01/12/2014

CRITIQUE(S) : INTERSTELLAR (Christopher Nolan - 2014)

LE BULK ET LE TESSERACT



Trip temporel et spatial ambitieux mais imparfait et grand mélodrame hollywoodien, le dernier film très attendu de Christopher Nolan a quelque peu divisé la rédaction du Buddhist Dwarf. Si Roland ne veut pas perdre son temps à comprendre les êtres du bulk , Charlotte a été profondément touchée par ce voyage intime dans le tesseract.

Dans un souci d'impartialité, on vous propose donc aujourd'hui deux critiques diamétralement opposées, fruits de leur réception, réunis au sein d'un seul et même article.
Une mise en garde toutefois : le visionnage du film est fortement conseillé avant de se lancer dans la lecture de cet article. On ne peut se lancer dans un débat un minimum intéressant et des analyses un tant soit peu pertinentes sans aborder des points essentiels de l'intrigue et, donc, sans révéler quelques rebondissements majeurs du scénario. 
Bref, ça spoile à outrance : vous êtes prévenus...


S-F réchauffée


Dans un futur indéterminé, la Terre est à l'agonie, les hommes se consacrent maintenant à l’agriculture et tentent de nourrir une planète sous-alimentée. Seulement les cultures meurent peu à peu. Cooper (Matthew McConaughey), ancien astronaute, est l'un d'entre eux. Il retrouve par un "glorieux" hasard une base clandestine de la NASA dirigée par Brand (Michael Caine). Ce dernier a un plan : trouver une autre planète habitable pour y emmener l’humanité ou sa descendance. Cooper est choisi pour piloter le vaisseau et doit donc abandonner sa famille pour sauver la planète entière.

Donc voilà, Christopher Nolan revient et touche cette fois-ci à la Science Fiction. Après un Dark Knight Rises écrit à la pisse ou encore un Inception indigeste, je n'attendais plus grand chose du plus grand fumiste d'Hollywood. Interstellar confirme bel et bien mon point de vue. 

Pourtant tout n'est pas à jeter. Visuellement, le film est magnifique. De nombreuses séquences le prouvent comme les scènes se déroulant dans l'espace. Un plaisir pour les yeux pour tout fan de S-F. Cette richesse visuelle provient notamment de sa mise en scène, classique et efficace. La scène où le vaisseau décolle et arrive en orbite sur Terre le prouve. Ici pas de son. L'espace, le vrai. Malgré tous ses défauts, Nolan est quand même un formidable technicien et sa volonté d'avoir filmé en 70mm va en ce sens. Le grain de l'image donne un charme supplémentaire.


Et sinon à part ça ? Le reste du film est décevant. On retrouve la plupart des errements issus de ses précédents films. Le scénario, écrit par les frères Nolan, Jonathan et Christopher, comporte de nombreux trous narratifs comblés par des explications scientifiques afin que les spectateurs ne se doutent de rien. Tiens, en parlant de spectateur, Nolan les prend toujours pour des cons. Il multiplie les étapes explicatives pour s'assurer de ne perdre personne en route, avec comme sérieux revers des baisses de rythme flagrantes et des lignes de dialogues chiantes comme la pluie. Ce procédé gâche  ainsi toute la magie de la séquence finale où Cooper est bloqué dans la cinquième dimension, celle-ci étant appuyée par le discours explicatif du robot. Actuellement, on compare à tort 2001 l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et Interstellar. Or les deux sont totalement opposés. Là où Kubrick proposait un scénario clair et non pré-mâché, permettant d'être mystifié et réapproprié par le public, le scénario de Nolan est lui servi comme sorti d'un vulgaire micro-onde.

Nolan veut également faire du mélodrame dans Interstellar. Pourquoi pas après tout, il a de bons acteurs qui l'entourent. Cependant il y a un homme qui pose problème. Cet homme est Hans Zimmer. Le long-métrage ne dispose pas de thèmes variés et brode simplement des arrangements inspirés autour d'une simple mélodie. Chaque séquence dramatique est appuyée de façon grossière par la musique de Zimmer (largement) inspiré du taf de Philip Glass. Ça force trop dans le pathos et ça ne marche absolument pas. Seule exception à la règle, lorsque Cooper retourne dans le vaisseau après un voyage de 7 heures sur une planète (équivalent à... 23 années terrestres, du au paradoxe temporel), il se met à visionner les messages transmis par sa famille. L'impact émotionnel est fort et n'est pas atténué par une musique envahissante. Le jeu de McConaughey suffit à lui seul. Malheureusement, tout le reste du film n'est pas du même acabit. Bande d'enfoirés.


