14/03/2019

CRITIQUE : MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN (Xavier Dolan, 2019)


Et s'il avait répondu



  Je pense à Xavier Dolan. Je pense à lui car il m'avait paru un peu fatigué, un peu triste, un peu en retenue lors de son passage dans une émission télé il y a quelques jours, pour la promotion de ce film. On l'a attendu longtemps celui-là, on l'a attendu à Cannes, et puis non, on a suivi les différentes péripéties de sa fabrication, de son montage. A l'heure actuelle, les Canadiens attendent toujours une date de sortie, le comble pour un réalisateur local. C'est peut-être quand on aime un art passionnément qu'on peut le fustiger le plus violemment : créer rend démoniaques les spectateurs de cette création. On s'en est souvent pris à Dolan, depuis le début. Ce sont même ces échos qui ont précédé mon premier avis, alors même que je le découvrais, au cinéma avec Tom à la ferme. Je ne suis pas là pour dire qu'untel a tort parce qu'il a dit telle chose. Je ne connais pas personnellement Xavier Dolan, je crois connaître un peu ses films, c'est le cinquième que je vois de lui. Je ne lui écris pas de lettre (ou peut-être en écrivant là, finalement), mais je voudrais qu'il se rassure. J'ai été rassurée, moi, en découvrant son film, rassurée sur l'art, le cinéma, l'acte de création, sur les personnages de fiction et le pouvoir-miroir qu'ils peuvent avoir. Rassurée parce que, depuis le temps que l'on crée, même si tout a déjà été dit ou vu, tout peut être encore. Tout peut être investi. On répétait et on continue de répéter partout « C'est son film américain ». Je ne vois néanmoins que lui dans Ma Vie avec John F. Donovan. Et ce n'est pas dit comme une lassitude, car il a même un peu abandonné son exubérance, moins perruqué ses actrices, par exemple. Bon, la musique est toujours là, et ses morceaux pop – y aurait-il quelques souffles de Titanic, dans les chœurs de la bande originale de Gabriel Yared ? La place centrale est une nouvelle fois, et toujours, celle de la mère (exceptionnelles Natalie Portman et Susan Sarandon), éternel sujet de réflexion, de rêverie, de regrets, de violence, et d'amour pour Xavier Dolan. Pour certains c'est un film sur la célébrité, il me semble avoir lu ça au tout début du tournage, quand le projet attisait, que les premières photos de son prestigieux casting sortaient. Américain ou pas, Dolan est toujours au montage. Au scénario, et probablement auteur des dessins préparatoires des costumes. Mais surtout, au-delà d'une figure de réalisateur que d'autres qualifieraient d'écrasante, il est un créateur qui arrive à infuser ses personnages de souvenirs, de rêves, de choses manquées. Quand un autre inventera un film choral éparpillé, Dolan réussit à créer un lien entre deux personnages qui jamais ne se rencontrent, et entre ceux qui gravitent autour de chacun d'eux. Ils s'envoient – se renvoient leurs rêves, leurs déceptions, leurs solitudes. La star Donovan pousse le petit Rupert sur son chemin de vie. Les idoles servent à ça. Elles remplacent des absents, complètent les autres. Elles sont inspirantes, elles sont un phare comme celui qui guide les bateaux. Dolan est Rupert/Jacob Tremblay, on sait qu'il envoyait lui aussi des lettres à ses artistes préférés. On aime le voir retrouver le gamin qu'il était. Ça a du être prodigieux à filmer pour lui. 



Il est aussi certainement J.F. Donovan ; mais si on l'avait devant nous, on ne lui demanderait pas s'il trouve la célébrité pesante. Le film parle de ça bien sûr, de cette place étrange exposée aux yeux de tous. Mais il parle surtout de la place que l'on a et qu'on veut avoir. John ment publiquement pour exister en tant qu'acteur et renvoyer une image dite « conforme », mais il ment aussi à sa famille. Rupert, nouveau en ville, moqué par ses camarades de classe, un père inexistant, se trouve un modèle en John. Dans une scène très dure, et superbement filmée et jouée, il se dispute avec sa mère en lui criant des vérités difficiles à entendre : elle a abandonné sa carrière d'actrice, elle se ment à elle-même en croyant commencer une nouvelle vie ici, etc. Elle aussi, on imagine, se cherche une place. Dans une belle scène en bout de film, John – Johnny, Jonathan, les gens ne l'appellent pas comme il voudrait qu'on l'appelle – est seul dans un coin reculé d'un petit restaurant. Un homme âgé apparaît et le reconnaît, lui dit que son petit-fils est fan de lui. Il ne veut pas déranger mais John, naturellement, se livre à lui. Lui confesse qu'il a l'impression d'avoir volé la place qu'il occupe. « Comment auriez-vous pu voler une place créée exprès pour vous ? » lui répond l'homme avec toute sa sagesse de vie. Le regard de John s'apaise. Tout est là je crois, dans cette réplique, le film est arrivé au bon virage, via cette figure de vieil homme, inédite chez Dolan, chez qui on a beaucoup vu, presque essentiellement, des adolescents, des jeunes adultes, des femmes. Il serait une sorte de figure détachée du reste du monde, divine presque, qui se pointe quand une marée de questions nous assaille.





