Elle revient sur la Croisette... et elle n'est pas contente.
Charlotte ne s'en lassera jamais. Elle est retournée à Cannes. Pas pour la ville, certes non, mais pour l’événement annuel où on apprend qu'il est spectaculaire de savoir monter une marche et où la critique professionnelle ne se sent plus pisser et se défoule sans vergogne sur ces maudits réalisateurs qui ont la carte et qui ne la méritent sans doute pas.
Pour la troisième fois consécutive, Charlotte participe à cette orgie ubuesque pour le DWARF et livre son florilège de critiques, de joies et aussi de déceptions.
Vendredi 13, Samedi 14, Dimanche 15
Louloute fumée, Moumoute cramée
Ma Loute de Bruno Dumont : La compil improbable : des cassos qui parlent nimp et qui sont aussi cannibales, des prouts prouts siphonés qui sont aussi consanguins (incarnés par le haut de gamme du cinéma frenchy qui s'ennuyait, semble-t-il), des gens qui s'envolent, des gags de m***... le Bienvenue chez les Ch'tis version élite. Seulement moi j'ai pas compris et ça ne m'a pas fait rire. C'était même dur à regarder.
Cœur de pierre
Mal de pierres de Nicole Garcia : une tentative d'épique pour un film qui a du mal à s'incarner : Cotillard joue la folle, mais on ne saisit jamais sa passion dévorante pour Louis Garrel (qui retrouve là son habituel jeu nonchalant) ; là où un film comme Un long dimanche de fiançailles réussissait à montrer de façon vibrante la quête d'une héroïne pour son amour disparu.
Strong Girls
Mademoiselle de Park Chan-Wook : On a aussi vu Mademoiselle, de Park Chan-Wook dont le choc d'Old Boy était cannois lui aussi. Toujours inventif et percutant, le réalisateur coréen nous plonge avec sa caméra serpent dans l'immense manoir-prison où une certaine Mademoiselle sera la cible d'un Valmont avide d'héritage. Trois parties, trois points de vue, des retournements de situation, le piégeur piégé, qui se joue de qui, qui fait semblant... Mais surtout deux beaux personnages de femmes fortes, qui, mises ensemble vont former une unité, anciennement corsetée par les conventions (et dans leurs habits), nouvellement libres et passionnées. Propos fort qui accueille aussi quelques notes d'humour, et des prouesses techniques (le son notamment) et d'interprétation.
Sinon, on a vu Spielberg, mais pas son film.
Toujours combattre
I, Daniel Blake de Ken Loach : Le titre nous dit bien d'emblée qu'il va s'agir d'un individu en particulier, qui va se démener pour faire valoir cette individualité notamment face à un système administratif (le Pôle emploi anglais) et social écrasant. Ken Loach dresse comme une quête éternelle (finalement, il ne s'arrête pas de tourner, et tant mieux pour nous) le fait de brandir l'individu comme un étendard. Le surligner . Son film a résonné, dans le Palais des Festivals, comme un pamphlet, il s'en serait fallu de peu que les gens (qui ont applaudi pendant le film, après une réplique d'un personnage dénonçant le système de Pôle emploi) partent en manif direct. Loach nous touche car nous nous voyons, c'est nous, c'est ce qui nous entoure. C'est une jeune mère qui a tellement faim qu'elle ouvre directement la boîte de conserve dans les rayons de l'aide alimentaire. Ce sont ces gens qui aident le héros à parvenir au bout de son formulaire internet sisyphien, car aucun employé de la structure n'est là pour le faire. Son film, tout comme l'avait fait Jimmy's hall, résonne d'un souffle de combat qui doit continuer, et le plus beau : le combat pour la solidarité, et l'être ensemble.
