi
depuis l'extérieur dans son espace personnel. Cet espèce de grand
tableau transparent dévoile ce personnage principal et tout ce qui
l'entoure et la dépasse.
C'est également une
alerte pour Louise, dans la fiction : elle aussi doit mieux regarder,
et quand sa propre maison se dote d'un œil géant, c'est d'autant
plus facile. Un plan est clairement dans cette idée : Louise est allongée sur son lit au premier plan, et en fond, une lumière
d'hélicoptère s'approche de la baie vitrée, si bien qu'on
pourrait croire que le véhicule va atterrir dans sa chambre. Ou
qu'il sort de sa conscience.
Mais si la vitre est
transparente, c'est quand même une barrière. Et cela précise ce
qu'expose le film dans toute sa durée : une individualité, Louise,
contre le monde, ici représenté par l'hélicoptère. L'humain, et
c'est classique dans ce genre de récit futuriste, va s'opposer à
l'entité politique, au gouvernement, aux Forces en présence.
Une autre opposition, du
moins au début, Louise et son instinct face à l'esprit mathématique
et scientifique, via le personnage de Ian (Jérémy Renner).
Opposition très classique également, ils sont un peu Mulder Amy et
Scully Renner. L'image est sens chez Villeneuve, et pour signifier
cette bivalence, il filme un tableau recouvert d'équations et autres
solutions chiffrées, que Louise va perturber d'une phrase beaucoup
plus claire : « what is your purpose on Earth ? ». La
même idée dans le film Le Petit Prince faisait atterrir un
avion en papier sur une page de livre de mathématiques, pour dire
l'imaginaire plutôt que la rigueur de la science. Ici, c'est le
choix des MOTS plutôt que des équations.
Mais comme dans tout bon
récit, les contraires se lient, et vont bientôt dans le même sens,
notamment parce que Ian a adopté le même langage que Louise.
L'ardoise
Un objet de salle de
classe d'école primaire pour répondre aux questions du maître. On
ne s'en sert plus beaucoup à l'âge adulte. C'est pourtant d'une
ardoise en plastique que va se servir Louise dans sa première
tentative de communication avec les aliens ; plutôt que de n'importe
quel outil technologique perfectionné. Et ça va marcher, car les
mots sont à portée, il suffit de prendre le temps de les utiliser,
et de les faire apprendre.
Astuce pour entrer en
communication donc, mais cet objet enfantin est un autre signe pour
Louise, bientôt interpellée par des visions qu'elle ne comprend
pas, dont celle d'une petite fille.
Un
objet qui donne au sens propre le principal sujet du film selon moi :
savoir parler aux autres ainsi qu'à soi-même. Les deux
créatures extraterrestres, suite au mot « human » écrit
sur l'ardoise par Louise, vont réagir en créant des signes, des
cercles noirs aux formes étranges. Louise va les étudier, les uns
après les autres. Ces cercles ressemblent un peu aux tests de
Rorschach qu'utilisent les psychanalystes pendant leurs séances, ces
dessins abstraits desquels le patient doit donner une description. Ce
que fait Louise pendant le film, car oui elle est engagée par le
gouvernement pour ses capacités de traductrice, mais ce qui se joue
dans ces nombreux dialogues 'avec ardoise' ça la regarde aussi elle,
profondément. La baie vitrée lui donnait l’œil, mais elle restait
aveugle. L'ardoise lui donne les mots pour fouiller en elle, et
comprendre.
C'est
un film profondément intérieur, alors que justement il ouvre
l'horizon terrestre. Il dresse face aux personnages – et face à
nous, subjugués – une paroi de lumière opaque qui appartient
quasiment à l'abstraction. Une caverne blanche dans laquelle se
meuvent deux créatures faites de longues pattes : c'est une image
mentale. Comme si Louise était la suite de Curtis Laforche (Take
Shelter, Jeff Nichols), dont les projections intérieures
auraient pris forme aux yeux de tous.