Christopher Nolan manque l'occasion de réaliser une œuvre majeure et ne propose finalement qu'un simple film de S-F classique, lorgnant plus vers Contact de Zemeckis qu'un Kubrick. Dommage.

Roland aka Francis Hustler


Le vrai fantôme


         Amis du débat cinéphilique jusqu'à minuit, amis révoltés du twist (ceux qui hurleraient : c'est quoi cette fin ?!), amis de la perfection scientifique et de la logique à toute épreuve (à coup de « mais cette équation est fausse », ou de « il ne peut pas survivre à ça » blablabla...) et à ceux qui n'aiment pas les films qui durent longtemps, bonsoir. J'aimerais ne vous convaincre que par un mot (et pourquoi vous convaincre après tout, me faire entendre surtout) : je suis persuadée qu'il faut voir ce film pour ce qu'il montre derrière ses apparats de film à échelle méga planétaire – gros effets, gros espaces, grosses stars : l'Homme. Tout comme, finalement, la trilogie Batman évoquait simplement l'homme ordinaire sous la cape et le masque (phrase dite quasi telle quelle dans un des films).

  L'homme ordinaire à destin extraordinaire, Bruce Willis était l'étendard du genre, précisément dans Armageddon de Michael Bay, film avec lequel on retrouve de nombreuses similitudes scénaristiques propres au film d'action et d'aventure.
  Sauf que Matthew McConaughey est un chouïa plus balèze que Bruce ici (et Dieu sait que je respecte ce dernier) sous la direction de Nolan, car s'il partage une part du destin du héros d'Armageddon, comme être appelé pour une mission dans l'espace pour sauver la Terre, être séparé de ses proches (et nous faire chialer par le truc des écrans reliant la Terre et l'espace), garder son sens moral et rester du côté du Bien (pas comme le colonel Sharp chez Bay et le docteur Mann chez Nolan), il va plus loin que le rôle du sauveur charismatique qu'on applaudit à la fin.
          
          Cooper est un personnage avec une aura plus grande que la normale, car il est poussé par une Terre en fin de vie : où va-t-on si la Terre ne devient plus viable ? Beaucoup de films prennent comme point de départ écolo la menace d'une Terre qui ne fonctionne plus bien ou s'essouffle. C'est dans l'air du temps. Dans Interstellar, les gens commencent à avoir de plus en plus de mal à se nourrir sur Terre, et à respirer, alors que l'avancée technique est telle que les robots intelligents sont chose courante. Ce monde poussiéreux ne fait pas se défaire certains d'une vision positive de l'avenir (le grand-père, « tout n'est pas si moche ici »), quand d'autres n'y croient plus vraiment. Ça va être la base de ce récit : l'idée de la croyance en l'Homme, et son espoir profond de pouvoir lutter et recréer, malgré une force et une destinée qui le dépassent, et qui dépassent toutes les technologies, aussi sophistiquées soient-elles.


  Arrivée à la scène qui voit Cooper flottant seul dans l'espace, son vaisseau détruit, happé par le trou noir, je me suis dit que c'était fichu pour la Terre, pas de solution, pas de planète de rechange. Et puis suit la scène où Cooper se retrouve dans une espèce de lieu aux contours flous, déformés, où lui apparaissent peu à peu des images familières (sa maison, la chambre et la bibliothèque de sa fille Murph, cette dernière). Je me suis alors fait la réflexion qu'on était peut-être à l'intérieur de son esprit, et s'il est perdu dans une immensité sans repère, il peut bien divaguer en lui-même vers des souvenirs concrets. Sauf que non. Il est en fait au point spatio-temporel (je ne vous referai pas d'explications techniques :-) ) où il peut communiquer avec sa fille du passé, alors âgée de 12 ans à peu près. A cette époque, Murph, élève douée, réceptive à d'autres choses qu'aux normes de l'école, était persuadée qu'un fantôme était là, dans sa chambre, pour lui faire part d'un message. Cooper se rend compte que ce fantôme, c'était lui du futur, il lui donnait les codes pour localiser l'endroit où l'avenir serait possible.

  Si ce twist est bien trouvé, j'ai trouvé cette scène intense dans ce qu'elle a de captivant et d'oppressant visuellement : ce lieu non défini, aux parois mouvantes, qui font mal aux yeux, faites uniquement d'images-pensées appartenant à un individu, où le temps s'emmêle, est un lieu qui métaphorise les souvenirs et le lien qu'entretiennent les membres d'une même famille. Une figure du fantôme démasqué inédite (« ta mère m'avait dit que les parents ne sont là que pour créer des souvenirs aux enfants » explique Cooper à sa fille à un moment), et l'espace (trou noir et système solaire) traité comme support pour l'individu, son destin personnel face à celui du monde, les images de son inconscient, de son passé, face au lieu où l'avenir de la planète est possible. Se faire violence pour pousser les frontières de sa mémoire et renouer le lien douloureux, tout en agissant pour l'humanité.
  C'est le côté Shyamalan du film, où l'extraordinaire (le fantastique, la science-fiction, le plus grand que soi) est toujours là pour donner à voir l'ordinaire (l'individu dans sa particularité), comme deux cercles qui interagissent. Murph s'apparente d'ailleurs à la petite Bo de Signes, qui dialoguait elle aussi avec des signaux étranges qui étaient la réponse que sa famille cherchait. 
  Car c'est avant tout une affaire de famille qui sous-tend Interstellar : amputé d'un membre (la mère), on avance comme on peut, à vive allure parfois malgré un pneu crevé (en voiture, au début). Même des années après le départ du père, on ne veut pas quitter la ferme familiale, en dépit de la dangerosité du lieu (un enfant y est déjà mort). Et enfin, à la fin, dans ce nouvel espace, on recrée la maison à l'identique, comme un musée, en souvenir. La station nouvellement créée porte le nom de la famille. Ça crie haut et fort l'espoir (dans une scène un peu surréaliste où les gens font du baseball sur une planète où l'on vit aussi la tête en bas... ça a du faire grimacer les sceptiques).


  Par cette planète nouvelle, l'idée de transmission qui va avec celle de famille est aussi là : une trace, une suite à laisser. D'ailleurs le personnage du Professeur Brand (formidable Michael Caine) endosse en quelque sorte le rôle du sage de la famille, du moins il pourrait être vu comme ça, à porter son équation et ses deux plans (A et B) toute sa vie à bout de bras pour sauver la race humaine ; jusqu'à sa confession sur son lit de mort, quand il avoue à Murph qu'il n'avait pas de solution, pas d'équation miracle pour les humains. Mais son personnage est selon moi plus usé que menteur : il n'y croit plus. Et comme tout aïeul d'une famille, il passe la main et les suivants sont là pour croire à sa place (Cooper, ou la fille du Professeur Brand). C'est exactement la place qu'occupe Murph, devenue vieille dame, à la fin : elle a installé ce nouveau monde, elle a inscrit son nom, elle est entourée de ses enfants, petits enfants, elle guide son père retrouvé vers d'autres horizons à fonder; et son visage est enregistré dans une sorte de documentaire retransmis sur la station. Image documentaire que l'on découvre au tout début du film, sans savoir de quoi il s'agit, après il me semble un plan sur un petit avion en plastique recouvert de poussière et posé sur une rangée de la bibliothèque de la chambre de Murph. Une image documentaire un peu amateur, qui se retrouve au milieu de tous ces plans de haute volée et futuristes : comme pour donner de l'importance aux souvenirs. A ce qui a été fait et ce qui peut encore être fait.
  Et logiquement, et c'est forcément lié à la science-fiction, le film offre également une réflexion sur le temps, et ses conséquences sur l'homme : ce qu'il lui fait perdre, ce qui l'éloigne des autres, ce qui le nourrit avec des traces indélébiles. C'est aussi, je trouve, une question profondément actuelle. Quand Cooper se prend en pleine face via l'écran de la navette la nouvelle image de sa fille maintenant âgée du même âge que lui, plus qu'une trouvaille scénaristique, c'est tout un flot de questions qui surgit sur notre façon à nous de gérer le temps. Et si nous ne voyions pas les choses passer tellement ça va vite? Des questions possibles, que la science-fiction développe, parfaite dans son rôle de monde qui réfléchit sur lui-même.

  Sous la complexité des équations, logiques temporelles, mathématiques spatiales, je suis donc persuadée qu'il faut surtout retenir l'humain de cette histoire et le chemin qu'il emprunte – Cooper magnifiquement humanisé par McConaughey. Là où Gravity faisait le spectacle avec son décor principal, en y perdant ses deux petits cosmonautes, (et moi en passant) pour raconter strictement RIEN, Interstellar met en exergue le savoir-vivre ou plutôt le « comment vivre » dans un monde qui ressemble à aujourd'hui, avec des handicaps comme une famille bancale, des réserves nutritionnelles épuisables; comment vivre quand on n'est pas Bruce Willis. J'aime ce film car il peut, dans le même temps, nous emmener à des années lumière de notre fauteuil, de notre ville, de notre vie, comme le cinéma sait si bien le faire, et en même temps résonner de manière si familière et si quotidienne.

