VIC COMME VICTOIRE
"T'es qui toi ?"
L'obsession de l'identité chez Céline Sciamma trouve un nouveau visage : Marieme, 16 ans, fraîchement en classe de seconde, deux sœurs complices, un grand frère patriarche et ultra autoritaire, une mère occupée, un quartier où tout se sait, où tout est et doit être. Bientôt, sa nouvelle bande de potes la baptise d'un nouveau nom, Vic "comme victoire", collier fantaisie à l'appui, certainement chipé dans un magasin comme leurs fringues. Un nouveau nom comme Laure de Tomboy, précédent film de la réalisatrice, qui s'inventait garçon. On s'adoube avec les moyens du bord dans la cité, c'est la leader/reine Lady qui offre le collier – et sa signification – à Marieme, faite ainsi chevalier.
Des victoires il y en aura plusieurs, marquées dans le film par de longs plans noirs qui ponctuent chaque étape importante de l'avancée de la jeune fille : une victoire sur l'école "maman, je passe en seconde", et puis elle range son couteau suisse dans sa poche de jean, comme une arme pour après, car elle sait que c'est pas fini. J'aime ce plan qui marque un premier franchissement, tout en prenant soin de garder une munition pour après. Elle de dos devant l'évier, sa mère qui la félicite de la pièce d'à côté. Seule face à ce qui l'attend, mais prête.
Une victoire sur la copine leader, et sur les autres filles du quartier, une victoire physique puisque notre jeune chevalier bat au combat celle qui a humilié sa pote Lady juste avant.
Une victoire sur les garçons, c'est elle qui va chez son petit-copain en pleine nuit, qui décide.
Et une victoire (un temps du moins) sur le frère : elle se barre de chez elle, parce qu'elle ne veut pas qu'on décide pour elle.
Si elle prend assez rapidement le dessus, la dernière partie du film la fait dangereusement déchanter. Partie de chez elle, elle se fait "embaucher" par un certain Abou pour revendre de la drogue. L'indépendance devient vite piège, et plus qu'un faux prénom, elle travestit son corps pour mieux s'intégrer (cheveux plaqués, seins cachés, look de garçon). Le travestissement était déjà dans Tomboy, et il a son sens ici, du point de vue du récit déjà : dans le lieu et le contexte où évolue Vic, une fille doit se faire accepter, elle ne peut pas sortir habillée comme elle veut, elle sait que les regards l'attendent. On lui dit quoi faire, dès le début à l'école, "Tu vas aller en CAP", on reste sur elle, c'est une voix hors champ qui lui somme de prendre cette direction, "Non je veux pas". Et ensuite, ce n'est que ça, des sommations, son frère lui impose un schéma, un code moral, qui font disparaître complètement son individualité propre, ses envies. Même Lady la baptise et donc la met sur une voie précise elle aussi. Psychologiquement ensuite, le travestissement est là pour surligner la perte des repères dans la construction du personnage. Si grandir n'était déjà pas une mince affaire dans les deux premiers films de Céline Sciamma, ici d'autres obstacles se greffent à la difficulté.
Néanmoins, je suis beaucoup moins la réalisatrice dans cette dernière partie, plus glauque, où Vic se déguise, en pute pour dealer, en garçon manqué pour s'intégrer. Notamment cette scène où elle danse un slow avec sa coloc pendant une fête... j'ai pris l'allusion grosse comme un TOC d'auteur frenchy, une tambouille de crise identitaire trop relevée en sauce. "What the fuck Céline", j'ai envie de dire. Tout le reste du film était suffisamment explicite à mon sens, et bien amené, pour ne pas rajouter ce slow chelou et les seins bandés comme un gros trait au fluo sur le corps de l'héroïne. Le cinéma français aime bien faire ce genre d'excès avec ses actrices (pour la première fois actrice dans ce cas, en plus).
Pourtant, tout le reste du film jusque là, était très pertinent et significatif pour dire le parcours chaotique de Vic. En effet, les plans "à scissure" (murs ou portes, zip de fermeture éclair qui coupent l'image en deux), les plans "à remplir" (Vic chez elle devant un papier peint bleu clair uni, sans décoration, avec sa nouvelle robe bleue d'un vif plus soutenu que celui du mur, nous dit : c'est à toi de remplir le paysage), les plans colorés où elles se font leur scène à elles (sur du Rihanna), et donc, les respirations noires (quatre ou cinq en tout); tous ces plans participent à coloriser ce qu'est l'univers de Vic et ce qui l'attend.
Le film regarde suffisamment les corps, montre l'énergie, les conflits de cette jeunesse (physiques et verbaux - "t'es qui toi?" n'ayant pas l'air d'une insulte très vindicative, mais c'est pourtant tout notre problème), certes, Vic avait besoin de chuter, de se perdre pour mieux revenir, mais les digressions de la dernière partie sont too much. La partie de mini golf par exemple, l'air de rien, était un bon prétexte pour discuter du chemin à prendre, tunnel ou pas tunnel, suivre les règles ou pas. C'est clairement l'empreinte intello de la cinéaste sur des jeunes des cités, mais ça matche bien dans l'ensemble. Les deux, de culture et milieu social différents, partagent des mêmes questions et problématiques identitaires.
Les "monstres" de la scène d'ouverture, avec leurs équipements de football américain qui leur créent des épaules et des torses surdimensionnés, des têtes de guerrières (casque qui couvre tout, même les dents sont protégées et la bouche disparaît), exposaient dès le départ l'outrance et la difformité des corps, couplées à une force née de ces carapaces en béton. Une mêlée 2014 qui défonce tout et s'affirme. On pouvait se demander alors qui se trouvaient sous ces accoutrements fantaisistes.
Nous avons la réponse avec le dernier plan du film, qui montre une jeune fille regardant en face d'elle d'un air décidé, et qui s'avance. Elle quitte le champ. La suite, elle va gérer c'est sûr.
BANDE DE FILLES - France - Céline Sciamma - 2014 - avec Karidja
Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Mariétou Touré
CHARLOTTE
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