22/10/2015

SÉANCE DE RATTRAPAGE : LE TEMPS DE L'INNOCENCE (The Age Of Innocence - Martin Scorsese - 1993)

       
       Ça n'aura échappé à personne, cette fin d'année est placée sous le signe de Martin Scorsese. L'exposition que lui consacre la Cinémathèque a été l'occasion de le faire venir parler directement de son œuvre à Paris et dans le même mouvement, les rétrospectives et hommages se multiplient, du cycle Arte aux rééditions en salles. Scorsese est omniprésent en France en octobre 2015 et nous n'allons certainement pas nous en plaindre.

       Nous avons vu dans le cycle proposé par Arte l'occasion de (re)découvrir Le Temps de l'Innocence, fresque de la haute-bourgeoisie New-Yorkaise de la fin du XIXème siècle, adaptée du roman éponyme d'Edith Wharton paru en 1920.

       Tout ou presque a été écrit sur les monuments qui jalonnent le parcours de Scorsese, de Taxi Driver à Casino, en passant par Raging Bull et Les Affranchis mais Le Temps de l'Innocence, s'il est bien connu des cinéphiles, demeure quelque peu dans l'ombre de ces mastodontes de la culture pop pour une large part du grand public. Ce film est pourtant charnière dans l'œuvre du réalisateur et ne saurait être écarté d'une filmographie sélective pour ce qu'il a changé par la suite dans son travail.



     Première grande fresque en costume de Scorsese (si l'on admet que La Dernière Tentation du Christ relève d'une catégorie encore différente), le film amorce un mouvement nouveau dans la manière de mettre en scène de Marty. On peut d'une certaine façon y percevoir la maturité d'un style qu'il construisait depuis ses premiers films et qui trouve ici sa forme la plus pure, tout au plaisir évident qu'a Scorsese de faire du Temps de l'Innocence son Barry Lyndon. Des décors et des costumes sublimes, regardés comme autant de tableaux de maître, une ambiance feutrée que l'on croise rarement ailleurs dans sa filmographie, un récit lent, peu à peu étouffant et tout en retenue qui tranche singulièrement avec sa frénésie habituelle, une lumière et des couleurs chaleureuses à même de retranscrire la passion inassouvie de Newland Archer.

   Pourtant, jamais Scorsese ne renie ce qu'il est et l'on retrouve les mouvements de caméra qui le caractérisent et cette envie toujours plus vivante d'explorer New-York, encore et toujours. Si à n'en pas douter, et comme pour Barry Lyndon, nombre de spectateurs céderont aux sirènes de l'ennui, il n'empêche que ce film est imprégné d'une élégance sans commune mesure dans le travail de Scorsese à ce moment de sa filmographie.
       Soutenu par une excellente distribution (Daniel Day Lewis, Michelle Pfeiffer, Winona Ryder), le scénario tout en subtilité vient dépeindre l'hypocrisie de la haute-société de la côte Est américaine, où l'étiquette et le paraître sont tout mais comme souvent simples masques des intrigues qui alimentent les appétits de scandales d'une jet set vieillissante en quête de divertissements sulfureux, parfait contre-point New-Yorkais à La Porte du Paradis de Michael Cimino dont les préoccupations des personnages pourtant issus de la même bonne société se situent à des lieues de celles de la décadence très Second Empire des grandes familles américaines. Le tout résonne comme une œuvre naturaliste teintée de Flaubert et de Zola, une dissection des vices et vertus d'une haute-société nombriliste, morte depuis longtemps et aux traces encore perceptibles aujourd'hui, servant de toile de fond au plus vieux et au plus efficace récit du monde : un homme rencontre une femme.


      Ce que sacrifie Newland Archer au nom du qu'en dira-t-on et d'une étiquette que pourtant il juge fausse et désuète n'est pas sans évoquer également les œuvres tragiques classiques, les morts violentes en moins. Le conflit qui anime le personnage est universel, entre respect de la parole donnée et engagement, honneur et passion. Il fera ce qui doit être fait, à défaut de ce qu'il aimerait qui soit, témoignant du dilemme universel entre désir et raison, conditionnement et libre-arbitre.

      Sans être le film le plus enthousiasmant de Scorsese, loin s'en faut, il faut accorder au Temps de l'Innocence qu'il ne cède pas aux procédés que maîtrise à la perfection le réalisateur pour créer la jouissance chez le spectateur, des Affranchis au Loup de Wall Street. Le plaisir est ailleurs, prenant le temps de regarder sa propre beauté mélancolique qui correspond plus que jamais à l'ère du temps que le film retranscrit avec justesse et sans fard. Une fresque, une peinture, presque une photographie d'un siècle et d'un milieu à la reconstitution quasiment documentaire et au lustre plus que jamais empreint de la marque du grand cinéma. 

BOB COOLIDGE

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