C'est le cœur du film, et un thème comme celui de la célébrité découle de cela : qu'est-ce que la célébrité sinon une identité « surpuissante » livrée en place publique, que les gens croient connaître et comprendre comme si l'individu en question était un de leurs proches.
D'ailleurs, on sait que Dolan a abandonné une idée en chemin : il a coupé au montage toute la partie de Jessica Chastain, qui jouait une « méchante » il me semble liée au super-héros que devait interpréter John dans son prochain film. Selon Dolan, ce personnage ne s'intégrait pas à son film, disait autre chose. On comprend aisément maintenant qu'il l'ait écarté, n'appartenant pas à la sphère intime de John. Un super-héros aurait été factice, dans un film sur un homme qui a déjà du mal à se chercher, loin d'être « super ». Et puis, c'est intéressant de réfléchir aussi à cette suppression, malgré une production américaine, le réalisateur a enlevé ce qui est caractéristique d'un certain cinéma américain justement, les super-héros. Jusqu'au bout il a modifié son film, on peut s'apercevoir en regardant la bande-annonce après la projection, que certains plans n'y sont plus, notamment celui où John enlève sa capuche dans la rue, l'écharpe qui recouvre une partie de son visage, et découvre des couvertures de magazines. Une autre facette aurait été dite ici, et certainement pas la bonne. Dans le montage final, le projet de film de super-héros est évoqué en famille, moqué, et finalement c'est un autre acteur qui aura le rôle.
C'est ce que s'efforce de trouver un auteur, un créateur quand il invente une histoire : son acte de création est toujours une façon de se chercher lui-même. En se travestissant, en travestissant les autres, en appuyant les couleurs (rouge, jaune, bleu, il y en a plein dans le film qui éclairent la vie ordinaire). En ouvrant des iris comme le cinéma muet le faisait, pour pointer quelque chose de précis – John dans une scène troue de son poing le mur de chez sa mère, et on observe son visage de là, comme une ouverture à l'iris. En se mettant en scène derrière d'autres comédiens. En faisant avec eux prendre corps ses souvenirs, ses rêves, ses idées. Alors, quand il y a des vérités comme celles-là, elles sont entendues. Car c'est un ballet, qui ne marcherait pas pour nous s'il n'était pas sincère et intime. Les murs de ma chambre étaient également recouverts de posters, même si je ne criais pas devant la télé comme Rupert (seulement intérieurement :-) ). C'est bien dommage alors de parler d'égocentrisme, de dire que Dolan ne fait que s'écouter, quand on voit cette démarche emplie de tellement de choses, et qui donne au final un résultat très vrai. Oui, il s'écoute, plus que tout, comme tous les créateurs le font, consciemment ou inconsciemment, et il en fait des films, gardant les rênes de son projet à chaque fois.
Le récit de cette enfance épistolaire et de cet acteur star est recueilli par une journaliste qui au début n'a que faire de cette interview (fabuleuse Thandie Newton qu'on est ravi de revoir au cinéma). Elle referme le film de son sourire, riche de cette rencontre avec un Rupert devenu adulte qui a trouvé, lui, ce qu'il voulait, et qui suit son chemin. Elle a accueilli une délivrance, une histoire de vie.
The Death and Life of John F. Donovan : le titre original est presque celui d'une épopée. La vie en est une, alors si on peut avoir sur nos murs d'enfants quelques étoiles pour guides, ça peut être utile. Et l'importance de ce genre de confession sera peut-être comprise plus tard.



Charlotte

2 commentaires:

  1. La vie en est une, alors si on peut avoir sur nos murs d'enfants

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  2. Tous les films ceux-ci ou d'autres https://skstream.tube/action/ transmettre le sens de la phrase: Le cinéma est le premier outil artistique capable de montrer comment la matière joue avec une personne.

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