27/02/2015

ANALYSE / CRITIQUE : IT FOLLOWS (David Robert Mitchell - 2014)

A CORPS PERDUS


Il faut à mon avis prendre tel quel le terme anglais : "it / ça" l'entité impersonnelle, générale, neutre et "follows", quelque chose qui suit. Qui suit jusqu'à effrayer dans le film, qui poursuit, se refile et décime en cercle vicieux. Si un des maillons du cercle se fait avoir, "ça" revient en arrière et recommence. "Ça" oublie pas et revient toujours. Je prends les maillons de cette chaîne comme ceux d'une génération. Des adolescents luttent ici contre une chose invisible aux yeux de tous sauf de celui qui en est poursuivi, et qui peut prendre la forme du familier comme de l'inconnu pour le pourchassé. Belle idée d'une chose personnelle dont on doit se défaire seul. 



La chouette scène d'ouverture nous montre une jeune fille paniquée - et très peu vêtue, détail non dénué d'intérêt nous le verrons plus tard - sortir de sa maison, essayant d'échapper à une chose qu'on ne voit pas ; elle ne répond pas aux deux personnes qui veulent l'aider. La seule solution est de fuir. Le fardeau n'est qu'à elle. Sauf quand justement, un âge est visé comme ici, on trouve des subterfuges pour le combattre à plusieurs (belle scène de la piscine où le piège se prépare, où l'appât est en place, où l'on tire un peu au hasard vers la cible).


Le teen movie horrifique de base prend un tout autre sens ici. Ça fout les jetons que ce soit un truc qui colle aux basques de l'adolescence. Un mal indistinct qui se refile lors de rapports sexuels, alors on pense au Sida. C'est plus général qu'une maladie selon moi, c'est un âge qui est attaqué. Un indice : quand Jay prend la fuite pour échapper à l'étrange silhouette, elle se réfugie dans un parc et sur une balançoire. Les feuilles frémissent mais rien ne se passe. Ses amis la rejoignent. Le fait que rien ne lui arrive alors qu'elle est sur la balançoire, un jeu de l'enfance, contribue à faire penser que l'âge visé a trouvé pour un temps la quiétude grâce à un emblème du temps d'avant. Même idée pour la scène de la piscine : ils se rendent là car c'est le lieu où Jay et Paul ont échangé un premier baiser, et il y a de ça pas mal de temps – on les imagine à l'âge de 12 ou 13 ans peut-être? . 
Que le garçon qui a couché avec Jay ait réussi à se débarrasser de la malédiction mais est toujours hanté par la vision de cette silhouette qui ne l'attaque plus mais le suit toujours, le garde à l’œil, donne à penser à une sorte de mal générationnel qui pollue les souvenirs et l'existence. Un mal qui reste là et s'insinue. Et la chaîne pourrait s'allonger encore plus, puisqu'elle est quasi inarrêtable... Le film pourrait parler du temps, ou de la peur d'avancer (de circonstance quand on se sent suivi...).

Les lieux fréquentés habituellement par ces jeunes personnes revêtent l'ambiance inquiétante du genre épouvante et montrent bien cette "pollution" : le quartier résidentiel, dont la tranquille routine s'ouvre dans le film sur la panique incomprise ; le lycée dans lequel nos héros viennent tenter de retrouver Hugh, qui a refilé le Mal à Jay : la belle idée du pano qui tourne et tourne et montre ce lieu anodin devant lequel on croit voir au loin une silhouette qui approche... Ou encore la cabane sur la plage, très bref refuge, et bien sûr la maison familiale, dérangée par une petite balle rouge lancée contre la fenêtre de la salle de bain et qui fait sursauter Jay occupée devant son miroir (on pense à la balle de Shining, elle aussi venue d'un hors champ mystérieux et surnaturel).

Il y a aussi deux piscines dans le film. La grande, publique, qui sert de piège à la créature, et la petite gonflable dans le jardin de Jay. L'eau et le bassin ne sont pas des éléments choisis au hasard. Déjà, on y patauge allègrement pas très vêtus – et les gambettes des personnages surtout féminins quasiment tout le temps à l'air dans le film tendent à montrer du doigt plus facilement les corps. L'eau fait évoluer le corps d'une façon différente - on s'y débat plus difficilement -, il y est aussi exposé totalement. Donc, la jeune sirène en maillot de bain se fait mater, forcément. Mais une fois dans le grand bassin, le joli corps se fait doucement couper la tête par le cadrage qui ne montre que le corps sous l'eau et laisse la tête en hors champ. 
La sexualité tuerait ? Pas vraiment; le corps de l'ado est en tous les cas exposé (pas très vêtu donc) et menacé dans It follows, et il doit lutter pour sauver sa peau, non sans blessures (voir le plâtre qui finit par orner le poignet de Jay).

Qu'est-ce qui toque donc aux portes et surprend ainsi l'adolescence? Une chose (le "it" qui donnait lieu à trois tomes chez Stephen King) de bien moins concrète qu'un monstre physiquement là, une chose insidieuse, intrusive, comme les nombreux travellings sur la route de nos héros en quête d'une solution.
Plusieurs réponses à cette question seraient possibles. Au choix, piochez dans les JT de la télé. On peut sursauter et se retourner sur pas mal de choses de nos jours.
Dans le film, le menaçant prend tour à tour la forme d'une vieille dame dans les couloirs d'un lycée, d'un homme nu sur un toit, d'un petit garçon au faciès de démon, d'une mère... De multiples incarnations à donner à la peur intérieure – et une des raisons je pense au fait que le film touche d'une façon particulière. La petite balle rouge dont nous avons parlé ne serait peut-être pas surnaturelle mais jetée par un des gamins mateurs du début ? Le plan rapide à la suite de cette scène montre un garçon habillé de rouge agrippé à la fenêtre de la salle de bain. Surnaturel peut-être pas à ce moment précis alors, mais ce qui a toqué à la fenêtre et dans la tête de Jay à ce moment-là pourrait être une réminiscence un peu flippante de l'enfance. Dans tous les cas, une sensation qui poursuit, habite, perturbe.


Les mystères d'It follows participent à l'intérêt qu'on peut avoir pour ce film. Il a le mérite de donner corps (textuellement, on l'a vu) à l'individu dans son milieu, et par son genre expressif, le confronte et le fait se débattre. L'important selon moi est dans ce que ces jeunes finissent par créer ensemble et par combattre - ou par s'habituer à vivre avec, comme le dernier plan le suggère.

CHARLOTTE

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire