13/12/2014

CRITIQUE : LE DOMAINE DES DIEUX (Louis Clichy - 2014)

MADE IN GAULE


La meilleure adaptation depuis celle de Chabat et en un sens, celle-ci lui est même supérieure. Il aurait été sûrement délicat d'en dire autant s'il avait s'agit d'un film live, du fait de la difficulté suprême de transcrire en chair et en os des univers dont la richesse provient d'abord d'un graphisme qui leur est propre.


L'adaptation foireuse de bande dessinée est un mal français et l'envie de le faire sans recourir à l'animation un autre encore plus profond et de loin plus pernicieux : Boule et Bill, L'Élève Ducobu, Les Daltons, Lucky Luke, tous les Astérix à l'exception de celui de Chabat, le terrifiant Benoît Brisefer à venir, Les Chevaliers du Ciel… Longue est la liste des catastrophes avérées ou annoncées.
Au-delà du questionnement que suscite l'échec presque systématique de ces adaptations se pose la question des choix opérés par les auteurs et les producteurs : pourquoi, en 2014, vouloir rebondir sur des bandes dessinées aussi datées et pleine de morgue que Benoît Brisefer ou Boule et Bill, fondamentalement déphasées de notre époque ? 
Il semblerait qu'une certaine tendance du cinéma français présente une appétence particulière pour une nostalgie quatrième république de bon aloi – quand elle ne déborde pas sur les régimes précédents, amateurs de napperons à carreaux rouges et bleus.
Pour se convaincre, il suffit de voir la profusion de films "Knacki Herta" qui ont pullulé suite au succès des Choristes de Christophe Barratier : le même Barratier a enchaîné avec Faubourg 36 puis La Nouvelle Guerre des Boutons qui s'est vue dupliquée la même année par Yann Samuell, Populaire avec Romain Duris, Boule et Bill donc, Benoît Brisefer qui arrive, Le Petit Nicolas et ainsi de suite.
Étrange nostalgie qui semble un peu forcée : la France n'a jamais rien eu à voir avec Mad Men et nos années 50 présentent-elles le même pouvoir évocateur qu'aux Etats-Unis avec leurs diners, leur pin-ups, Dean et Brando, Ava et Marilyn, l'arrivée des playmates, leurs pelouses impeccables et leurs tondeuses à gazon dernier cri ? 

Il est permis d'en douter. Il semble surtout que cette tendance témoigne du besoin d'un certain public de voyager vers une époque moins sombre que la nôtre et où l'espoir en l'avenir était de mise. Le progrès technologique et industriel allait rendre notre monde meilleur et plus agréable, l'économie était relancée après les heures sombres de la deuxième et le pire était derrière nous, tant que les deux blocs se tenaient à carreaux – rouges et bleus. Raté.
Il apparaît néanmoins étonnant qu'une large part de spectateurs puisse encore de nos jours se languir de Fernandel, de Funès, Fernand Raynaud ou Bourvil. Mais bon, "c'était l'bon temps."
Bien que né dans les années 60, Astérix évite pour sa part l'écueil de la naphtaline "ancien régime" parce qu'il a toujours été intemporel et son univers riche et coloré est universel, ancré dans une époque suffisamment lointaine pour que son discours soit toujours d'actualité. 
Dans le même ordre d'idées, Kounen a presque réussi son Blueberry – il s'en est fallu d'un rien. Tous les autres ou presque ont foiré. Quoi qu'il en soit, Astérix conserve la palme du plus grand nombre d'adaptations – à juste titre – et face à un tel monument, forte est la tentation de vouloir mettre à l'écran un maximum de guests, histoire de s'assurer une bonne promo chez Arthur et être en mesure de bourrer les salles pour aller voir Sim, Pierre Palmade, Arielle Dombasle et…. 
J'arrête là, on s'est compris. Un casting, fut-il trois étoiles, populaire et tout ce qu'on veut, ça ne remplace ni l'histoire, ni la mise en scène et le respect que doivent celles-ci à l'œuvre originelle. L'intelligence d'Astier, c'est d'avoir accepté. Ensuite, d'avoir voulu en faire de l'animation puis de mieux choisir l'album à adapter. On lui proposait Astérix en Hispanie, il a préféré Le Domaine des Dieux pour une raison si simple qu'elle en est d'autant plus forte : le village et ses habitants sont réellement en danger et César à deux doigts de vici pour de bon.
Du conflit puissant et des enjeux forts sont les mamelles de la dramaturgie efficace et Alexandre Astier l'a bien compris. Le scénario est remarquable de justesse et parvient à enrichir l'histoire de l'album sans la trahir. Là où Au service de sa Majesté prétendait associer deux albums complets (Astérix chez les Bretons et  Astérix et les Normands) avec pour résultat une catastrophe insipide et expédiée, dénuée de toute profondeur, Astier exploite chaque situation et leur donne du liant. 
Il creuse ses personnages et va chercher une certaine vérité en eux plutôt que de ne faire que les effleurer au profit du gag lourdaud et repassé. Fort bien écrit, jamais un film à fous rires mais plaisant de bout en bout : on pouffe, on s'esclaffe et parfois les petits riens font tout le sel de la chose – encore faut-il être attentif ou avoir les bonnes références, comme dans la BD en somme.



L'intelligence d'Astier repose également dans son humilité, celle qui l'a conduit à faire appel à Louis Clichy car réaliser un film d'animation de ce niveau ne s'improvise pas. Ce bon Louis a œuvré sur Là-haut et Wall-E. Ce bon Louis connaît le job.
Et le résultat d'être à la hauteur : c'est beau (la forêt est à couper le souffle), c'est riche, c'est très bien animé et ça regorge d'idées de mise en scène et de trouvailles (la kryptonite d'Obélix enfin découverte), de références (King Kong, Le Seigneur des Anneaux, Superman…), l'animation est clairement au niveau et les gags visuels sont tout aussi présents et puissants que les bons mots.
Surtout, alors que le recours à l'image de synthèse pouvait de prime abord faire lever un sourcil dubitatif, elle s'avère en réalité servir parfaitement l'ensemble et c'est avec un plaisir non dissimulé qu'on plonge dans l'univers de la bande dessinée, respecté au brin d'herbe près.
Ajoutons à cela l'excellence du choix des comédiens de doublage. Florence Foresti en Bonemine, Eli Semoun en légionnaire syndicaliste, Astier et Chabat sont au poil – sans oublier les autres – et la superbe idée est de retrouver Roger Carel en Astérix, doux miel madeleineux pour nos ruches à marteau. 
Nous ne pourrons que regretter le trépas de Pierre Tornade, intemporel Obélix dont l'absence se fait ressentir. Non que Guillaume Briat n'assure pas la partition, mais Proust tout ça quoi – on en reparlera quand les doubleurs de Will Smith ou Bruce Willis prendront leur retraite.
Un bon film et un bon moment, surtout pour qui aime la série d'Uderzo et Goscinny. Astier et Clichy ont rendu un bel hommage à leurs ancêtres. Bravo et merci, ça fait du bien quand c'est bien.

Red_Fox

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