Charlotte


En guise de conclusion


Je tiens moi-même à apporter mon point de vue à propos de cet Interstellar. Auto-proclamé chef d’œuvre avant même sa sortie, sa réception auprès du public a tantôt suscité l’émerveillement, tantôt provoqué la gastro. Le constat n'est guère surprenant, étant donné que le cinéma de Nolan a toujours créé polémique au sein de la critique et encore plus au sein du public. Une fois de plus, comme au "bon vieux temps" du Dark Knight, les détracteurs s'en donnent à cœur joie et les défenseurs ont du grain à moudre pour pallier les attaques plus ou moins justifiées.
La critique de Roland est brute de décoffrage, radicale, rationnelle, terrestre, tandis que Charlotte se fait plus platonicienne, idéaliste, rêveuse, céleste. Autrement dit, elle a décollé de son fauteuil vers les étoiles tandis que Roland conforte sa position sur le champ. Ironie du sort, l'alliance des deux critiques rappelle l'univers du film : une terre ravagée lentement par l'Apocalypse et l'Espace comme une promesse d'avenir.


Loin de moi l'envie de départager les deux camps, je vais plutôt me placer lâchement dans l'entre-deux. En bon suisse que je ne suis pas, je vais opter pour une neutralité nonchalante, décomplexée, décontractée du gland, mais sincère. Si ce film n'atteint à mes yeux jamais le rang de chef d’œuvre extraordinaire, faute à son histoire bancale qui a les miches bloquées entre deux chaises (entre rigueur scientifique pointue et morceaux complètement surréalistes), il ne mérite pas non plus les lâchers de tomates.

La véritable surprise du film réside là où on ne l'attendait pas : à savoir, le registre de l'émotion pure. Tous les films précédents de Nolan ne semblaient être que de très longs discours didactiques froids, ultra-poseurs et assez impersonnels en fin de compte. Par exemple, pouvons-nous vraiment nous identifier aux héros en nuance de gris d'Inception ? Leurs rêves matérialisés sont aussi bandants que les fantasmes d'un banquier coller-serré et aussi fadasses qu'une banale série B du dimanche soir. Nous sommes à mille lieux de l'univers délirant et touchant de Paprika du regretté Satoshi Kon, œuvre pourtant bien (sagement) recopiée par Nolan dans les grandes lignes. Toutefois, dans Interstellar, Nolan réussit à tirer sur la corde sensible. Entre deux charabias pseudo-scientifiques à la mord-moi-le-nœud et entre deux trous noirs scénaristiques, il garantit quelques séquences surprenantes, absolument poignantes, qui collent aux tripes. Elles seules sauvent le film. Et pourtant, elles ne reposent que sur de simples champ/contre-champ entre un père et sa fille. Tout simplement, tout doucement.

Il persiste néanmoins ce sentiment de gâchis dû aux sempiternels tics d'un habile artisan du cinéma qui se rêve être un visionnaire de génie. Pourquoi avoir noyé une belle histoire sous une trombe de dialogues pompeux et agaçants ? Nolan a une tendance irritante et pathologique de rendre ses films toujours plus complexes et compliqués qu'ils ne le sont. Si Interstellar ne manque pas d'ambition, il frôle sans arrêt la prétention récurrente de son auteur que viennent heureusement sauver les émotions. De justesse.
Nolan est intelligent. Et il le sait. La preuve : il ne cesse de le répéter à chaque dialogue prononcé, à chaque référence érudite glissée au forceps, mais plus rarement par sa mise en scène. Il nous martèle sans cesse que ses blockbusters tout public PENSENT, aidés par la musique tonitruante et redondante d'un Hans Zimmer en roue libre. Il se donne l'allure du pape du cinéma hollywoodien cérébral, bien loin des étrons décérébrés des Michael Bay et consorts. Alors que tant d'autres réalisateurs plus talentueux mais moins reconnus usent de leurs méninges avec plus de classe et de discrétion.

Bref ! Le plus grand défaut d'Interstellar est finalement de ne pas suffisamment assumer ce qu'il est réellement : à savoir, un drame intime simple et beau. Pas de quoi durer 3 heures, ni en faire tout un foin sur sa prétendue qualité de masterpiece du dimanche. 

Mumu

2 commentaires:

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