Filmer l'intériorité
Mais
l'ampleur du film ne s'arrête pas à l'individualité d'un seul
personnage, et c'est là sa force. Ces cercles disent un
fonctionnement contemporain du monde. Un réflexe moderne de
l'homme de ne pas essayer de comprendre l'autre. Leur apprendre à
lire ? Ça prendra bien trop de temps. Le jeu politique qui se joue
autour de Louise, ce sont des échanges entre pays et hautes
instances pour savoir qui tapera le premier. C'est leur première
réaction, et la seule avant l'intervention de Louise – à qui on
demande expressément d'avoir une idée, #brucewillis. Ces créatures,
ces vaisseaux, effectivement impressionnants, qui peuvent effrayer,
ont-ils manifesté un danger pour l'homme ? Non. Les émeutes
viennent des humains entre eux, qui se contaminent tout seuls –
voir les images diffusées à la télévision, #bfm. La paroi
lumineuse à l'intérieur du vaisseau nous renvoie à ça : regardons
nous, avant de regarder l'autre comme un danger. Louise dira
d'ailleurs « Je suis la seule à avoir du mal à les appeler
aliens ? » (étymologie du mot alien = autre).
L'enjeu
est de retrouver une essence première. Ce que fait Louise malgré
les consignes, en se débarrassant de son imposante combinaison.
Les mains
Les
créatures extraterrestres appelées heptapodes par l'équipe, ne
sont pour moi avant tout que des grandes mains, plutôt que des
pieds. Je n'ai cessé d'y voir que des phalanges et des doigts. Et
c'est parfait, pour l'exercice que propose Louise – Villeneuve –
aux spectateurs dans et hors la fiction, avec ces ardoises. Un retour
aux sources, un réapprentissage du langage, et par lui bien sûr,
d'une façon de penser « Si on
te dit marteau, tu ne penses que clou ».
La
belle scène où Louise entre en contact en posant ses mains
contre la paroi et fait se mouvoir l'écriture – les cercles –
des extraterrestres prouve sa réussite à parler le même langage.
En bas en revanche, les militaires font le contraire et donnent
l'assaut. Sans connaître. Sans avoir compris.
Paroi
versus baie vitrée du début : tout est question d'apprentissage et
de réflexion, si l'on apprend à bien regarder. Paroi + baie vitrée
un doublé formel qui renvoie également au cadre de cinéma, et à
la toile de l'écran sur lequel on projette les films : il est lui
aussi lieu d'exposition et de réflexion – et les deux sens du mot
conviennent : réfléchir et se refléter.
Paroi, dessins de psychanalyse, image mentale, toile, écran, cadre, mais pas frontière
Un porte-voix
J'ai
adoré voir ce film peu de temps après celui de Mel Gibson, Tu ne
tueras point. Car ils partagent tous deux, à travers leur
personnage principal, une clameur pacifiste à travers deux actes qui
devraient être innés chez l'homme : ne pas vouloir tuer, et
communiquer avec autrui.
Le
héros qui fonctionne le mieux dans les histoires, c'est toujours le
héros ordinaire qui prouve au monde son mal fonctionnement et arrive
à la résolution notamment par sa pensée sensible. Sensible, Louise
l'est, et ses visions l'inscrivent encore un peu plus comme héroïne.
Mais son vrai don, celui pour lequel on est venu la chercher, c'est
quoi ? C'est l'ultra-langage. Une aubaine pour nous spectateurs, qui
allons être du voyage et à ses côtés nous aurons tous les codes.
Et Louise la traductrice, bien plus forte que n'importe quel
super-héros, va agir comme porte-voix politique et social. Qu'un réalisateur se soit chargé de faire entendre cette voix, c'est qu'il a tout compris du cinéma, du genre de la science-fiction. Et on souhaite secrètement que tous ceux qui verront son film pigent le discours de Louise devant sa paroi, même s'ils ne pigent que ça. Une
aubaine, je vous dis.
CHARLOTTE
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