American Honey de Andrea Arnold : La révolte du film de Ken Loach, on la relie à celle des personnages du film d'Andrea Arnold American Honey : l'espèce d'utopie, - qui me rappelle celle de la communauté de la Plage de Danny Boyle -, qui est celle de vouloir vivre selon ses propres règles, indépendamment des autres et de la société. Filer sur les routes, s'amuser, créer son propre commerce de vente d'abonnements de magazines. Star, coincée au début du film avec deux gosses qui ne sont pas les siens et un mec qu'on devine tyrannique, choisit de prendre part à ce convoi utopique se déplaçant en van, croisé au détour d'un parking, et roule vers la liberté. Une frénésie d'énergie, de danse, de vie bohème se dégage de ce film, tout en y laissant apparaître le plus inquiétant, toujours là : la 'chef' aux drôles de règles et morales, la violence sous-jacente,...
C'est un beau portrait que fait Arnold de Star, qu'elle ne quitte jamais de sa caméra, comme elle l'avait fait pour son héroïne de Fish Tank.
Big Eyes
Ma Vie de Courgette de Claude Barras : Encore un lien, même si les films sont complètement différents. Dans Ma vie de courgette (Quinzaine des réalisateurs), c'est également une famille qu'on se compose, quand celle de naissance est défaillante (comme Daniel Blake adopte la jeune mère et ses enfants, comme Star se trouve une nouvelle famille). Courgette (Icare de son vrai prénom, toute métaphore sur la tentative de vol près du soleil est bienvenue:-)), ainsi appelé par sa mère alcoolique, la tue par mégarde alors qu'elle s'avance menaçante vers lui. Il a 10 ans ou quasi. Il va donc être envoyé en foyer où il fait la connaissance d'autres enfants perdus, dont les parents ont buggé eux aussi. Toute cette histoire est en animation. Les petits persos qui prennent vie, en pâte à modeler. Courgette a les cheveux bleus, une grosse tête, des cernes appuyées. Ahmed et ses lunettes de ski. Camille et ses grands yeux « qui ont tout vu », Simon, le chef de la bande... ils dessinent ensemble une photo de famille de résistants, de combattants pour la vie, malgré ses dérapages. Tout est juste dans ce film, l'enfance parle avec sa voix, avec ses mots, ses jeux, ses lubies, tout en faisant entendre, par elle, la vie adulte. L'enfant transforme les vestiges de la tristesse adulte (le cerf-volant pour le père de Courgette, la canette de bière et le surnom peu flatteur gardés précieusement, pour sa mère) en jolis motifs pour le départ d'une vie meilleure. Le vent nous portera, chante Sophie Hunger pour clôturer cette belle histoire : on espère qu'il sera assez fort pour porter oui, dans tous les cas, on y croit.
Lundi 16
Loving de Jeff Nichols : En fait, Jeff Nichols veut trouver une maison à tous ses personnages. Une vraie, une conviviale, où ils pourront être heureux. En dépit des autres, du monde environnant et de ses obstacles. Un abri suffisamment protecteur dans Take Shelter, une île où personne ne peut trouver Mud dans le film du même nom, et carrément un nouveau monde pour Alton dans Midnight Special.
C'est tout à fait ça dans Loving : la maison du couple mixte que forment Richard et Mildred a du mal à se construire ; ils sont sans cesse empêchés et ne peuvent habiter où ils veulent. Si le contexte social est ici très précis – années 50 - , il rejoint l'air de rien celui du précédent film de Nichols, Midnight Special, sorti il y a peu, dont le genre SF amenait l'idée d'un futur. Eh bien passé ou futur, dans les deux films une entité / autorité fait pression et menace les protagonistes, et provoque leur course / fuite. Les deux films partageant le même acteur, on retrouve donc Joel Edgerton inquiet au volant de sa voiture, feux éteints dans la nuit pour se camoufler. Il est le pendant michaelshannonien du réalisateur, prenant le rôle à son tour du porteur de tracas – et il est cool dans ce rôle Edgerton, à la fois bourru, amoureux, protecteur.
Si Nichols est plus classique dans sa forme et moins prenant dans l'émotion, on reconnaît sa couleur : une vraie couleur dans les images, dans l'air et les paysages du film, un vert, un jaune du soleil... et son aura. Il pêche un peu niveau puissance émotionnelle, on ne retrouve pas celle de Take Shelter ou de Mud, peut-être aurait-il pu commencer l'histoire d'amour au début, ou s'attacher plus aux enfants dont certaines apparitions déclenchent le souffle de la réalisation de Nichols, par exemple la course précipitée du petit qui le fait chuter devant une voiture : on retient notre souffle à nous. En fait, le film de Nichols est assez linéaire tout en possédant des pics émotionnels qui surgissent de temps en temps (une voiture arrive au loin et Richard s'emballe, un flic débarque chez eux la nuit) comme des promesses. La musique de David Wingo (compositeur attitré de Nichols) amène justement une autre dimension, fait tanguer joliment la courbe d'un récit assez classique, cette dimension est tantôt épique, tantôt mystérieuse, tantôt menaçante. Si le manque de force émotionnelle est là, c'est peut-être parce que l'histoire d'amour est un peu filmée comme un thriller, avec ces perpétuels jeux de cache-cache et de fuite. Un Midnight sur les routes des 50s. La linéarité du film est je pense expliquée par le combat, long, que mène le couple, face à des lois incompréhensibles. On reste je trouve, happés par ce parcours et concernés, et le plan de fin contient la puissance qu'il manque un peu au reste : un plan d'ensemble sur la petite famille réunie et s'activant sur les fondations de la future maison. Ou la belle façon pour Nichols de dire la famille, sa force et l'avancée vers un mieux. Richard Loving, un personnage au nom étendard, presque revendicateur de ce qu'il est face aux autres, « Loving » et coupable d'aimer. « Dis juste au juge que j'aime ma femme »
Hands of Stone de Jonathan Jakubowicz : La mode pour les acteurs avançant dans l'âge et donc dans leur carrière est d'interpréter un entraîneur de boxe à la retraite (Eastwood et Freeman dans Million Dollar Baby, Stallone très récemment dans Creed). Ainsi passent-ils le relais, tout en appuyant leur image d'acteur culte, toujours sur scène. Au tour de Robert De Niro, et ce film est un prétexte pour le festival de lui rendre un hommage. Ça et le 'Hors Compet' permettent la présence d'un film sans trop d'intérêt sur l'écran du Palais : on assiste au schéma convenu du jeune futur champion à l'enfance difficile, qui paf ! Rencontre LA fille de sa vie, tape dans l'oeil dudit entraîneur de légende, s'entraîne d'arrache-pied, devient star, affronte en duel l'adversaire du moment (joué par Usher, yeah!) puis devient finalement pote avec ; en affronte un autre... en parallèle, les années, époques et la vie du boxeur s'écoulent en montage accéléré (et 5 accouchements en 5 secondes)... on dirait qu'on a compilé tous les Rocky... !
Bref.C'était quand même sympa de voir le Robert de près, et Edgar Ramirez (et Usher hihi):-)
Mardi 17
Casper se perd
Personal Shopper de Olivier Assayas : Olivier Assayas reprend certaines particularités du personnage de Sils Maria interprété par Kristen Stewart dans ce nouveau film où il retrouve la comédienne : une nouvelle fois assistante de célébrité, accrochée à son téléphone (écrans de téléphone omniprésents). Mais là où Sils Maria était réussi, il ne trouve ici pas assez de profondeur pour que le sens de toute cette histoire nous touche : comme son personnage, il erre un peu trop sans savoir quoi attendre ; la fait essayer des vêtements qui ne sont pas pour elle, et ne sait plus du même fait, quel personnage il filme. L'ambiance était prometteuse, notamment cette grande maison attendant un nouvel acheteur après le décès de son frère dont l'esprit hante les lieux. L'idée des fantômes, intéressante et pas souvent utilisée dans le cinéma français. Mais le film reste trop incompréhensible pour que tout cela fonctionne. Si filmer Kristen Stewart dans ses déambulations parisiennes et la faire exister dans quasi tous les plans est une bonne chose – le bon point sera qu'avec ce film, on en aura appris plus sur le jeu de cette comédienne de plus en plus fascinante – ça ne suffit pas à faire exister le film qui perd même son personnage à la fin : (parlant toute seule, enfin à l'esprit de son frère) « Lewis est-ce que c'est toi ? Ou c'est juste moi ». La question est sans réponse et nous aussi.
Mercredi 18
Mercenaire de Sacha Wolff : Séance rugby à la Quinzaine des réalisateurs. Pas mal de choses se jouent dans ce film qui suit Soane, jeune Wallisien, quittant son île de Nouvelle-Calédonie pour la France et un entraîneur de rugby qui l'a repéré. Son poids ne convient d'abord pas et on le renvoie direct, avant même de chercher à le connaître ou le voir s'entraîner. Il n'ose argumenter. La durée du film le verra peu à peu s'imposer face aux autres, devenir ce qu'il a envie de devenir : marqué à vif par les coups de son père qui n'accepte pas de le voir partir, il impose sa carrure impressionnante dans l'équipe, charme la belle fille qu'il convoite, lie à la fois sa culture natale à une 'plus' française (« -Tu parles bien français pour un étranger » lui fait remarquer Coralie, « - Mais je suis français »). Soane fait converger en lui, beaucoup grâce au naturel et à la sincérité du comédien rugbyman de profession, des questions fortes quant à l'identité, l'attachement familial et les différences de culture.
Des questions communes au film vu juste après, toujours à la Quinzaine des réalisateurs :
Tour de France de Rachid Djaïdani : L'idée – les idées – d'une France. Sans que ce soit trop lourdement politique ou cliché, mais plutôt juste (notamment encore, grâce au naturel du comédien principal).
La jolie idée de la casquette, vissée sur la tête du jeune rappeur Far Hook, qui jouit d'une petite célébrité nationale, dont il se trouve dépossédé après un coup de feu au début du film, l'amène à se dévoiler pour ce qui l'attend ensuite : un tour de France pour accompagner le père de son pote (Gérard Depardieu), en « pèlerinage peinture ». Duo inattendu, choc des générations et des esprits, bientôt fils de substitution pour Serge, et source d'inspiration pour Far Hook. L'ensemble est drôle, frais, emprunte par moment les visions du jeune rappeur via ses vidéos depuis son téléphone, rêvant ainsi un peu avec lui. Et aborde des sujets qui divisent toujours actuellement très fortement et provoquent le conflit, en leur trouvant ici une accalmie joyeuse et simple qui dirait « on peut s'entendre » sur le ton de la comédie populaire, et qui prouverait que le chant peut être beau quand il naît de plusieurs voix.
Cupcakes, allumettes et douceur de
la routine
Paterson de Jim Jarmush : C'est le premier film, il me semble, que je vois sur la routine – vraiment comme trame narrative, égrainant les sept jours d'une semaine, réveil, montre, déjeuner, boulot, retour, courrier dans la boîte aux lettres, promenade du chien. Routine douce d'un chauffeur de bus, véhicule transporteur de routines par excellence, lieu de croisement des vies et des personnes. Le chauffeur apprenti poète tend l'oreille et sourit discrètement à l'écoute des discussions de ses passagers. Il écrit des poèmes sans rime que sa femme trouve formidables. Elle, passe ses journées à la maison et en l'attendant, exprime sa créativité géométrique sur les rideaux de douche, le collier du chien, le protège pneu, ses propres robes. Le point culminant de sa semaine sera l'arrivée d'une guitare, et la confection de tonnes de cupcakes pour le marché du samedi. Golshifteh Farahani, qui campe l'épouse, distille admirablement ce débordement de création excentrique qui prend vie dans les heures du calme et de l'ennui quotidien, et nous fait rire avec son obsession des pois, lignes, rayures et noir et blanc, et Adam Driver, l'époux, parcourt ses trajets en rêvant de poèmes, sans pour autant se résoudre à les enregistrer ou les photocopier. Il semble observer silencieusement, s’appesantit sur des boîtes d'allumettes, écoutant patiemment ceux qu'ils croisent : son collègue à qui il ne vaut mieux pas demander si ça va sinon la liste se déroule, le patron du bar qu'il fréquente tous les soirs, le couple de Roméo sans Juliette qui s'y trouve, la jeune fille apprentie poète elle aussi, qui lui parle de la pluie... Après tout, son nom de famille 'Paterson' est aussi celui de sa ville, et cette ville est un des sujets principaux des conversations (les écrivains qui en ont parlé, le walk of fame du patron du bar). 'Paterson' écrit en gros sur le fronton de ce bus qu'il conduit, sur ce mur devant lequel il passe tous les jours. Il se fond de cette façon d'autant plus dans ce lieu et en devient presque ancré, comme tous les gens ancrés dans leur routine. Jolie figure pour exprimer la vie de tous les jours et sa ronde. « C'est ton vrai nom ou c'est un surnom ? »
Il est la simplicité d'un regard quotidien qui tombe un soir sur le rap improvisé d'un jeune attendant au lavomatic. Elle est la simplicité réjouie qui prépare les pique-nique de son amoureux et s'extasie devant son chien.
C'est un film dans lequel on se sent bien, où on ne s'engueule jamais, où on ne dit pas si la tourte préparée avec amour est mauvaise. Même un accroc dans le rythme régulier des journées se répare vite (la panne du bus, le faux coup de feu du Roméo dans le bar), même le drame du carnet de poèmes (certainement son point culminant à lui) se trouve vite un réconfort par le cadeau inespéré d'un inconnu. Le quotidien est sain et sauf ! Ça fait du bien.
Jeudi 19, vendredi 20
Divines de Houda Benyamina : Ce film-pépite est très fort. Il suit Dounia, s'essayant au deal pour avoir peut-être une vie meilleure. Une fille forte, indispensable, qui parle sans fard et finira par clamer son nom - « Je m'appelle Dounia !! ». Une caméra qui sait où regarder, qui fait aimer son personnage, qui la suit quand elle met une burka avec sa pote pour voler dans les magasins, qui la suit quand elle prie, qui la suit quand elle matte les danseurs, perchée au plafond de la salle de théâtre. La faire spectatrice d'une audition, c'est la mettre en position, elle aussi, pour un départ peut-être décisif dans sa vie.
Le film regorge d'idées pour dresser cette vraie héroïne de cinéma et, par elle, le milieu dans lequel elle vit, sa famille, ses amis, la ville, nous tous. Elle est un prisme, la vraie voix, pas de la raison, mais celle de l'envie d'être forte. Comme ce plan, à la fin du film, qui la montre alors que l'émeute se forme avec l'arrivée des pompiers, et des gens du quartier. Elle, individu, est au milieu d'une foule plus grande : tout ce que ne montrent jamais les médias, le cœur qui bat dans le nombre.
Le film dit le rêve, comme dans cette scène magnifique où elle et sa meilleure copine s'invente une Ferrari : ce sont deux enfants perdus qui font semblant quand ils n'ont pas, c'est Peter Pan.
Le film propose aussi de vrais moments de pur romanesque comme on n'en a pas souvent au cinéma ; une scène de rencontre dans les airs, pour dire le souffle coupé que peut provoquer quelqu'un, ou la danse dans le supermarché. Jadis lieu de délit, il devient scène amoureuse. La musique, mélange de chants en arabe et de musique classique, soulève les personnages de façon épique.
La palme de la Quinzaine, un film de joie, de gravité, de jeunesse, de combat.
Les nouveaux ogres (Avertissement : La couverture du Glamour de ce mois-ci sera un brin sanglante)
The Neon Demon de Nicolas Winding Refn :
Poser la mort Le premier plan (ci-dessus), sur la pulsante musique de Cliff Martinez, fait poser la mort. Première image percutante qui pose déjà question : est-ce que tout cela est simple mise en scène ou la pauvre Elle Fanning est-elle bien morte égorgée ? Des flashs retentissent. Le plan s'éternise, le doute subsiste. Coup double pour Refn, d'entrée de jeu : rendre concrète la notion de mise en scène, qu'on sait très forte dans son cinéma (Drive avait d'ailleurs obtenu le prix de la mise en scène), ici sujet de son histoire, et balancer, tel un oracle par lequel il faudrait déchiffrer les signes, la fin de l'histoire. Poser tue – et c'est pas écrit sur les paquets de cigarettes ah ah.
Galatée arrive en ville Le film est aussi un portrait. Celui d'une princesse de conte perdue en ville : Jesse (Elle Fanning), jeune fille seule (orpheline) dans une ville qu'elle ne connaît pas, est la page blanche (studio de shooting sur fond blanc où se découpent uniquement sa silhouette et celle du photographe) à remplir. On la remarque car son naturel est extraordinaire, comme tous les héros de conte. On la recouvre d'or, ou Pygmalion (celui de Refn est un brin vicelard :-) ) modelant Galatée.
Le visage de la page
blanche, princesse à habiller
Il va s'agir ensuite pour elle d'investir les lieux qu'elle traverse, et d'en relever le défi : le motel glauque tenu par un proprio chelou (Keanu Reeves), la maison de Ruby qui n'est en fait pas à elle, ses grands couloirs inquiétants, sa piscine vide. Passer ces lieux comme autant d'épreuves de Sphinx pour arriver à la réussite. Le conte progresse par de multiples touches : les petites clochettes entendues tout au long de la bande son du film, motif musical de Jesse, amène très fortement la figure de la princesse. Il y a bien sûr, le miroir, décliné à foison car omniprésent dans la vie des mannequins ; il pourrait renvoyer à celui de Blanche-Neige, qui est celui devant lequel on jalouse, on maudit et devant lequel on se veut supérieure à toutes. Le miroir que casse, de colère, la candidate évincée; celui sur lequel Ruby, sa maquilleuse, (Jena Malone) dessine une silhouette de visage au rouge-à-lèvres, après avoir été rejetée par Jesse, comme un mauvais sort en direction de la jeune fille. Sur le sol, visage près du bouquet de fleurs, l'endormissement de la Belle est comme celui d'Aurore après avoir été piquée. La lune, également figure poétique, devant laquelle pourrait surgir un loup garou, va dans ce sens. Et enfin, la transformation de la jeune fille fragile en reine qu'on célèbre : c'est un conte moderne, violent car il s'implante dans le contemporain. La princesse, après avoir revêtu maintes robes scintillantes, se fait manger par des ogres.
Il y en a toute une déclinaison autour de Jesse dans le film : des ogres, d'un temps nouveau, qui pullulent si vous savez les reconnaître : jeunes mannequins avides de succès et surtout prêtes à tout (nouveaux freaks se créant eux-mêmes) même à se perdre elles-mêmes, tenancier d'hôtel psychopathe – le vrai fauve, c'est lui ; photographe et styliste quasi loup-garou devant le jeune mouton innocent, faux pygmalion tout-puissant ; maquilleuse-dévoreuse – littéralement – de l'image parfaite que renvoie cette fascinante nouvelle jeune mannequin.
L'ogresse et la princesse
Métamorphose
Sur le chemin élévateur du conte, elle apprend et devient maîtresse d'elle-même, et se transforme physiquement : on verrait presque le corps d'Elle Fanning muter en carapace kafkaïenne (allongée sur son lit, elle agite ses jambes comme deux longues pattes animales). Pas de bol, les ogres sont nombreux et plus forts ; ils l'éliminent et deviennent elle, le corps change de corps, et la nouvelle barbie fraîchement choisie par le photographe ingurgite le précédent et se transforme à son tour. Plan génial où cette dernière se relève perchée sur ses talons, trouve l'équilibre et s'éloigne dans le couloir : nouvelle mue horrifique, image extrapolée du freak de magazine, ou de tout un chacun qui ne juge que par l'apparence ou le semblant. Ne pas être vrai vous perdra ! Comme une couverture qui aurait pris vie en absorbant ses lectrices, ou un robot né de l'exubérance de l'homme. « - Personne ne s'aime tel qu'il est. - Moi si, répond Jesse»
L'esthétique forte de Refn, que l'on connaît bien depuis Drive, est parfaite pour ce sujet 'plastique' d'univers pictural dévorant tel un prédateur celui qui se trouve en son cœur : le rouge triangulaire décuple Elle Fanning lors d'une séquence de défilé à la limite de l'expérimental et fait accéder son personnage à la marche du dessus, sur l'escalier métaphorique qu'elle tente de gravir tout au long du film.
Ôter le masque Le film du réalisateur danois est le plus ouf de ceux de la compet' que nous avons vu : il n'est déjà pas redondant par rapport à ses autres œuvres, et il ose aller jusqu'au bout de ses idées / fantasmes /lubies, tout en ayant un vrai propos percutant. Il parle aussi, et c'est ingénieux, de cinéma et de ce qu'il peut être, en faisant proclamer à ses actrices des paroles du type « J'ai tout refait le menton, la bouche,... », « la beauté n'est pas tout, elle est tout », « à 21 ans elle est périmée », « Tu n'es pas une beauté naturelle, toi », « Elles veulent toutes être moi ». Utiliser la future star Elle Fanning comme figure angélique et tableau destiné à être entaché est particulièrement fin et osé. Une muse dans le vrai sens du terme qu'un réal un peu taré se plait à modeler. Recouvrir Jena Malone, actrice n'ayant déjà pas peur de grand chose, d'un masque de sang crée l'image forte d'une pensée découverte : tomber, d'une certaine façon, le masque des platitudes, des couvertures plastifiées, du maquillage qui rend beau : le VRAI VISAGE. Le film aurait pu s'arrêter sur ce plan-symbole, voyant le monstre moderne qui regarde ses congénères rincer leur méfait comme du maquillage superflu.
Et on ne parle pas ici que de mode, de chirurgie esthétique ou de guerre des kilos. Je pense que le film parle surtout d'une fille qui veut accéder à sa place sociale (« Je n'ai aucun don, je suis juste jolie alors je m'en sers »), comme nous tous, qu'on le veuille ou pas. Ça parle évidemment plus de la femme ici, jugée, maquillée, sélectionnée, renvoyée, déshabillée... Le film de Refn est intelligent dans le sens que, par ses créatures, ces corps exposés, il SUR-EXPRIME ce qu'on ne dit pas en société. Ce que font les contes et fables, qui se servent de paraboles pour nous parler intimement. C'est un geste fort de cinéaste de savoir montrer son propos de manière aussi charnelle, lumineuse et spatiale. C'est le titre finalement : un néon qui brille que donc tout le monde peut voir, mais devant lequel personne ne remarque / ne veut remarquer la face obscure.
Fin de parcours
Problème de sélection : la
tendance du 2 pas réussi
Une tendance se dégage, à l'orée
du palmarès : les grands réalisateurs présents dans cette
Sélection 2016 et connus pour leurs précédentes participations à
Cannes, ont presque tous proposé un '2' ne répondant pas à
l'attente. '2' pas dans le sens de deuxième film, mais plutôt
deuxième après un film très aimé. Et ça penche en leur défaveur,
tant ils essayent de refaire le même film / provoquer les mêmes
effets. Olivier Assayas par exemple : deuxième film avec
Kristen Stewart, et comme le premier était réussi, il exploite une
nouvelle fois le potentiel « assistante de star » de la
comédienne et sa démarche gentiment rock, mais la perd en route.
Xavier Dolan tente le deuxième film après Mommy : chose
difficile quand on sait la portée émotionnelle de celui-ci, ses
envolées visuelles et son trio de personnages uniques. Avec Juste
la fin du monde, il s'essaye à plus de sobriété, tout en
glissant deux trois chansons pop et flash backs lumineux en guise de
signature. Mais le cast frenchy super glam a beau s'égosiller, le
film n'émeut pas. Idem pour Andrea Arnold, qui offre ici un deuxième
Fish Tank mais ne l'égale pas : même personnage féminin
rêvant de nouvelles ailes pour s'échapper de sa vie pas facile,
suivi de près par la caméra; les
deux ne savent pas nager ; même motifs sur son parcours :
des animaux, de la danse, un gars charismatique mais peut-être
dangereux...
Et, oui je ne l'ai pas vu, mais je ne
crois pas être trop loin de la vérité en disant que les Dardenne
refont du Dardenne avec La fille inconnue. Quant au film de
Sean Penn, The Last Face, il n'a rien à voir niveau sujet
avec le très réussi Into the wild, mais sur le papier,
semblait ressembler également très fortement à la personnalité de
l'acteur-réalisateur. Malheureusement, ses personnages n'arrivent
pas à nous concerner suffisamment ni à nous faire prendre part au
voyage – et du coup encore moins à la cause humanitaire
normalement importante présentée dans le film. Et aussi, en Hors
Compet, désolé si ça énerve, celui qui ne fera presque toujours
pour moi que des 2 éternels, Woody Allen et son Café Society
(toujours la même musique, toujours les mêmes plans classiques, le
même bavardage long comme le bras).
D'ailleurs, petite parenthèse pas si
étrangère que ça à notre propos : on a voulu faire de Mel
Gibson-le-grand, un 2 !! Richet dans Blood Father, présenté
en séance de minuit (c'est plus discret mais ça fait quand même
parler les insomniaques). Avec, comme figure à la mode au cinéma,
le héros usé par la vie – et très certainement dans le même
temps, un acteur jugé usé, cf Mickey Rourke à l'époque de The
Wrestler : le personnage de Gibson hérite ici du lourd combo
ancien détenu/alcoolique/père défaillant... et en plus il vit dans
une caravane, z'imaginez ? Du coup le type porte la barbe. Et des
tatouages. Sérieusement, on se sert quand même d'un acteur à forte
portée iconique et à l'historique marquant, pour essayer de faire
vivre un Taken désertique. Bon on pardonne ce coup-là, Mel
est tellllllement classe, il ébouriffe en marcel, pfiou.
Bon, si l'on revient à nos moutons, et
à la Compétition, exceptés Paterson de Jim Jarmusch,
Mademoiselle de Park Chan-Wook et donc du film de Nicolas
Winding Refn, qui ont proposé tous les trois des œuvres originales,
avec leur patte reconnaissable mais au service d'une histoire ou avec
une proposition inédite, et surtout, qui FONCTIONNE dans le cœur ou
l'esprit du spectateur, la majeure partie de la compet était un peu
trop sur des rails connus, un peu trop ennuyeuse, pas assez
fougueuse.
Si l'on a du plaisir à revoir certains
de ces grands cinéastes, il faudrait peut-être insister sur la
présence de nouveaux auteurs et de premiers films en Sélection
Officielle : à l'image de la Quinzaine des réalisateurs qui
cette année nous a offert des pépites qui sont aussi des premiers
longs-métrages, comme Divines, Mercenaire ou Ma vie de
courgette, qui se partagent tous
les trois une vraie force, et une vraie sensibilité. A
bon entendeur... !
Bien à vous,
j'arrête la causette de la croisette, c'est la fin de ce parcours
cannois !
Et comme ça ne
mange pas de pain, je vous livre mon petit palmarès perso :-) :
Palme d'or : The
Neon Demon
Prix de la Mise en
scène : Mademoiselle
Palme
d'interprétation féminine : Kim Tae Ri et Kim Min Hee dans
Mademoiselle
Palme
d'interprétation masculine : Adam Driver dans Paterson ou Joel
Edgerton dans Loving
Prix du meilleur
scénario : I, Daniel Blake
A l'année
prochaine !
CHARLOTTE
(ndr : il manque aux pronostics de Charlotte le Grand Prix... Gageons sur Verhoeven... ?)
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